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Loin du Parthe, oubliant nos aigles prifonnières, Du Rubicon facré violant les barrieres,

Et du fommet des monts, fur les pas d'Annibal, Menaçant nos remparts de fon drapeau fatal: Voyez nos Citoyens chaflés de l'Italie,

Leur lang qui fume encor aux champs de Theffalie ;

La veuve de Pompée, errante avec les fils,
Redemandant (a cendre aux bûchers de Memphis;
Catop enfe veli dans les fables d'Afrique ;
Et des rives du Tibre aux campagnes d'Utique,
Les restes de Pharfale épars dans l'Univers,
Cachant la liberté dans le fond des déferts;
Voilà tous fesexploits ou plutôt tous les crimes:
Vantez moins fa clémence, & comptez les vic-

times.

Le plus grand des affronts pour mon cœur indigné,
C'eft de me louvenir qu'il m'avoit épargné.
Il a dû m'immoler s'il a fu me connoître.

J'étois né libre enfin; qui l'avoit fait mon maître ?
Quel autre que les Dieux ordonne de mon fort?
Ce droit de pardonner fut fon arrêt de mort.
Ombres de mes amis, c'est vous que j'en atrefte,
Vous que j'ai vu périr dans ce combat funefte,
Qu la vertu trahie a fait rougir les Dieux;
Brutus devant Céfar n'a point baiflé les yeux.
Hlut trop m'en punir en me laiflant la vie;
Je vous ai furvécu pour vous porter envie :

Le ciel qui conferva mes jours infortunés,
Au parricide, hélas! les avoit condamnés. .

Si vous aimiez Céfar, s'il tomba fous mes coups,
Dans l'ennemi de Rome oubliez un époux.

Près d'abattre une tête à moi-même si chere,
J'étois loin de prévoir les larmes d'une mere':
Le ciel, par vos douleurs, a craint de m'éprouver;
Mais enfin je l'aimois, & n'ai pu le fauver.
Dix ans vous avez vu fon altiere imprudence
Fatiguer du Sénat la longue patience;
Et nous laiflant à peine un nom de liberté,
Affecter d'un vainqueur l'infultante fierté.

Ce rang de Dictateur, ce nom lous qui tout trem

ble;

Qui ne fait qu'un pouvoir des pouvoirs qu'il raffemble,

Dans les fuperbes mains avoit mis à la fois
Les faifceaux des Confuls & le fceptre des lois..
Sa vaste ambition, contente en apparence,
Mais gênée en effet dans un pouvoir immense,
Déceloit tous les jours aux regards de Brutus
L'homme dans qui Sylla vit plus d'un Marius.
Dédaignant ces honneurs entaffés fur la tête,
Et les retenant tous comme un bien de conquête,
Il dévoroit le trône, &, premier Citoyen,
Tant qu'il n'étoit pas Roi, croyoit n'être encor

rien.

Quand la terre en filence obéifloit au Tibre,

Ne voyant qu'un Empire & qu'un feul Peuple libre,

Il s'eft dit: à ce Peuple ofons donner des fers; Rome efclave à mes pieds enchaîne l'Univers. L'ingrat ... Rome oubliant une guerre fatale, Sembloit l'avoir absous des crimes de Pharfale; Il pouvoit, trop heureux, au fein de tant d'hon

neurs,

Jouir de la clémence & régner fur les cœurs.
Rome légitimoit fa grandeur criminelle:

Il aima mieux ravir tout ce qu'il tenoit d'elle.
Je l'ai vu, déjà Roi, dans fon efpoir altier,
Las de feindre & montrant le tyran tout entier,
Par un oracle faux menaçant Babylone,
Faire mentir les Dieux pour demander un trône;
Comme fi de Craflus les mânes négligés
Par la main d'un tyran vouloient être vengés!
Moins fier de triompher du Tigre & de l'Euphate,
D'arracher nos drapeaux au fils de Mithridate,
Qu'orgueilleux d'étaler chez des peuples lointains
Avec ce nom de Roi, l'opprobre des Romains.

Par M. Duruflé.

L'ESCLAVAGE DES AMÉRICAINS & DES NEGRES *, Pièce qui a concouru pour le prix de l'Académie Françoife.

Facit indignatio verfum. Juv. Sat. I.

L'AMÉRICAIN vivoit dans une paix profonde,
Et ne foupçonnoit pas qu'il fût un autre monde ;
Errant fur le rivage, ou dans l'horreur des bois,
Connoiffant peu le crime, il connut peu de lois ;
Indolent par principe, humain par habitude,
Vertueux fans effort & fage fans étude,
Regardant d'un même œil la vie & le trépas,
Il goûtoit le bonheur & ne le cherchoit pas.

Peuple trop fortuné! fur ta tranquille plage
L'Ibere va porter la mort & l'efclavage.
Il accourt: fon audace a vaincu les hasards,
Et les palais flottans tonnent de toutes parts.
Vois fondre fur tes bords ce Conquérant avide:
Sa puiffance eft fon droit, l'intérêt eft fon guide.
Le fang coule déjà fous le fer des bourreaux:
Tant d'Etats font changés en d'immenfes tom-
beaux.

* A Paris chez Demonville, rue St Séverin.

L'Américain tremblant, en vain d'un pas agile,
Au fond de les délerts va chercher un afyle;
On le pourfuit: il tombe, & fon fier aflatlin
Le traite de barbare en lui perçant le fein;
Tandis que fous les dents des meutes dévorantes,
Palpitent des Incas les entrailles fumantes;
Au milieu des gibets il éleve un autel,

Sur des monceaux de morts invoque l'Eternel,
Et veut rendre les cieux complices de fes crimes.

Le meurtre cefle enfin... Quoi ! l'orgueilleux Ibere
Permet à des humains de refter fur la terre!
Sa fureur défaillante épargne les vaincus !...
Non, non, fa piété même cft un crime de plus.
« Ce monde est né, dit-il, pour le bonheur de

» l'autre ;

» Allez, vils inftrumens des voluptés du nôtre, » A la Nature avare arrachez les métaux;

» En'vous donnant des 'fers j'ai payé vos travaux. Sous leurs coups redoublés la terre eft entr'ou

verte,

Ses flancs font habités, la furface eft déferte,

Elle voit des vivans raflembler leurs efforts,
Pour defcendre en fon fein, qui ne s'ouvroit qu'aux

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O terre! dont jamais les entrailles facrées

Par des peuples heureux ne furent déchirées,

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