MEMOIRES SECRETS PR SERVIR A L'HISTOIRE DE LA L'AN MDCCLXXV. 1 Avril. Il paffe pour conftant que M. Bret eft nommé Directeur général de la Gazette, & que l'Abbé Aubert lui refte adjoint; pour la partie de la comptabilité, qu'il entend mieux que la partie politique. 2 Avril. Le Sr. Paliffot annonce depuis quelque tems une Comédie intitulée: Les Courtifannes. Cette Piece a été lue aux Comédiens affemblés au nombre de 13. Il y a eu 7 voix par fcrutin pour la recevoir; 3 pour la refufer, fans motiver les raifons; & 3, dont les opinans, en donnant les plus grands éloges à l'auteur & à fon ouvrage, concluent à le rejetter comme trop contraire aux moeurs & à l'honnêteté publique. Le Sr. Paliffot argumente de-là pour faire une querelle aux hiftrions, fous prétexte que ce n'eft point à eux à prononcer fur cette partie; qu'elle regarde la Police, & qu'ils ne peuvent ni ne doivent s'en mêler. 3 Avril 1775. On parle d'une nouvelle Epitre de M. de Voltaire contre les Pefles qu bliques appellées Philofophes. C'eft fous le nom du Chevalier de Morton que paroît cet ouvrage, qu'on juge aifément une ironie. 4 Avril. Le Vice-Chancelier, pere du Chancelier Maupeou, eft à toute extrêmité. Jusqu'à préfent fon fils a vainement follicité pour re. venir. 6 Avril. Le pere de M. le Chancelier a été enterré ce matin. C'étoit un homme aimable, de la plus belle figure, une langue dorée, & qui, quoique très ignorant, s'étoit fait un honneur infini au Parlement. Il n'a pas foutenu fon rôle, & il avoit fini par être l'homme le plus méprifable, lorsque fon fils a voulu enchérir fur lui de baffeffe & de perfidie. 6 Avril. Le Sr. Paliffot s'imaginant que le refus des Comédiens n'étoit motivé, comme ils l'annonçoient, que fur l'indécence prétendue de fa piece, a eu de la Police une approbation par le Sr. Crébillon, qu'il a prodigieufement loué dans fes Mémoires Littéraires. Muni de cette permiffion il a demandé une nouvelle affemblée. Les Comédiens s'y font trouvés au nombre de 24. Il n'y a eu que 5 voix contre 19. Ceux-ci, piqués de l'opiniâtreté de l'auteur, lui ont déclaré que ce n'étoit que par égard pour fon amour-propre qu'ils avoient fondé leur refus fur la feule indécence du titre & du fond de fa Comédie des Courtifannes. Mais qu'indépendamment de ce défaut contre les moeurs, ils y en trouvoient d'effentiels d'un autre genre, qu'il n'y avoit dans fa piece ni action, ni intérêt, ni goût, ni intrigue. Enforte que le Sr. Paliffot, furieux, en appelle au Public, & va faire imprimer fes Courtifannes ou PEcole des Maurs. 7 Avril 1775. M. le Chevalier de Châtellux a été élu Membre de l'Académie Françoife, à la place de M. de Châteaubrun, le 29 du mois dernier. Il eft auteur d'un Livre in titulé: De la félicité publique, qui a eu beaucoup de fuccès. Il eft le premier adulte qui fe foit fait inoculer en France. 10 Avril. Le Sr. Freron s'étant permis dans une de fes dernieres Feuilles de fon Année Litteraire 1774, pour piquer fes Lecteurs, de s'égayer trop indécemment fur le compte du Sr. Diderot, de le repréfenter même comme un apôtre de l'Incrédulité, cherchant à la répandre & à Paccréditer, de le dénoncer en quelque forte ainfi au Gouvernement, le parti des Encyclopédiftes, qui eft aujourd'hui très foutenu, s'eft prévalu de la circonftance, a fait arrêter plufieurs Numéros de l'année derniere, & fufpendre la continuation de l'ouvra-, ge du Critique. Comme cet auteur n'a aucune conduite, qu'il n'a pas fçu profiter de fa fortune & fe ménager une reffource pour l'avenir, il court risque de devenir très miférable. 10 Avril 1775. L'Epitre nouvelle de M. de Voltaire, par le Chevalier de Morton, fur ces Pefles publiques qu'on appelle Philofophes, eft adreffée au Comte de Treffan. Ce Seigneur étoit l'ami & le confident du Roi Stanillas, ce qui est déjà faire fon éloge. I encourageoit ce Prince dans fes bonnes actions & l'amufoit par fes Poéfies & autres ouvrages de Littérature. Les vers font précédés d'un Avis aux Parifiens, très futiles, où l'auteur fe plaint qu'on ne veuille pas adopter fes traveftiffe. mens, qu'on altere fes manufcrits, &, en pasfant, rit de Jean Jacques & déchire Freron. Quant à l'Epitre, on n'en conçoit pas aisément le plan. Ce n'eft point une ironie, comme le titre le feroit croire, où, fous prétexte de décrier les Philofophes, on ridiculife leurs adverfaires. Le Poëte femble en vouloir véritablement aux Chefs de Secte, qui jaloux d'étendre leur opinion font intolérans envers tous les autres. Il paffe en revue à cette occafion divers auteurs de fyftême, fur lesquels il est déjà revenu cent fois. Les Théologiens & la Sorbonne ont auffi leur tour. Il finit par décrire les avantages d'une Philofophie douce, riante, pacifique, & fait fa profeffion de foi fur l'immortalité de l'ame, fur fa croyance à une autre vie. Tout cela ne fe paffe pas fans de bons coups de patte contre Riballier, Clément, Freron, Sabbathier. 12 Avril 1775. Le grand chanfonnier, l'Abbé de Lattaignant a célébré d'avance sa mort: Chanfon de l'Abbé de Lattaignant, fur l'Air: Des Billets doux. J'aurai bientôt quatre-vingts ans, Auffi je la perds fans regret, Et je fais gaiement mon paquet: Lorsque d'ici je partirai, J'ai goûté de tous les plaifirs, Bon foir, la Compagnie. 13 Avril. On ne fauroit croire comment le Sr. Paliffot eft parvenu par fon hypocrifie à |