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nons-les chacune avec l'attention qu'elles méritent.

D'abord, les motifs qui ont fait introduire parmi nous le retrait lignager subsistent-ils encore aujourd'hui ?

Si le retrait lignager n'avait eu pour but, dans son institution, que de flatter l'attachement des hommes aux biens de leur famille, on pourrait dire que le goût auquel il doit l'être, n'est pas éteint; et tel est effectivement l'hypothèse qu'il faudrait adopter, si c'était des Romains que ce retrait nous fût venu; car on sait que les Romains avaient admis les parents à retirer les biens vendus par leurs parents, sans autre motif que de conserver le patrimoine des familles; et l'on sait aussi que la législation romaine fut la seule et unique législation des Gaules, pendant les quatre siècles qui précédèrent les conquêtes des Francs.

Mais ce qui prouve que notre retrait lignager De nous vient pas des Romains, c'est que celui qui avait pris naissance sur les bords du Tibre, et qui de là s'était répandu dans les Gaules, fut aboli dans les Gaules mêmes par une loi des empereurs Valentinien, Théodose et Arcadius, qu'on trouve dans le code Justinien, sous le titre de contrahendâ emptione.

D'où vient-il donc le retrait lignager que nous voyons établi en France? Ouvrons Tacite, et bientôt nous verrons qu'il ne peut venir que de la Germanie; bientôt nous serons convaincus, avec un des plus habiles et des plus savants modernes (1), que c'est de la Germanie que les Francs en ont apporté dans les Gaules, sinon la loi toute formée, au moins les éléments; bientôt nous sentirons qu'ils ne l'ont établie, et qu'ils ne l'ont maintenue que d'après des principes puisés, non dans de simples habitudes domestiques et privées, mais dans leur gouvernement politique et dans leurs mœurs nationales.

Chez ce peuple pauvre et nomade qu'on appelait Germains, et dont toutes les possessions consistaient en meubles de peu de valeur, les successions appartenaient de plein droit aux familles; toute disposition testamentaire y était défendue, et les chevaux, les vêtements, les armes du défunt, car c'était là toute sa richesse, passaient nécessairement à son plus proche héritier.

D'où pouvait naître un tel régime? De l'attachement des familles à de simples meubles? Sans doute; mais cet attachement n'avait-il pour motif qu'un prix d'affection? Il serait ridicule de le penser, et il est bien plus naturel de s'en tenir au motif qui nous est indiqué par Tacite.

Tacite nous apprend que chez les Germains, tous les individus d'une famille étaient obligés d'épouser leurs querelles mutuelles; que les intérêts d'un particulier devenaient ceux de tous ses parents; qu'ils devaient concourir tous, soit à le venger, soit à le soutenir. Suscipere tam inimicitias, seu patris, seu propinqui, quàm amicitias necesse est.

C'est de là que s'est formé, parmi nos ancêtres, ce droit de guerre privée qui fit verser tant dé sang en France, et que la force de l'habitude prolongea jusque sous le règne du roi Jean. S'agissait-il d'un champ usurpe? on se battait; d'un meuble volé? on se battait; d'une fille déshonorée? on se battait encore; toute injustice, toute oppression, toute injure armait aussitôt deux

(1) M. Perreciot, administrateur du département du Doubs, dans son excellent ouvrage intitulé: de l'état civil des personnes, etc.

familles entières, celle de l'offenseur et celle de l'offensé; et souvent la guerre, prolongée pendant une longue suite d'années, ne finissait que par l'extinction totale, ou par l'affaiblissement de l'une des deux armées domestiques. Ainsi dura plus de trente ans cette guerre dont parle Glaber Rodolphe (1), historien du XIe siècle, et qu'il dit s'être allumée à l'occasion d'une métairie située dans le Sénonais, entre deux familles dont l'une était de Joigny, l'autre d'Auxerre.

Il n'y avait qu'un moyen légal de terminer la guerre c'était que la famille offensante payât à la famille offensée les compositions fixées par la loi. Et il est à remarquer que même dans le payement de ces compositions, on considérait tous les membres de la famille offensée, comme intéressés personnellement à sa vengeance; car les enfants d'un homme assassiné, ne devaient recevoir que la moitié de la somme à laquelle était condamné l'assassin, et les plus proches parents, tant paternels que maternels, partageaient entre eux l'autre moitié (2).

Le même esprit éclatait encore dans cette autre disposition de la loi, qui laissait à chacun la liberté de renoncer à sa famille, et par là de s'affranchir de tous les devoirs militaires et domestiques qu'elle lui imposait; ce qu'il ne pouvait obtenir qu'en s'excluant à jamais, et du droit de requérir les secours de ses parents quand il était attaqué ou offensé, et de l'avantage de leur succéder ou de prendre part aux réparations pécuniaires que leur mort pouvait provoquer (3).

Les familles étaient donc pour ceux de leurs membres qui demeuraient unis, des espèces de républiques. Faut-il s'étonner après cela qu'on ait pris tant de précautions pour empêcher que les biens dont elles étaient en quelque sorte dotées, ne sortissent de leur sein? D'une part, elles avaient des compositions à payer; de l'autre, il était juste que la succession d'un parent devint le prix des combats qu'on avait soutenus pour lui. Sous ce double rapport, la loi devait veiller et veillait en effet à ce que les biens d'une famille ne passassent point dans une autre.

De là ces dispositions des codes de nos pères, qui excluaient les filles des successions parce qu'elles ne pouvaient pas s'armer pour les querelles de famille; qui interdisaient toute institution d'héritier, toute espèce de legs, au préjudice du successeur légitime; qui défendaient même de vendre malgré les théritiers présomptifs, sans une nécessité juridiquement constatée; dispositions qui, aujourd'hui encore, sont en vigueur dans plusieurs de nos coutumes.

Et c'est précisément dans ces usages que nous trouvons la source du retrait lignager. Voici comment ils y donnèrent lieu.

Lorsqu'un propriétaire avait, sur l'exposé et la preuve de ses besoins urgents, obtenu du juge la permission de vendre son héritage, il était obligé de l'offrir à ses plus proches parents, et il ne pouvait en disposer en faveur d'un acquéreur étranger, que sur leur refus. Manquait-il à cette formalité la loi permettait aux plus proches parents de retirer le fonds des mains de l'acquéreur étranger, en lui remboursant le prix et les frais légitimes de son acquisition (4).

(1) Hist. Lib. 2, Cap. 10.

(2) Loi Salique, tit. 65. (3) Loi Salique, tit. 63.

Loi Saxone, chap. 16, dans la collection de Lindembrock, p. 478. Lois d'Elfrede, dans le recueil

Voilà évidemment l'origine du retrait lignager, tel qu'il s'exerce aujourd'hui; et ce qui le prouve, c'est que, dans quelques-unes de nos coutumes, notamment dans celle de Mons qui régit une grande partie du Hainaut français, il est encore d usage d'offrir aux plus proches parents les biens dont le juge a permis l'aliénation, et que ce n'est qu'à défaut d'une offre de cette nature, que les plus proches parents ont une année pour exercer le retrait.

Ce n'est donc pas, comme l'ont dit et répété tous les légistes qui ont écrit sur le retrait lignager ce n'est pas dans la seule affection que chacun est censé avoir pour les biens de ses ancêtres, qu'il faut chercher le motif de la loi par laquelle ce retrait a été introduit en France; c'est dans l'obligation où étaient les parents d'embrasser, au péril de leur vie, toutes les querelles les uns des autres, ou, en d'autres termes, c'est dans les guerres privées qui ont si longtemps affligé le royaume.

Mais par là même on voit ce qu'est devenue la cause de l'admission du retrait lignager en France. Il n'est plus de guerres privées; chaque citoyen ayant échangé contre la protection de la société entière, le droit naturel de poursuivre son ennemi, toute vengeance particulière est regardée comme une infraction du pacte social, comme un attentat contre l'ordre public. Et puisque ce sont les guerres privées, puisque ce sont les querelles de familles qui ont donné lieu au retrait lignager, il est évident que le retrait lignager est actuellement en France un droit sans cause. Et s'il est vrai, comme l'enseignent les légistes eux-mêmes, que le motif de la loi cessant, la loi doit cesser en même temps: (cessante ratione legis, cessare debet lex) il n'est pas douteux que le retrait lignager ne doive être aboli.

Si quelque chose doit étonner, c'est que l'abolition n'en ait pas été prononcée plus tôt. Quelle a donc pu être la cause de ce retard? Sans doute, il ne peut être attribué qu'à cette aveugle routine qui a si longtemps conduit les hommes et dirigé leur sort; mais du moins il n'a plus aujourd'hui de prétexte, puisque, par vos décrets du 15 mars et du 19 juin, vous avez détruit la noblesse héréditaire, et avec elle le droit d'aînesse.

Demandez en effet à Montesquieu, si l'idée du retrait lignager peut se concilier avec celle d'un gouvernement où tous les citoyens sont libres et égaux en droits? Il vous répondra que, même dans l'aristocratie, c'est-à-dire dans un gouvernement où il n'y a d'égaux et d'agents de la souveraineté que des nobles, il ne doit y avoir ni droit d'ai esse ni retrait lignager, ni aucun des autres moyens inventés d'ailleurs pour perpétuer la grandeur des familles (1). Il vous dira encore que dans la monarchie organisée selon ses vues, et telle qu'était la France avant notre Révolution, le retrait lignager ne pouvait être bon qu'à rendre aux familles nobles les terres que la prodigalité d'un parent avait aliénées, et que le communiquer au peuple, c'était choquer inutilement tous les príncipes (2). Il vous dira, par conséquent, sinon en termes exprès, au moins d'une manière implicite et très claire, que le retrait lignager est une institution absolument

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vicieuse dans les Etats, même monarchiques, où tout est peuple.

Voilà donc notre première question résolue. Le retrait lignager a été introduit en France par des motifs qui ne subsistent plus; et il n'y a été conservé que par des prétextes qui ne peuvent plus s'allier avec l'esprit général de la Constitution française. Cependant ne précipitons pas encore notre jugement; et voyons, avant de nous décider sur le sort de ce droit antique, si, dans son exercice, il est ou favorable ou contraire aux progrès de l'agriculture et du commerce.

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Mais quoi! faut-il ouvrir là-dessus une discussion sérieuse? Non: Montesquieu a dit en deux mols tout ce qu'il est possible de dire sur cette matière: « Le retrait lignager (ce sont ses termes) << fait une infinité de procès nécessaires; et tous « les fonds du royaume vendus sont au moins, en quelque façon, sans maître pendant un « an (1).

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Et n'y a-t-il pas assez longtemps que nos coutumes elles-mêmes, tout en adoptant le retrait lignager, l'ont marqué du sceau de la réprobation à laquelle l'avaient universellement dévoué tous les amis du commerce et de l'agriculture? N'ontelles pas toutes mis en principe que l'omission de la moindre des formalités prescrites pour l'exercice du retrait, fait déchoir le retrayant? Et ce principe d'où dérive-t-il ? quelle est la cause qui l'a établi? quelle est celle qui l'a étendu si loin, et qui en a fait une des maxiines fondamentales des quatre ou cinq cents coutumes qui gouvernent la France? N'en doutons pas, c'est cette raison innée qui dicte toutes les bonnes lois ou qui tempère les mauvaises; c'est elle qui a appris à tous les jurisconsultes, à tous les praticiens, à tous les magistrats, que le retrait gênant le commerce et offensant le droit naturel, devait être regardé partout comme odieux, et que les tribunaux ne pouvaient le prononcer que lorsqu'ils y étaient en quelque sorte violentés par l'observation stricte et littérale de tout ce qu'il fallait pour l'obtenir.

Mais du moins le retrait procure-t-il réellement et généralement aux familles les avantages qu'il semble leur promettre? C'est la dernière question que je me suis proposé d'examiner, et je réponds sans hésiter: non; il s'en faut même de beaucoup.

Je ne parle pas des procès dans lesquels le retrait engage les familles, et qui le plus souvent ne finissent que par leur ruine entière. C'est pourtant un assez grand fléau qu'un procès, et je doute qu'on parvienne jamais à convaincre un homme de bonne foi qu'un droit, dont l'exercice l'entraîne inévitablement dans un procès, puisse lui être véritablement avantageux. Mais je m'arrête à une autre considération.

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Quel est l'avantage qu'on promet aux familles en leur accordant le droit de retrait lignager? c'est de conserver dans leur sein les héritages qui y ont fait souche; c'est conséquemment d'empêcher que ces héritages ne changent de ligne. Cependant qu'arrive-t-il par la mauvaise combinaison de cette vue avec les autres parties du système général de notre législation? C'est que le retrait lignager, au lieu de conserver les propres dans les lignes, les en fait sortir presqu'aussi fréquemment que le simple contrat de vente. En effet, ou les coutumes déclarent acquêts dans la personne du retrayant, les biens qui ont été retirés lignagèrement (et il y en a un très grand

(1) Liv. 5, chap. 9.

nombre qui renferment cette disposition); ou elles attribuent à ces biens la qualité de propres, sous la condition que l'héritier des propres remboursera à l'héritier des acquêts le prix du retrait. Au premier cas, il est évident que les biens retirés changent de ligne, et conséquemment que le but du retrait est absolument manqué. Au second cas, il faut, pour que l'héritage retiré demeure dans la ligne de laquelle il est provenu, que la condition de remboursement soit exécutée dans un terme très court; et comme il est rare qu'elle le soit, il est rare aussi que, dans ces coutumes, le retrait lignager atteigne son but. Estce donc bien la peine de conserver, que dis-je ? n'est-ce pas pour nous un devoir de proscrire un droit qui ne remplit pas les vues de la loi qui l'a établi?

On me dira que cette considération est étrangère aux coutumes dans lesquelles le retrait lignager est admis pour les acquêts comme pour les propres; et, en effet, il est impossible de ne pas convenir que, sous ces coutumes, la conservation des propres dans les lignes dont ils proviennent, n'a pas été le but qu'on s'est proposé.

Mais je répondrai avec Dumoulin que, par cela même, ces coutumes sont d'autant plus odieuses, d'autant plus iniques, conséqueminent d'autant plus dignes de la proscription que je sollicite pour toutes. Hæc consuetudo est odiosa et iniqua, dit ce jurisconsulte sur l'article 366 de celle du Maine.

Au surplus, j'oserai inviter ceux qui croiraient le retrait lignager avantageux aux familles, à jeter les yeux sur les provinces et les villes où il n'a pas lieu, telle qu'une partie considérable des pays de droit écrit, tels encore que les territoires des coutumes de Douai, d'Arras, d'Hesdin, du Cambresis, du bailliage de Bapaume, telle aussi que la chatellenie d'Issoudun dans le Berri ; et je leur demanderai si, dans ces provinces, dans ces villes, dans ces cantons, les familles leur paraissent moins heureuses que partout ailleurs, et, en cas qu'elles le soient moins en effet, si c'est au défaut du retrait lignager qu'il faut attribuer cette différence de bonheur?

d'acquérir; et les propriétaires ne pouvaient, "par l'effet de ce privilège, disposer à leur gré «de ce qu'ils avaient à vendre. Dudùm proximis

Quel serait maintenant le prétexte qui pourrait servir ici à la défense du retrait lignager? Dirat-on du moins qu'il contribue à la perfection des mœurs, à l'amélioration du cœur humain? Mais ne savons-nous pas qu'il est devenu une occasion journalière de mensonges et de parjures? Combien de fausses déclarations sur le prix des ventes, pour détourner du retrait les parents des vendeurs? combien de contrats déguisés sous des couleurs factices pour les soustraire aux recherches des retrayanis? combien de faux serments prêtés devant les juges, soit sur la nature, soit sur la sincérité des actes qui font l'objet du retrait? Et que pouvez-vous espérer d'un peuple ainsi habitué à lutter sans cesse contre sa conscience? quelles mœurs lui inspirerez-vous dans cette funeste babitude? ou comptez-vous les mœurs pour rien dans la grande entreprise que vous avez formée de rendre la France à jamais libre?... J'en rougis... cependant il faut que je le dise: les despotes qui tyrannisèrent Romne et les Gaules, sous le titre d'empereurs, avaient sur le retrait lignager des idées plus justes et plus morales que nous. Ecoutons-les dans la loi 14, au Code, de contrahendâ emptione:

Il était depuis longtemps permis aux parents « et aux associés (1) d'empêcher les étrangers

(1) Voilà bien le retrait lignager dont il s'agit ici,

consortibusque concessum erat, ut extraneos ab « emptione removerent, neque homines suo arbi« tratu vendenda dis traherent. Et comme c'est une «< injustice, colorée, il est vrai, d'une vaine appa"rence d'honnêteté, mais qui n'en est pas moins « criante, que les hommes ne soient pas libres « de faire de leur bien ce qu'il leur plaît, nous « ordonnons, en abrogeant cette loi ancienne, "que chacun puisse traiter avec tel acheteur

qu'il jugera à propos. Sed quia gravis videtur « injuria quæ inani honestatis colore velatur, ut homines de rebus suis facere aliquid cogantur « inviti, superiore lege cessata, unusquisque suo « arbitratu quærere vel probare possit emptorem. » C'est, Messieurs, à l'exemple de cette loi justement célèbre, que votre comité a l'honneur de vous proposer le décret suivant :

Art. 1. « Le retrait lignager est aboli.

Art. 2. Toute demande en retrait lignager, qui n'aurait pas été consentie et adjugée en dernier ressort avant la publication du présent décret, sera et demeurerà comme non-avenue; il ne pourra être fait droit que sur les procédures antérieures à cette époque.

Art. 3. Ne seront réputés adjugés en dernier ressort, que les retraits lignagers qui, à ladite époque, se trouveront consommés et effectués.

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sera et demeurera comme non-avenue, et il ne pourra être fait droit que sur les frais des procédures antérieures à cette époque. »>

(L'Assemblee ordonne l'impression du rapport et du décret.)

M. d'Esclaibes (ci-devant comte), député de Chaumont, prie l'Assemblée de vouloir bien lui accorder un congé pour affaires pressantes. Il observe que cette absence sera la première qu'il se sera permise.

L'Assemblée accorde le congé.

M. Merlin, au nom du comité d'aliénation, fait ensuite un second rapport sur le droit d'écart (1).

Messieurs, le même motif qui a porté votre comité de l'aliénation des biens nationaux à vous proposer l'abolition du retrait de bourgeoisie, du retrait de communion et du retrait lignager, lui fait encore une loi de vous proposer celle du droit d'écart ou boute-hors; droit vraiment absurde et barbare, que plusieurs villes des provinces belgiques sont en possession de lever sur les biens qui passent des mains d'un bourgeois entre celles d'un forain ou non bourgeois.

Ce droit consiste à Douai, à Lille, à Bergues, à Cassel, à Bailleul, à Merville, à Honschotte, à Bourbourg, à Bapaume, à Seclin, à la Bassée et à Comines, dans le dixième de la valeur ou du prix des biens sur lesquels on l'exerce; — à Arras, dans le quart des immeubles, et dans la moitié des meubles et des rentes; - à Aire, dans le cinquième denier; à Béthune, dans le septième ; — à Saint-Omer, dans le huitième. La coutume d'Orchies le porte à huit pour cent; celle du pays de Langle le borne au douzième denier; et celle de la Gorgue au treizième.

Les cas où il y a ouverture à ce droit ne sont pas les mêmes dans toutes les villes dont je viens de parler. Mais assez généralement ils se réduisent à quatre, qui sont la perte de la bourgeoisie, la succession d'un bourgeois dévolue à un forain, le mariage contracté entre deux personnes dont l'une est bourgeoise et l'autre étrangère, et enfin l'aliénation entre-vifs.

Ainsi 1° à Bourbourg, à Bergues, à la Gorgue et à Orchies, tout homme qui a encouru la privation de son droit de bourgeoisie, même par le seul changement de domicile, est obligé de payer à la ville dont il cesse d'être bourgeois, le dixième de la valeur de ses biens; et par conséquent celui qui, étant bourgeois de l'une de ces quatre villes, y acquerrait aujourd'hui des biens nationaux, ne pourrait demain quitter ces villes et cesser d'en être bourgeois, qu'en leur payant le dixième de ce qu'il aurait acquis dans leur enceinte.

Ainsi : 2° dans toutes les villes de Flandre et d'Artois, où a lieu le droit d'écart, il y a ouverture à ce droit toutes les fois qu'un étranger succède à un bourgeois; et par conséquent, si mon frère, bourgeois d'Arras, par exemple, acquiert en cette ville des biens uationaux, et vient

confisqué sur moi par la commune d'Arras, parce que, quoi qu'héritier de mon frère, je ne suis pas bourgeois de cette ville.

Ainsi: 3° à Douay, à la Bassée, à Bergues, les biens qu'une bourgeoise apporte en mariage à un forain, sont soumis au droit d'écart;

et par

(1) Le Moniteur contient la simple mention de ce rapport.

conséquent si, sans être bourgeois de l'une de ces villes, j'y épouse une femme qui a précédemment acquis ou hérité de ses parents des biens nationaux, le dixième de ces biens appartiendra à la commune.

Ainsi: 4° dans les mêmes villes, comme dans celles de la Gorgue, d'Honschotte, d'Orchies, de Comines, de Seclin, et dans le pays de Langle, l'écart a lieu toutes les fois qu'un forain vend ou transporte d'une manière quelconque, non seulement à un bourgeois, mais encore à un autre forain; et par conséquent, si, après avoir acheté des biens nationaux dans celle de ces villes dont je ne suis pas bourgeois, il me prend envie de les vendre, ou même de les donner, l'écart en est dû à la ville elle-même, soit que je donne ou vende à un étranger, soit que je donne ou vende à un bourgeois.

Vous sentez, Messieurs, combien toutes ces dispositions barbares peuvent nuire.à la vente des biens nationaux, et de quelle importance il est pour vous de détruire les obstacles qu'elles pourraient apporter tant à la prompte aliénation de ces biens, qu'à la grande concurrence des acheteurs, seu moyen de les faire monter à leur véritable prix.

Je ne m'arrêterai donc pas à vous prouver qu'abroger ces dispositions serait, de votre part, une loi utile; je me borne à établir que ce serait une loi juste, et je n'ai pas besoin de grands efforts pour y parvenir.

Pour que l'abrogation du droit d'écart ne fût pas un acte de justice, il faudrait que ce droit fût, pour les villes qui l'exercent actuellement, une véritable propriété; c'est-à-dire qu'il fût le prix et la condition primitive d'une concession de fonds qu'elles auraient faite à leurs habi

tants.

Or, il est évident que ce n'est point là le caractère du droit d'écart. Une ville ne peut pas avoir existé avant ses habitants: il est donc impossibie que toutes les propriétés des habitants ne soient que des concessions de la ville elle-même; et, dès lors, comment le droit d'écart serait-il une émanation de la propriété foncière? Je le dis avec confiance, il ne l'est pas, il ne peut pas l'être; et je suis d'autant plus ferme dans mon opinion, qu'elle m'est commune avec tous les auteurs Allemands, Hollandais et Flamands qui ont écrit sur ce droit.

Ces auteurs nous indiquent d'ailleurs sa véritable origine; ils nous le montrent dérivant de l'obligation qu'avaient anciennement les habitants d'un même lieu, de se défendre respectivement des attaques de leurs voisins. Vous le savez, Messieurs, les guerres privées étaient tellement dans les mœurs de nos pères, que nos rois n'ont pu arrêter ce désordre que très tard; et elles avaient lieu, non seulement de famille à famille, mais encore de village à village, de ville à ville, de province à province. De là ces confédérations qui liaient entre eux tous les habitants de chaque lieu; de là le soin qu'on prit d'em

fédération ne passassent dans des mains étrangères; de là le retrait de bourgeoisie que vous avez abrogé par votre décret du 13 juin; de là enfin le droit d'écart dont nous vous proposons aujourd'hui de prononcer également l'abolition.

Il est si vrai que telle est l'origine du droit d'écart, il est si vrai qu'on ne doit le considérer que comme un lien imagine pour resserrer de plus en plus les anciennes confodérations, qu'ac

tuellement encore les villes qui jouissent de ce droit, ne l'exercent pas contre les bourgeois des villes avec lesquelles elles se sont jadis confédérées. L'article 3 du titre XVII de la coutume de Bourbourg est, là dessus, très formel; il exempte du droit d'écart les biens des bourgeois qui se retirent de la ville pour aller demeurer dans un lieu confédéré. La coutume de Bergues, qui nous présenté la même disposition, a soin d'indiquer, titre V, article 25, les villes avec lesquelles elle est en confédération, et Bourbourg est de ce nombre.

Il est donc bien clair que si le droit d'écart a eu, dans son origine, un motif sage et politique, il n'a plus aujourd'hui de cause, et ne peut plus être regardé que comme une exaction. C'est ce qui engage votre comité à vous proposer de l'abolir de la même manière que vous avez aboli le droit de franc-fief, c'est-à-dire avec un effet rétroactif qui embrasse toutes les poursuites et toutes les recherches qui auraient été faites jusqu'à présent, ou pourraient être faites à l'avenir, pour raisons d'arrérages et d'échéances de ce droit. C'est l'objet du décret suivant:

. L'Assemblée nationale supprime le droit connu, dans le département du Nord et du Pasde-Calais, sous le nom d'écart, escasse ou bouttehors, et éteint toutes les procédures, poursuites ou recherches qui auraient ces droits pour objet. >

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Art. 2. En exécution du décret sanctionné du 22 janvier, et de la décision du 15 février dernier, aucunes créances arriérées ne seront présentées à l'Assemblée nationale pour être liquidées, qu'après avoir été soumises à l'examen du comité de liquidation; mais, néanmoins, les vérifications et apurements des comptes continueront à s'effectuer comme ci-devant, suivant la forme ordinaire, et devant les tribunaux à ce compétents; l'Assemblée nationale n'entend, quant à présent, rien innover à ce sujet. »

M. de Custine. Je propose d'ajouter que les rapports du comité de liquidation ne pourront être discutés dans l'Assemblée, qu'ils n'aient été imprimés et distribués 15 jours auparavant.

M. Démeunier. L'article me paraît autoriser d'une manière trop vague la chambre des comptes à vérifier et à apurer les comptes. Je proposerais de dire Les vérifications et apureinents des comptes dont les chambres des comptes et autres tribunaux peuvent être actuellement saisis, continueront provisoirement et jusqu'à la nouvelle organisation des tribunaux.

M. Merlin. Le comité de liquidation ne devrait être autorisé qu'à examiner les créances revêtues d'une décision favorable.

M. Lavie. J'appuie d'autant plus volontiers cette proposition, que je sais qu'on a offert deux cent mille livres à un membre du comité, pour appuyer une réclamation.

M. l'abbé Gouttes. Votre comité de liquidation s'est déterminé à vous proposer l'article, tel qu'il vient de vous être lu, par la conviction que des créanciers illégitimes pourraient vouloir vous faire revenir contre des arrêts du conseil, rendus avec une parfaite équité. Les créanciers, pour fournitures de fourrages dans les guerres d'Allemagne, ont eu l'imprudence de m'offrir deux cent mille livres pour appuyer leurs réclamations. Le conseil, convaincu de leur illégitimité, n'a pas balancé d'écarter leurs demandes. J'ai été dans les bureaux avec tous les commis, j'ai examiné, et je suis convaincu qu'il a très bien fait.

M. d'Estourmel. Il n'y a qu'un moyen d'éviter toutes les réclamations; c'est d'ajouter à l'article: visé par l'ordonnateur du département dont ces dettes font partie.

M. Charles de Lameth. Comme les décisions qui vont intervenir sont de la plus haute importance, je voudrais que le comité de liquidation ne pût arrêter aucun projet de décret, qu'en présence des deux tiers de ses membres. Nous donnons toute notre confiance à nos comités, mais du moins faut-il être sûr que ce qu'ils nous proposent a été consenti par un nombre de membres suffisant.

M. de Foucault. Si l'on exigeait des comités qu'ils fussent toujours presque complets pour prendre des délibérations, vous verriez retarder vos travaux. Je demande l'exécution, à la rigueur, du décret qui ordonne qu'on ne pourra être en même temps membre de deux comités.

M. Le Chapelier. Je trouve l'observation de M. de Lameth très juste, et je m'y joins pour l'appuyer. Mais il ne faut pas trop lui donner

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