Page images
PDF
EPUB

son malheur, aux matériaux qu'il emploie. Mais ce qui est, de l'aveu de M. Proudhon, la passion du peuple, est le désespoir de M. Proudhon.

Jugé à ce point de vue, et avec cette disposition d'esprit, je n'ai pas besoin de dire comment l'auteur des Confessions d'un révolutionnaire traite avec ses adversaires politiques, et quelle litière il fait du parti constitutionnel. Ceux qui aiment ce que M. Proudhon appelle la douce, pure et chaste et discrète ironie, peuvent se donner la récréation de lire le chapitre v de son livre intitulé Corruption gouvernementale, et qui est consacré à l'histoire du dernier règne. Quant à moi, je ne me sens pas le courage de cueillir, pour mes lecteurs, les fleurs de haut goût qui émaillent ce prodigieux chapitre. Je reconnais que M. Proudhon a toutes les raisons du monde de nous mettre sous ses pieds; nous sommes à terre. Je reconnais que, quand il fait jouer au roi de Juillet, sur les tréteaux d'une parade socialiste, je ne sais quel rôle absurde et infâme de corrupteur prédestiné, c'est justice. Le roi Louis-Philippe a retardé, par dix-huit ans de prospérité publique et privée, l'avènement de M. Proudhon. Passons donc, Le roi a reçu, depuis Février, bien d'autres atteintes. Son règne se passera, dans l'histoire, des hommages de M. Proudhon.

Mais les amis de M. Proudhon, ses coreligionnaires politiques, la démocratie dont il écrit les Confessions, pouvaient-ils se passer de sa justice? Chose singulière! M. Proudhon poursuit contre eux et châtie dans leurs personnes l'insuccès de sa théorie anarchique. Ils ont pourtant fait preuve de bonne volonté. On est confondu d'étonnement en lisant, en tête de quelques

chapitres de ce livre, ici: Réaction de Louis Blanc; là: Réaction de Ledru-Rollin; plus loin: Réaction Bastide, Réaction Cavaignac. Tout est réaction. Mais quoi! M. Louis Blanc et M. Ledru-Rollin réactionnaires! M. Louis Blanc, précurseur du prince Louis Bonaparte (p. 69), plagiaire de M. Guizot (p. 71); M. Louis Blanc. systématiquement contre-révolutionnaire (p. 231)! Où en sommes-nous?

[ocr errors]
[ocr errors]

Ciel,à qui voulez-vous désormais que je fie

Les secrets de mon âme et le soin de ma vie?

Mais est-ce tout? Nous avons encore la réaction Barbės: « Barbès, que la terreur égare, écrit M. Proudhon, devient réacteur, le 15 mai, pour la troisième fois en trois mois. » Nous avons aussi la réaction Blanqui: Blanqui, Louis Blanc, Ledru-Rollin, Barbès, dit M. Proudhon, représentent ni plus ni moins que Louis Bonaparte le principe d'autorité. » Enfin nous avons la réaction Proudhon; car, à force de voir partout des réactionnaires, M. Proudhon fait comme ce sergent de la comédie qui, ne pouvant plus arrêter personne, parce que tout le monde est en prison, se met en devoir de s'arrêter lui-même. « A force de l'accuser de réaction, dit-il en parlant du président de la République, j'étais moi-même, en voulant l'empêcher, réactionnaire!!! .. >>

Ceci ressemble à une plaisanterie. C'est le fond même de ce livre étrange. Le soupçon plane sur toute cette histoire, le soupçon jaloux, irrité, injurieux, semant l'ironie, versant le fiel, et se retournant parfois, avec une sorte de fureur burlesque, contre lui-même. Je ne triomphe pas, qu'on le sache bien, de cette grande

irritabilité de M. Proudhon à l'endroit de ses amis. Je ne connais rien de plus triste que ce spectacle de la discorde parmi les inventeurs de la fraternité révolutionnaire; mais je ne sais rien de plus instructif. Je me demande, en effet, ce que M. Proudhon peut gagner à faucher ainsi par coupes réglées les hommes qui, depuis deux ans, ont mis la main avec lui, à sa suite ou à ses côtés, au bouleversement de la France. Je cherche le profit de dire : « Le gouvernement provisoire ne fut que farce, parade, contre sens, contrebon-sens... Blanqui avait-il donc si grand tort de vouloir, par un coup de balai populaire, nettoyer ces étables d'Augias, le Luxembourg et l'Hôtel de Ville?... Louis Blanc ni Caussidière n'ont jamais su ce qu'ils faisaient... Raspail et Blanqui étaient des mécontents, Barbès, Sobrier et Cabet des étourdis, Louis Blanc un utopiste plein d'inconséquence, le gouver nement provisoire d'une imbécillité rare, la commission exécutive d'un aveuglement stupide... Le socialisme de la Montagne n'était que mensonge, le ministère du progrès n'était qu'une bêtise... Les rouges, gens de tapage et de bavadarge... Les promoteurs de la manifestation du 13 juin, des enfants terribles! » Oui, je cherchè le motif qui peut pousser le champion d'un parti engagé dans une guerre à outrance, à se retourner ainsi, pendant le combat, la férule à la main, l'ironie à la bouche, contre son corps d'armée. Si c'est ambition de remplacer les chefs, pourquoi disperser les soldats? Si c'est rancune personnelle, où est le désintéressement du sectaire? Si c'est pure moquerie, où est sa conscience? Si c'est entraînement d'indiscipline naturelle, comment se

montrer, au début d'un essai d'organisation sociale, si dépourvu de concert, de dévouement et d'obéissance? Mais l'auteur des. Confessions n'a pas dit son dernier mot. Nous le dirons pour lui. L'orgueil a quelquefois, dans l'esprit d'un penseur, le même effet que la cruauté dans le cœur d'un tyran. Il y a tel sectaire qui monterait sur la tour, comme l'empereur Néron, pour voir brûler Rome. M. Proudhon n'est pas cruel. Il proteste, et il fait bien, quoiqu'un peu tard, contre l'accusation d'avoir admiré, pendant le sac du faubourg SaintAntoine en juin 1848, la sublime horreur de la canonnade. « Un garde national, dit-il, qui m'avait vu verser des larmes sur le corps du général Négrier, vint m'offrir de déposer de ma sensibilité. » La sensibilité de M. Proudhon n'est donc plus en cause. Ce que je veux dire, pour expliquer. son livre, c'est qu'il y a en lui cette amertume du solitaire, cet ignorant mépris du monde réel, ce fanatisme de sa propre pensée, cet inexorable dédain et cette impatience brutale de la contradiction, qui sont les caractères d'un immense orgueil. « Je suis, dit-il quelque part, un conspirateur solitaire. » A ces intelligences, aigries par le recueillement stérile des longues études, jetées hors de toute voie humaine et de toute application positive par l'ivresse habituelle de leurs rêveries, la solitude du foyer domestique ne suffit pas: il y faut en quelque sorte celle du monde entier. Leur repos est à ce prix. Ubi solitudinem fecere, pacem appellant. Tout ce qui se meut dans la sphère de leurs propres idées les gêne; tout ce qui leur fait concurrence les irrite. « Je me suis abîmé d'études, dit l'auteur; j'ai abruti mon âme à force de méditations; je n'ai réussi qu'à enflammer davantage mon irascibi

lité. Pour éteindre cet incendie de sa pensée, M. Proudhon travaille à faire le vide autour de lui. Il ne respirera que dans un espace libre de toute rivalité d'école, sous un ciel qui ne reflète que ses idées, qui n'ait de lumière que pour ses pas, qui n'ait d'échos que pour sa parole. La solitude universelle, c'est sa terre promise. Aussi, M. Proudhon ne pouvant vivre comme philosophe avec des voisins et des rivaux, et n'étant pas d'humeur à les tuer, il les enterre par provision... Vous allez voir que, de proche en proche, cette intolérance le conduit à commander le deuil du genre humain tout entier:

«... Le 13 juin 1849, le néo-jacobinisme, ressuscité en 1830, est tombé le premier pour ne se relever plus. Dernière expression de la démagogie, agitateur sans but, ambitieux sans intelligence, violent sans héroïsme, n'ayant pas quatre hommes et pas de système, il a péri, comme le doctrinarisme, de consomption et d'ina

nité...

[ocr errors]

Du même coup, le socialisme mystique, théogonique et transcendental s'est évanoui comme un fantôme... Le jour où Louis Blanc demanda son ministère du progrès et proposa de transborder et de déménager tout le pays; où Considérant sollicita l'avance de quatre millions et une lieue carrée de terrain pour bâtir sa commune modèle; où Cabet est allé, si j'ose me servir d'une pareille expression, faire pieds-neufs aux ÉtatsUnis, ce jour-là l'utopie gouvernementale, phalanstérienne et icarienne s'est elle-même jugée, elle a donné sa démission.

» Avec le socialisme, l'absolutisme est à la veille aussi de disparaitre... Il n'y a plus de partis doués de force

« PreviousContinue »