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que le roi de Sicile soit ligué avec lui, l'on ne doit pas croire impossible de fermer l'entrée de l'Italie à l'empereur. On me dira mais il tient Mantoue. Cette place, très considérable quand on est descendu des Alpes, ne la couvre pas. Ceux qui voudront en défendre les passages laisseront Mantoue et le Milanais derrière eux et marcheront sur les frontières du Trentin et du Vicentin, et les ministres des Vénitiens, gens très habiles et qui étoient avec moi à Vienne lorsque le prince Eugène entra en Italie, m'assuroient pour lors ce que de plus grandes connoissances nous ont confirmé depuis, que deux mille hommes derrière les défilés du Vicentin pouvoient arrêter toutes les forces de l'empereur. Ainsi, supposé que le roi d'Espagne se rende maître de Naples, il n'a qu'à joindre ses forces à celles du roi de Sicile, bloquer très facilement la garnison de Mantoue et prendre Pitchiditon (Pizzighetone), très mauvaise place à l'extrémité de l'État de Milan du côté du Mantouan.

L'on ne peut douter que l'Italie entière ne concoure à sa liberté.

Le pape sait ce qu'il doit craindre d'un empereur maître de l'Italie. Les Impériaux n'ont rien oublié pour lui en faire sentir la terreur. L'entrée de leurs cuirassiers l'épée à la main dans Rome, Comachio tenu par leurs troupes, la hauteur des ministres et généraux de l'empereur, tout le persuade qu'il sera le premier esclave de la puissance impériale. Les Génois, tous les États de l'Italie, enfin, ont senti, et par des effets et par des menaces, que les anciens droits de l'empereur seront entièrement rétablis sur ses feudataires.

L'Italie n'a que ce moment du siège de Bellegrade pour briser ses fers. Donc, si l'entreprise du roi d'Espagne réussit, il est hors de doute qu'elle concourra unanimement à chasser l'empereur d'Italie.

Examinons maintenant ce qui convient à S. A. R. Elle ne pouvoit, dans ce commencement, prendre un parti plus sage que celui d'avertir le roi d'Angleterre dès les premiers moments qu'elle a su ce dessein, puisque l'on a eu lieu de croire que les sentiments de l'empereur à l'égard de la France, parfaitement expliqués par le prince Eugène à Rastatt et à Bade à M. le maréchal de Villars, étoient changés. Il est très constant que

l'Espagne nous l'a caché. La vérité est toujours d'un grand poids. Ce que S. A. R. a fait dire au roi d'Espagne par le duc de Saint-Aignan est très sage aussi. Mais voyons la conduite que nous avons à tenir dans la suite et, pour cela, ne nous trompons point sur les vues de l'empereur. Il est certain que ce prince ne veut plus aucune véritable et solide alliance avec nous. Les premières ouvertures que le prince de Savoye m'avoit faites à Bade du temps du feu roi, le peu qui en a été fait au comte du Luc à Vienne, les lettres que le prince Eugène m'a écrites depuis, l'assurance que je lui ai donnée que S. A. R. écouteroit avec plaisir les ultérieures connoissances qu'il voudroit bien me donner des bonnes intentions de l'empereur, l'assurance que je lui ai donnée que S. A. R. n'avoit confié ce premier pas qu'à M. le maréchal d'Huxelles et à moi, qu'un très profond secret seroit observé; tous ces pas furent interrompus par les ouvertures que le baron d'Hohendorf, qui paroissoit confident du prince Eugène, fit à S. A. R. et qui n'eurent aucune suite. Penterriedder, ministre habile, n'a été envoyé en France que pour en connaître l'état le plus parfaitement qu'il seroit possible, et les discours qu'il a tenus à M. le maréchal d'Huxelles et même à moi n'ont été que des propos vagues dans lesquels il ne paroissoit aucune bonne intention de former une sincère union.

Nous avons vu depuis l'inquiétude et la douleur de la cour de Vienne lorsqu'elle a su nos traités avec l'Angleterre et la Hollande, et même Penterriedder, le plus habile de tous les ministres que l'empereur emploie dans les cours étrangères, n'a pas quitté le roi d'Angleterre tant qu'il a été à Hanovre. Qui sait même les mesures secrètes qu'il peut avoir prises avec ce prince?

Car, enfin, je crois les Hollandois solides dans les derniers engagements qu'ils ont pris avec nous; mais, pour l'Angleterre, la nécessité présente de nous empêcher de donner des secours au prétendant l'a seule obligée de se lier avec nous. Dans le fond, le parti dominant, et même toute l'Angleterre, hait la France et nous manquera à la première occasion: le roi Georges ayant, d'ailleurs, grand intérêt d'engager des esprits aussi inquiets que ses sujets dans des guerres étrangères. Ce que je crois de solide, je l'ai déjà dit, c'est la Hollande: elle connoît

les sincères intentions de S. A. R. de maintenir la paix. Je crois les autres mesures dont S. A. R. m'a fait l'honneur de me parler assez solides aussi, mais, pour l'empereur, nous ne pouvons douter que son premier objet ne soit d'affaiblir le royaume, et l'on prétend peut-être, avec beaucoup de raison, qu'il n'attend que la première occasion d'éclater. Je conclus donc que nous devons souhaiter que le projet de l'Espagne, s'il regarde le royaume de Naples, réussisse.

Soit que le roi de Sicile en ait connoissance présentement ou qu'il l'ignore, le moment d'après l'événement il se déclarera, et ne peut demeurer neutre dans une telle situation. Si, comme les apparences le veulent, il prend le parti de l'Espagne, ce ne peut être qu'aux conditions d'agir sur le Milanais et de céder la Sicile au roi d'Espagne. Toutes les puissances de l'Italie, ou publiquement ou secrètement, entreront dans cette entreprise, et l'on promettra le Mantouan aux Vénitiens pour les engager. Je sais plus particulièrement qu'un autre les inquiétudes de la République contre la maison d'Autriche, et, dans le temps que l'empereur vouloit partager la monarchie d'Espagne avec le roi, un de ses premiers ministres me parla d'une prophétie que je mandai au roi, et comme, pour lors, l'on n'étoit occupé en France que de faire des ennemis à l'empereur, au lieu de conclure avec lui les magnifiques propositions qui m'étoient faites, ce que j'avois mandé au roi fut communiqué aux ministres de Venise en France et fit une affaire sérieuse à celui de l'empereur qui m'avoit parlé'. Enfin, je ne fais aucun doute, si le dessein du roi d'Espagne regarde le royaume de Naples et s'il réussit, que toute l'Italie ne se ligue avec lui pour empêcher que les impériaux ne rentrent en Italie. J'ai déjà dit qu'il ne faut pas imaginer que cela leur soit fort difficile, mais je crois bien que notre secours leur sera nécessaire, et alors, si l'Italie s'ébranle, je conclus qu'il faut s'unir avec elle, mais attendre ses mouvements sans rien déclarer, faire dire cependant, avec un profond secret, au roi d'Espagne que l'on lui souhaite un heureux succès.

L'on prétend que l'empereur rentrera en Italie avec cinquante

1. Voir, sur les illusions de Villars à Vienne, ce que nous avons déjà dit ci-dessus, I, p. 256, 303; II, p. 253.

mille hommes. On peut en fermer les passages avec un bien moindre nombre, mais il n'y a pas de temps à perdre. Enfin, si, avant que les Alpes soient fermées par les neiges, la ligue d'Italie est formée entre le pape, le roi d'Espagne, le roi de Sicile, Parme, Florence, Gênes et tous les autres États qui pourront s'y joindre et que leurs forces marchent vers les passages du Trentin et du Vicentin, on peut empêcher l'empereur de rentrer en Italie, sinon elle sera esclave de l'empereur, car il n'y a pas de milieu entre la liberté et l'esclavage. L'Italie sera inondée d'Allemands.

Quelques-uns veulent penser que l'empereur lèvera le siège de Bellegrade pour aller au secours de ses États; cela est impossible s'il est vrai qu'il y ait une révolte en Transylvanie. Puisque l'empereur, abandonnant l'entreprise de Bellegrade pour sauver l'Italie, pourroit bien perdre la Transylvanie et la Hongrie, je juge donc qu'il continuera le siège de Bellegrade; mais ce siège-là peut finir dans la fin d'août, et Bellegrade pris, le trajet n'est pas bien long pour gagner le Frioul. Ainsi, il faut que le roi d'Espagne soit maître de Naples dans le mois d'août et que cette entreprise ne lui coûte pas plus de temps qu'il n'en a fallu, il y a quelques années, au cardinal de Grimani pour faire soulever tout le royaume en faveur de l'empereur.

Je répéterai donc que, si nous voyons une ligue de l'Italie, nous devons, non seulement y entrer, mais la soutenir fortement. Les partis de ménagements ne conviennent pas. L'empereur est notre ennemi secret; ne le ménageons pas dès que nous verrons une puissante occasion de lui nuire. Une conduite molle et douteuse ne nous garantira qu'autant qu'il sera obligé d'attendre une occasion sûre de nous nuire; et, bien que l'état présent du royaume exige que l'on préfère la paix et la tranquillité à toute autre vue, c'est l'assurer que d'entrer dans des guerres étrangères et faire une puissante diversion contre notre plus capital ennemi.

Le maréchal de Villars dit même plusieurs fois au duc d'Orléans ces paroles : « Nous sommes tous persuadés que vous désirez la vie du roi, comme nous la désirons tous tant que nous sommes; mais il n'y a

du

personne qui puisse s'étonner que vous portiez vos vues plus loin. Comment les mesures que tout particulier prendroit dans sa famille lorsqu'une succession le regarde ne seroient-elles pas approuvées dans un prince auquel la succession du royaume de France peut légitimement tomber? Vous ne pouvez y avoir de concurrent que le roi d'Espagne par la proximité sang. Ce prince veut s'agrandir en Italie. Plus vous contribuerez à son agrandissement, moins il sera tenté et plus il lui sera impossible de vous troubler dans vos prétentions à la couronne si Dieu nous affligeoit de la perte de notre roi. Vous pouvez faire durer la guerre des Turcs, et, pendant ce temps, il seroit aisé au roi d'Espagne et au roi de Sardaigne de chasser l'empereur de l'Italie et de l'empêcher d'y rentrer jamais. Vous avez des alliés tout disposés dans le nord, la Suède, le roi de Prusse; le czar même, qui est venu dans votre cour vous proposer des alliances, veut bien faire sa paix avec la Suède et s'unir à vous. L'Angleterre, au moins en partie, est disposée à recevoir son roi légitime. Suivons les vues que la gloire de la nation et la proximité du sang vous inspirent plutôt que celles qui, à la fin, vous mèneront à faire la guerre au roi d'Espagne. »

«

On parla au conseil sur cette matière, et le maréchal de Villars fit voir qu'il étoit très aisé de fermer l'entrée des armées impériales en Italie. « Je puis, dit-il au conseil, en parler plus solidement que personne puisque j'ai servi et commandé des armées en Lombardie et sur les frontières du Tirol. » Le duc d'Orléans, sur la proposition du maréchal, lui dit : « Vous allez au grand. >> Le maréchal répondit : « Mes pre

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