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son retour pour demander sa charge au roi, et que Sa Majesté étoit assez mal. Sur ces nouvelles, le maréchal envoya un courrier à Paris, résolu d'en attendre le retour à Saint-Laurent-des-Eaux. Durant l'intervalle, il alla à Blois où il vit la reine de Pologne1 qui le reçut avec une grande politesse et le fit asseoir. Elle étoit dans un âge fort avancé et cependant mise avec beaucoup de mouches et de rouge, ayant pour sa personne les soins que les reines qui ont été galantes conservent plus longtemps que les autres femmes.

L'Éguille2, lieutenant-colonel de Bourbonnois, passant en poste, vint trouver le maréchal de Villars et lui dit que le roi étoit mal, que l'on avoit appelé quatre médecins de Paris, circonstance qui porta le maréchal de Villars à augurer très mal de la santé de ce prince, connoissant assez l'opiniâtreté du premier médecin pour ne pas douter qu'il n'auroit pas demandé du secours si le roi n'avoit été dans un grand péril. Ce même L'Éguille, homme de mérite et très sensé, parla aussi au maréchal du danger où étoit M. de Maisons, et, sur ce qu'il en dit, le maréchal n'hésita pas à retourner à Paris.

Près d'Étampes, il reçut un courrier de la maréchale qui lui apprenoit la mort de M. de Maisons, et

1. Marie-Catherine de la Grange-d'Arquien, veuve de Jean Sobieski, à laquelle Louis XIV avait offert l'hospitalité dans le château de Blois. Voir Saint-Simon, X, 205.

2. Marc-Antoine, chevalier d'Aiguille, entré au régiment de Bourbonnais en 1673, y servit quarante-six ans, dont vingt-sept comme capitaine, fit toutes les guerres de Louis XIV, fut souvent blessé; nommé brigadier en 1719, il reçut comme retraite la lieutenance de roi du Château-Trompette, où il mourut en 1725.

que la famille le prioit d'aller tout droit à Versailles. On lui envoya sa chaise de poste à Sceaux, et il alla trouver le roi, qui eut la bonté de lui dire en le voyant : « J'ai donné la charge de président à mortier, ainsi que vous l'avez désiré. » M. le chancelier Voysin s'étoit servi du nom du maréchal de Villars en la demandant au roi pour le fils.

Depuis trois jours le roi avoit une fort grande douleur à une jambe. Il s'en étoit senti quelques jours auparavant, mais elle étoit augmentée au point qu'il ne s'appuyoit plus, et qu'on le rouloit sur un petit lit pour venir à l'ordinaire faire ses repas devant les courtisans.

Comme cette maladie étoit très dangereuse, le maréchal ne voulut pas que le roi pût penser qu'elle fût la cause de son retour; ainsi il pria le duc de Tresmes de le prévenir, et de lui dire que la famille de M. de Maisons lui avoit envoyé un courrier pour le faire revenir.

Outre la douleur de jambe dont nous avons parlé, le roi avoit la fièvre depuis plusieurs jours, et son médecin avoit soutenu jusqu'à l'extrémité qu'il n'en avoit pas; on le disoit même encore. Mais il ne dormoit point et buvoit vingt verres d'eau pendant la nuit.

Le premier médecin et Maréchal, premier chirurgien, avoient eu une grande dispute quinze jours auparavant en présence de Mme de Maintenon, et peu s'en fallut que Maréchal ne fût renvoyé.

Le roi, après les premières paroles qu'il dit au maréchal de Villars sur la charge donnée au fils de M. de Maisons, ajouta : « Vous me voyez bien mal, monsieur le maréchal.» « Votre Majesté, accou

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tumée à beaucoup d'exercice, se croit mal pour une incommodité qui l'empêche d'en faire,» répondit le maréchal. « Non, › dit le roi, « je sens de très grandes douleurs. »

Après cela, il lui parla de la reine de Pologne que le maréchal avoit été visiter à Blois, des hôtelleries de la route, des lits et des meubles qu'il y avoit vus. Il est certain que ce sont les seules du royaume qui soient richement meublées. Autrefois, la plupart avoient même de la vaisselle d'argent, et le roi se souvint, et des lits, et des miroirs qu'il avoit vus dans ces maisons, et qui y étoient encore presque les mêmes partout. « Vous irez apparemment coucher ce soir à Paris, ajouta le roi, « je veux espérer que vous me trouverez mieux à votre retour. »

Les funérailles de M. de Maisons se firent le vendredi, et, le samedi matin, Contade, major du régiment des gardes, envoya un courrier au maréchal de Villars pour lui dire que le roi étoit fort mal. Le maréchal partit sur-le-champ, et trouva en effet le mal extrêmement augmenté. La douleur de la jambe étoit plus violente, mais elle s'étendoit vers la cuisse, et le bas de la jambe demeuroit insensible, en sorte que, dès le samedi au soir, on commença à désespérer.

La nuit du samedi au dimanche fut plus fàcheuse que les précédentes. C'étoit le jour de saint Louis, fête du roi. Il voulut que les tambours du régiment des gardes, suivant l'usage, battissent sous les fenêtres. Il parloit au père Le Tellier, son confesseur, et ce prince dit : « Ce bruit trouble un peu la conversation, laissons-les faire. » Il entendit la messe, et ayant ordonné aux médecins de lui parler nettement sur son

état, ils ne lui cachèrent pas le péril où il étoit, et, pour ainsi dire, commencèrent son agonie huit jours avant sa mort, qu'il employa à donner tous les ordres avec une fermeté et une netteté d'esprit surprenantes, parlant de l'habit que l'on devoit faire au jeune roi pour le mener au Parlement, et de tout ce qui regardoit sa fin et le transport de son corps à Saint-Denis, comme s'il n'eût pas été question de lui.

Il brûla beaucoup de papiers en présence de MTMo de Maintenon et de M. le chancelier Voysin, demandant les différentes cassettes où il savoit qu'ils étoient enfermés. Il ajouta un codicille à son testament, et peu de jours avant sa mort, après la messe, il parla aux principaux de sa cour avec une force et une éloquence dignes d'admiration. « Je vous recommande, » leur dit-il, « le jeune roi. Il n'a pas cinq ans. Quel besoin n'aura-t-il pas de votre zèle et de votre fidélité? Je vous demande pour lui les mêmes sentiments que vous m'avez montrés en tant d'occasions. Je lui recommande d'éviter les guerres; j'en ai trop fait, et elles m'ont forcé à charger mon peuple. J'en ai grand regret et j'en demande pardon à Dieu. »

Il recommanda aux cardinaux de Rohan et de Bissy les affaires de la religion, et leur dit que c'étoit une véritable douleur pour lui de n'avoir pu les terminer, mais que, si Dieu lui avoit donné quelques jours de plus, il auroit espéré de faire cesser les divisions.

Le cardinal de Noailles demanda à le voir1. Le roi

1. Saint-Simon (XI, 444) attribue au contraire au roi le désir de voir le cardinal de Noailles, et aux cardinaux de Rohan et de Bissy le conseil donné au roi de mettre à cette visite suprême

répondit qu'il en seroit très aise pourvu qu'il revînt de l'opiniâtreté qui formoit les troubles de l'Église de France. Enfin il n'y eut pas un seul jour qui ne marquât par quelque trait de force, de bonté, mais surtout de piété, les grandes et saintes qualités de ce grand roi. On peut croire que les derniers jours de sa vie furent vifs par les intrigues. Le duc d'Orléans se défioit de la part que le roi lui donnoit à la régence, et ménageoit tout le monde.

Il y avoit depuis quelques mois une affaire entre les Pairs de France et le Parlement. Elle avoit fait beaucoup de bruit et causoit diverses intrigues.

Les princes légitimés ayant obtenu par un édit le rang, les honneurs et la faculté de parvenir à la couronne après tous les princes du sang, on avoit fait voir à M. le duc du Maine qu'il n'étoit plus de son intérêt de s'opposer au bonnet. C'étoit en cela principalement que consistoit la dispute entre les ducs et le Parlement. Le premier président de Harlay avoit dit au roi que, pour assurer à ses fils naturels les honneurs que Henri IV avoit autrefois donnés à MM. de Vendôme, il falloit que les princes légitimés, ayant plus que les Pairs, eussent aussi moins d'honneurs au Parlement que les princes du sang, que par là ces premiers seroient engagés à soutenir un degré qui mettoit les Pairs encore plus au-dessus d'eux.

L'usage étoit établi depuis plusieurs années (car les Pairs ont prétendu que c'étoit une nouveauté, mais on n'entreprend pas de s'étendre sur cette matière),

la condition de l'acceptation préalable de la « Constitution, »> condition qui empêcha la venue de l'archevêque de Paris.

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