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1715. La ville de Marseille, l'une des plus puissantes du royaume, étoit dans un grand désordre. La Provence même, accablée de dettes, avoit porté le roi à donner un arrêt d'attribution à quelques conseillers d'État, à la tête desquels étoit M. de Harlay, pour chercher quelque remède aux malheurs de cette province.

Le maréchal de Villars demanda cette commission au roi qui le nomma premier commissaire, qualité qui avoit été donnée autrefois au prince de Conty, gouverneur de Languedoc, et dont il n'y avoit presque que ce seul exemple.

Le roi craignit que le maréchal de Villars ne songeât à se retirer de la cour, et marqua cette inquiétude à M. Desmaretz, ministre des finances. Celui-ci en parla au maréchal de Villars comme d'une résolution qui feroit une véritable peine au roi. Le maréchal pria M. Desmaretz d'assurer Sa Majesté qu'il n'avoit jamais eu une pareille intention, mais que, se voyant absolument inutile, il avoit cru de son devoir de ne pas perdre une occasion de servir le roi, en travaillant à tirer la ville de Marseille et toute la Provence de l'état fâcheux où ces prodigieuses dettes l'avoient plongée.

Le roi, rassuré sur un dessein qui lui avoit fait de la peine, laissa au maréchal de Villars la liberté de choisir les commissaires qu'il voudroit pour former une cour de justice, et le maréchal proposa M. Le Bret, premier président du parlement d'Aix et intendant de Provence, M. de Boulbon, président à mortier, M. de Bézieux, président, M. de la Garde, procureur général, et M. le marquis de Muy, conseiller.

Le roi quitta Fontainebleau, et, cherchant toujours à marquer son estime et son amitié au maréchal de

Villars, il lui dit qu'il ne le trouvoit pas assez bien logé dans un appartement qu'avoit occupé autrefois le comte d'Auvergne, et que, sa blessure lui rendant les appartements hauts difficiles, il lui avoit destiné celui qu'occupoit autrefois monseigneur le dauphin, et qu'il le partageroit avec madame la duchesse de Berry. C'étoit une faveur bien distinguée.

Ce grand et bon roi, rempli de reconnoissance pour les services importants que le maréchal de Villars lui avoit rendus, ne perdoit guère d'occasions de lui en marquer son ressentiment.

Il se fit apporter les plans de l'appartement dont on vient de parler, il ordonna lui-même les changements qu'il croyoit nécessaires pour la commodité du maréchal, et dit que les gens de guerre seroient bien aises de voir leur général bien logé, et d'avoir de grandes pièces pour se retirer chez lui. Il est certain, en effet, qu'après l'appartement du roi, celui de la reine et de madame la duchesse de Berry, celui-là étoit le plus beau de la cour.

Le maréchal de Villars crut devoir différer son voyage de Provence, et dit au roi que, comme il étoit obligé d'aller, pour sa blessure, à Barrège, il remettoit son départ au mois de septembre.

Le roi résolut de passer à Marly la plus grande partie de l'été, et donna le second pavillon au maréchal de Villars, le premier étant occupé par M. le Duc. Le maréchal y tenoit une table très délicate, et recevoit tous les jours des marques de la bonté du roi.

Un jour qu'il le joignit à la chasse, le roi, fort adroit, avoit manqué plusieurs coups, mais, sitôt que le maréchal de Villars fut arrivé, Sa Majesté en tira quatre fort

justes. Elle dit au maréchal de Villars: « Vous m'avez porté bonheur, car jusqu'à votre arrivée j'avois mal tiré, vous êtes accoutumé à rendre mes armes heu

reuses. D

L'Académie françoise, qui voulut donner une de ses places au maréchal de Villars, le choisit pour remplir la première vacante. L'usage est que l'académicien reçu qui est harangué doit commencer aussi par une harangue, et le même usage prescrit que cette harangue soit à la louange du roi, du cardinal de Richelieu fondateur de cette Académie, et de celui dont on remplit la place.

Le maréchal dit au roi qu'il étoit obligé à une sorte d'éloge de Sa Majesté dans lequel son esprit étoit plus embarrassé que son cœur, qu'il étoit bien difficile de la louer dignement, et qu'il la supplioit de lui permettre de parler d'une chose dont lui seul avoit connoissance, c'est de ses nobles sentiments lorsqu'elle lui fit l'honneur de lui demander le sien sur le parti qu'elle avoit à prendre s'il perdoit une bataille dans la situation où étoit la frontière et les affaires du royaume. Nous répéterons ce que nous avons déjà dit le roi venoit de perdre, en quatre jours, monseigneur le dauphin, la dauphine et le dauphin leur fils; les finances étoient épuisées, et la frontière du royaume étoit presque pénétrée. Il n'y avoit plus qu'une bataille que les ennemis cherchoient apparemment qui pût sauver l'État, mais le mauvais succès pouvoit aussi en entraîner la ruine entière.

:

Dans cette situation, le maréchal de Villars recevant les derniers ordres du roi, ce grand prince lui dit ces paroles : « Vous partez, M. le maréchal, je n'ai rien

à vous dire sur ma confiance et mon estime pour vous: le sort de l'État que je remets entre vos mains marque assez que l'une et l'autre est au plus haut point. Je veux que vous me disiez quel parti vous me conseilleriez, pour ma personne, si vous perdiez une bataille. Les discours des courtisans me reviennent. Les uns veulent que j'aille à Orléans, d'autres que j'aille plus loin encore. Que pensez-vous? >

Le maréchal de Villars, étonné d'une question si importante, demeura dans le silence. Aussi étoit-il difficile d'y répondre sans réflexion. « Je ne suis pas surpris, » lui dit le roi, « que vous hésitiez sur ce que vous devez me dire, je crois même que je vous ferai plaisir en vous confiant ce que je pense. Voici mon raisonnement : les batailles ne se perdent pas si entières que la plus grande partie de l'armée ne se retire. Je compte que ce qui vous resteroit de forces se pourroit rassembler sur la Somme; j'irois vous joindre là, en vous menant tout ce que je pourrois rassembler de troupes des armées mêmes de l'Allemagne, et alors nous tenterions une dernière aventure. Je suis déterminé à périr dans ce dernier effort ou à soutenir mon royaume que je croirois perdre si je ne mettois pas toujours ma capitale derrière moi1. »

Cette résolution, si digne d'un grand roi, n'étoit connue que du maréchal de Villars, et il le supplia de lui permettre d'en parler dans sa harangue.

Le roi rêva un moment et lui dit : « On ne croira

1. Villars a déjà raconté cette scène au commencement de l'année 1712 (ci-dessus, tome III, p. 138): les expressions qu'il met dans la bouche du roi sont un peu différentes, mais le sens est le même.

jamais que, sans m'avoir demandé la permission, vous parliez de ce qui s'est passé entre vous et moi : vous le permettre et vous l'ordonner seroit la même chose, et je ne veux pas que l'on puisse penser ni l'un ni l'autre. »

Le maréchal de Villars fit donc sa harangue sans y faire entrer ce trait si glorieux au roi. On la trouvera ici, elle fut fort approuvée.

Discours prononcé le 23 juin 1714 par M. le maréchal duc de Villars, lorsqu'il fut reçu à la place de M. de Chamillart, évêque de Senlis.

Messieurs,

Si l'honneur que vous avez bien voulu me faire de m'admettre dans une Compagnie composée des plus rares et des plus sublimes génies m'avoit été destiné par les raisons les plus propres à décider votre choix, j'aurois juste lieu de craindre que ce premier pas, qui doit être une preuve d'éloquence, ne vous portât à quelque repentir. Mais j'ai pensé que votre assemblée, déjà remplie de tout ce que l'esprit a de plus illustre, et, rassasiée de cette gloire, pouvoit ne plus songer à l'augmenter, el que, principalement attentifs à celle du roi, vous avez voulu avoir parmi vous un des généraux qui a le plus servi sous un si grand maître, et qui puisse, par quelques récits, fortifier les idées que vous avez déjà de sa grandeur et de sa gloire. Et je crois devoir la grâce que vous me faites aujourd'hui au bonheur que j'ai eu de voir souvent, et dans la guerre, et dans la paix, résoudre, ordonner, et quelquefois exécuter par ce grand roi, ce qui lui a si justement attiré notre amour, causé la jalousie des nations voisines, et enfin l'admiration de toute la terre.

Dans la prospérité, nous avons vu sa modération, sa sagesse. Dans les revers de la fortune, sa fermeté a dissipé les craintes, relevé les courages de tous ceux qui, par zèle, prudence ou foiblesse, vouloient entrevoir les plus grands malheurs. Son intrépidité dans de tels moments, cette grande science de pénétrer et renverser les projets de ses ennemis, la véritable gloire,

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