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place du Roy d'Espagne et se lier les mains pour ne pouvoir le secourir. Vous levés sans nécessité l'obstacle que l'Archiduc trouve dans le traitté de neutralité d'Italie, et l'Archiduc prend avec le Roy le titre de Roy Catholique sans qu'en aucun endroit il soit fait mention du Roy d'Espagne. On ne peut pas proposer de retirer les trouppes du Palatinat que le Roy ne soit sûr de la paix avec l'Empereur par la ratification du traitté à faire avec les Estats de l'Empire. Les contributions et autres impositions ne peuvent aussi cesser que de ce mesme jour; cela n'a jamais esté demandé ny accordé autrement dans tous les traittés de paix. Vous pouvés voir ceux d'Utrecht qui sont les derniers. J'ay toujours compris qu'il estoit nécessaire que M. de Torcy fist icy un projet de traitté tel que le Roy veut bien qu'il soit signé, de mesme que M. le Prince Eugène a fait dresser de son costé le projet qu'il vous a remis. Vous recevrés ce projet au premier jour; c'est vostre sûreté et descharge. Les articles dont vous estes convenu pour les places d'Alsace que le Roy doit garder ou rendre, et pour ce qui regarde les Électeurs, y seront nettement expliqués. On connoistra bientost si l'Archiduc veut la paix. Je croy beaucoup plus la continuation de la guerre et il faut s'y bien préparer. Vous pouvés commencer à faire vos projets pour la campagne prochaine.

Il me vient une idée : supposés que vos conférences se rompent: le Prince Eugène retournera diligemment à Vienne : les lignes d'Ételingue ne sont gardées cet hiver que par de foibles détachements des trouppes des Cercles, il y en a très peu de l'Empereur. Il seroit facile de rassembler, en très peu de tems, bon nombre de trouppes de celles qui sont sous le commandement de M. le comte du Bourg ou sous celuy de M. le comte de Broglio, et, en faisant semblant de vous arester quelques jours à Strasbourg pour venir icy, vous pourrés peut-estre faire attaquer et surprendre ces lignes mal gardées par de mauvaises trouppes. Le pain seroit voituré par batteaux il y a à Strasbourg 200 chevaux d'artillerie pour mener quelques pièces de canon, le reste des munitions seroit porté par des charriots du païs. On pourroit en mesme temps faire paroistre un petit corps du costé de Mayance et Coblentz et un autre vers les montagnes qui vont à Filingue. Cette expédition, si elle réussissoit, vous ouvriroit un beau païs pour la campagne prochainne et vous feroit plus d'honneur qu'une bataille gaignée, sans qu'il vous en coutast peut-estre beaucoup. Je scay bien que vous avés un passage dans l'Empire par Fribourg, mais vous en connoissés aussi touttes les difficultés pour les voitures, et, quand mesme celuy par Philisbourg ne seroit pas le meilleur et le plus com

mode, il est certain que si vous aviés les deux, il ne seroit pas possible aux ennemis de les guarantir et deffendre touts deux également. M. de Contades se trouve encore heureusement avec vous; le moment de la rupture des conférences, si elles se rompent, sera celuy où vous trouverés les ennemis moins précautionés, et que je croy qu'il ne faudroit pas perdre; les trouppes, encouragées par vostre présence, ne trouveroient pas la besogne difficile et l'expédition dureroit si peu que ce ne seroit pas une grande fatigue. Ces lignes seroient bientost rasées si vous en estiés le maistre.

(Minute autogr. Dépôt de la guerre, 2472, fol. 330.)

23. Villars à Voysin.

Au chasteau de Rastadt, ce 28 janvier 1714.

Je vois, Mr, par la lettre que vous me faittes l'honneur de m'écrire, que vous ne contés plus sur la paix et le principal article de rupture est Portolongone. Il paroît, par les observations de M. de Torcy, que cet article pouvoit s'accommoder par la principauté de Mad des Ursins: donc, Mr, si la guerre continue dans l'Europe, ce sera l'intérest de Made des Ursins qui en sera la première cause.

Je respecte les observations, mais je ne croiray jamais qu'il soit bien important de mettre quelque fois sur les restitutions, tantôt au Roy, tantôt à la France, que l'on ne doit pas dire reconnoître l'Électeur d'Hanover, mais le duc d'Hanover pour Électeur. Enfin, Mr, il y a bien des choses de cette force-là; et en un mot quand on veut donner des leçons à un homme comme moy à la teste des armées de France depuis douze ans, je crois mériter des circonspections, surtout dans les bagatelles.

Je vous diray, Mr, que je trouve par la suitte ce que j'ay préveu, c'est que le Roy et vous rendriez Mr de Torcy mon ennemy mor. tel, et j'avoue qu'en sa place je serois vivement touché de voir que vos courriers m'apportent toutes les dépêches, que tous les miens vont descendre chez vous, d'autant plus que depuis la fin de la campagne, il n'est question que des négociations. Vous m'avez défendu de m'éclaircir avec luy sur des ordres du Roy envoyés par vous, contraires à des ordres de Sa Majesté envoyés par luy. Qu'arrive-t-il de tout cela? c'est que j'en suis la victime, et que je reçois mille dégoûts dans une négociation, suitte de la campagne la plus glorieuse qu'ayent fait les armées du Roy, et lorsque tout

le monde me croit chargé de la plus importante commission de l'Europe; je vous observe, M', que je ne l'ay point du tout désirée et que ce que je souhaittois le plus étoit d'aller de Fribourg à la

cour.

J'ay communiqué à M. de la Houssaye tout ce que vous me faittes l'honneur de me mander sur le renouvellement de la guerre; ny luy ny moy ne trouvons pas l'entreprise possible présentement par une infinité de raisons; mais j'y en ajouteray une, c'est que forcer des lignes, quand même cela se pourroit, lorsque l'on ne peut agir au delà ny y séjourner long tems, est absolument inutile, et il en arriveroit la même chose que de cette assemblée et marche de troupes il y a trois ans pour forcer les lignes de la Deulle et combler cette rivière et l'Escarpe : les ennemis y revinrent et rétablirent en huit jours ce que l'on avoit détruit en quatre. Ainsy donc, Mr, vous me permettrez de vous prier de trouver bon que, le Prince Eugène partant, je parte en même temps pour la cour, ayant grande impatience d'avoir l'honneur de vous revoir et de vous assurer moy-mesme que je suis, etc.

P. S. Mr de la Houssaye et M. de Contades, gens de bon esprit qui voyent comme moy tout prest à se rompre, me conseillent de vous dépêcher ce courrier, et j'y consens d'autant plus volontiers que j'ay trouvé dans plusieurs de vos lettres que vous aviez toujours soutenu que la paix se conclueroit icy plutôt qu'ailleurs; peut-estre que le dessein de plusieurs est que cela n'arrive pas. Ces MM. savent comme moy par diverses raisons que si la paix ne se fait pas à présent vous ferez la campagne, et peut-estre la paix deviendra-t-elle impossible, à tel point que nous ne la reverrons de dix ans. Les mesures sont: presser à se prendre avec les plus puissans princes de l'Empire pour la continuation de la guerre aux dépens des États du Roy de Suède et de ceux des Electeurs de Cologne et de Bavière; les trois plus puissans Électeurs, et les plus éloignés de nos opérations, espèrent à ces partages. Si cette partie est liée et que la reine d'Angleterre, que l'on dit à l'extrémité, vint à manquer et que les Wigts prennent le dessus nous nous retrouverons peut-estre dans l'horrible guerre dont nous sortons et de laquelle les bons ordres du Roy, vos sages précautions et ma conduitte dans les armées nous ont tiré. En vérité, Mr, je ne puis m'empêcher d'avoir l'honneur de vous dire que mes réflexions sur les guerres que j'ay faittes ne me rendent pas assez docile sur les leçons des observations.

Peut-être, Mr, que l'on veut la guerre en France au lieu de la

paix qui m'avoit paru si désirable. Si cela est, on donne beau jeu au caractère opiniâtre de l'Archiduc.

(Orig. Dépôt de la guerre, 2506, no 125.)

24. Villars à Voysin.

A Rastadt, le 6 février 1714.

Si vous voullés la paix, Mr, elle est faitte, et je ne balanceray pas à vous dire que je l'aurois signée, sans les raisons que vous en trouverés dans la lettre de Sa Majesté ; je vous supplie de croire que, si vous la manqués présentement, vous ferés non seulement cette campagne, mais peut-estre plusieurs autres; et pourquoy ne finiroit-on pas ? Le Prince Eugène ayant passé tout ce que nous désirons, et la tranquillité de l'Italie si bien establie, stipulée, promise, au point que l'Empereur ne peut la troubler en façon du monde, que le Roy ne soit libre de la soutenir, et ce seroit une conduitte bien habille à l'Empereur de se séparer de l'Empire pour renouveller la guerre. En vérité, les raisonnements que quelques personnes m'ont fait là-dessus sont si éloignés de vraysemblance qu'ils ne méritent pas que l'on y réponde.

Au reste, Mr, je supplieray S. M. de vouloir bien que je luy redise les observations qui m'ont esté envoyées; la pluspart, en vérité, ne sont que pour persuader au Roy que je suis un très mal habille homme, et je vois bien que quelques-uns de ceux qui y ont travaillé disent que Mrs les généraux d'armée s'en tiennent à leur guerre et ne se meslent pas des traittés; ils n'y entendent rien; en vérité celuy-cy ne ressemblera pourtant guerre à ceux de Gertrudemberg. Je vous avoüe, Mr, que je suis vivement piqué que l'on ait pu dire que j'avois consenty à des propositions plus honteuses, et si Sa Mté n'a pas la bonté d'imposer silence à de pareilles impostures, il n'y a point d'homme de bien qui ne soit au désespoir pour moy j'en suis outré, bien que ces fripons, menteurs, impudents soient bien confondus par ce qui va estre publié. Car j'ay l'honneur de vous dire que les articles que j'envoye au Roy sont connus de ce qu'il y a de gens principaux auprès du Prince Eugène, lesquels s'escrient que si on ne veut pas la paix après les conditions offertes, il faut s'attendre à n'en voir plus que par l'abattement d'un des partis, et je vous supplie de ne point conter que nous l'ayons par l'Angleterre ny par la Hollande; ces deux puissances ne seront pas fâchées de nous voir continuer.

Je vous répette que sur les observations, Mr, on m'a un peu traitté en écolier, mais je vous aurois esté bien obligé de dire au

moins à la mareschalle de Villars que je ne suis pas aussy extravagant que l'on a voulu le publier.

Je dois, Mr, vous expliquer et vous supplier d'avoir grande attention que j'ay donné ma parolle d'honneur au Prince Eugène de lui mander véritablement, si dans les premiers ordres que j'attens de S. M. sur les articles que je luy envoye présentement (et dont on ne scauroit avoir le temps de vous envoyer copie), si, dis-je, sur lesdits articles, Sa Majesté ordonneroit quelque changement essentiel, auquel cas tout est rompu; il ne reviendra plus. S'il n'y avoit que quelque difficulté sur la forme, elle n'arresteroit pas.

(Orig. Dépôt de la guerre, 2506, no 138.)

25. Villars à Voysin.

A Strasbourg, le 8e février 1714. Je vous rens mille grâces, Mr, de l'explication que vous voullés bien me donner sur le cérémonial avec Mr l'Électeur de Tresves. Je suis résolu, comme vous me faites l'honneur de me le conseiller, d'attendre la première lettre pour luy répondre et en attendant faire connoistre, si l'occasion s'en présente, ce qui a suspendu sa réponse.

Me voicy, Mr, dans la bonne ville de Strasbourg où je vas un peu courir le bal et la comédie et me divertir, car après un peu de chagrin que l'on m'a donné très injustement, je sçay secouer parfaittement bien toutes ces malignités de cour que vous aurés trouvé peu fondées si vous avés lu mes instructions. Je scais bien que je ne m'en suis écarté en rien, et si je les avois suivies à la lettre en dernier lieu, j'aurois signé. J'ay pris conseil, et il a été que si le Prince Eugène m'avoit pressé de rompre ou de signer, je ne pouvois m'empêcher du dernier; je suis convaincu que j'aurois fort bien fait pour le bien de l'Estat et que vous n'aurés jamais de paix si avantageuse, à moins que l'Empereur n'ait la corde au col; c'est le terme du Prince Eugène, lequel a bien juré que jamais on ne l'attrapera à se charger de faire de paix, ny moy non plus, sur ma foy. Que Mrs les ministres viennent y travailler

eux-mesmes.

J'attends les ordres du Roy avec impatience, car, malgré les plaisirs de Strasbourg, je voudrois fort estre dans ma maison; il est temps de se tenir un peu en repos; le Prince Eugène me disoit : « au moins si la paix ne se fait pas, ce congrès ne coustera pas grand argent à nos maîtres. Il dit que celuy d'Utrecht a

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