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Il avoit été résolu que les ambassadeurs du roi, de l'empereur et de la plupart des puissances de l'Europe se trouveroient à Bade en Suisse, ville choisie pour la signature de la paix générale. Les plénipotentiaires de la part du roi étoient M. le comte du Luc1 qui étoit ambassadeur en Suisse. Ce devoit être, pour homme de robe, M. de la Houssaye2, mais la dignité de conseiller d'État ne lui permit pas de passer après le comte du Luc qui étoit nommé; pour second, ce fut M. de Saint-Contest3, maître des requêtes, intendant des évêchés, et qui l'avoit été dans les armées qu'avoit commandées le maréchal de Villars. Les plénipotentiaires de la part de l'empereur étoient les comtes de Goës et de Seilern. Ils arrivèrent à Bade dans le mois de juillet. Le prince Eugène et le maréchal de Villars, comme chefs de l'ambassade de leurs maîtres, devoient s'y rendre le septième jour du mois de septembre.

Il est certain que, pour lors, l'intention du roi et de l'empereur étoit de s'unir véritablement d'intérêt avec le roi d'Espagne. Celui de la religion fortifioit les intentions de ces trois puissances, et, en effet, l'empereur n'ayant pas de prince, il étoit de la dernière importance de prendre des mesures pour que l'Empire ne devînt pas alternatif entre les catholiques et les

1. Ch.-Fr. de Vintimille, comte du Luc, fut ensuite ambassadeur à Vienne et conseiller d'État. Son frère fut archevêque d'Aix et de Paris.

2. Félix Le Peletier de la Houssaye, que nous avons déjà vu intendant d'Alsace, et qui devint contrôleur général sous la régence.

3. Dom.-Claude de Barberie de Saint-Contest avait été intendant de Metz, devint conseiller d'État et fut plénipotentiaire au congrès de Cambrai (1724).

protestants objet que ces derniers avoient depuis longtemps.

Le maréchal de Villars, qui devoit rejoindre le prince Eugène, étoit chargé de le porter à former un plan pour faire cesser les troubles du Nord, où la guerre étoit encore allumée entre la Suède, le Danemarck, la Pologne et la Moscovie.

Le roi chargeoit aussi le maréchal de savoir du prince Eugène quels étoient les sentiments de l'empereur sur le roi d'Angleterre, connu sous le nom de chevalier de Saint-Georges, et l'on parloit alors de le marier avec la fille aînée du prince Charles de Neubourg. Enfin, il devoit traiter aussi avec le prince Eugène de la promotion au cardinalat de M. de Bissy, évêque de Meaux, et il obtint que l'empereur n'y feroit aucune opposition.

On apprit dans le même temps la mort de la reine Anne d'Angleterre, et que le duc d'Hanover avoit été proclamé roi d'Angleterre par le Parlement. Comme le roi étoit engagé à reconnoître la succession à la couronne d'Angleterre dans la ligne protestante, cette nouvelle ne pouvoit apporter aucun changement considérable dans ce qui devoit se passer à Bade.

Le maréchal de Villars se rendit à Huningue, où il fut informé par un courrier des ambassadeurs du roi à Bade que l'arrivée du prince Eugène étoit différée de quelques jours. Il jugea bien que la nouvelle de la mort de la reine d'Angleterre et la proclamation de l'électeur d'Hanover, arrivée à Vienne dans le moment du départ du prince de Savoye, étoient la raison de son retardement. Le maréchal prit donc le parti d'aller passer quelques jours à Strasbourg, parce qu'il ne

convenoit point à la dignité du roi que le chef de l'ambassade attendit plusieurs jours celui de l'empereur dans le lieu du Congrès.

Le prince Eugène avoit envoyé un courrier au maréchal de Villars pour l'avertir de son retardement. Mais ce courrier alla le chercher à Paris, sans s'informer sur la route de celle que prenoit le maréchal de Villars. Enfin il partit de Strasbourg le 30 août pour revenir à Huningue, où il arriva le 31, croyant bien qu'il n'auroit que quelques jours à attendre. En arrivant à la petite ville de Bruch, à trois lieues de Bade, il fut informé d'une difficulté que faisoient les ambassadeurs de l'empereur sur le titre de celsissimus, qu'ils prétendoient pour M. le prince Eugène seul, alléguant que M. le duc de Longueville, signant la paix générale de Munster, n'avoit pu l'obtenir; que cependant il prétendoit la dignité de prince, et qu'il l'avoit réellement en France. Sur cet exemple, les ambassadeurs du roi s'étoient rendus. Le maréchal de Villars leur manda que, comme pair de France, il avoit droit aux mêmes titres que les princes étrangers, et qu'il n'iroit pas à Bade, si l'on prétendoit établir quelque diffé

rence.

Les ambassadeurs de l'empereur dépêchèrent un courrier au prince Eugène, qui fit cesser la difficulté en consentant à ce que désiroit le maréchal de Villars, qui, le 7 septembre1, se rendit à Bade, à trois heures

1. Il s'est produit une certaine confusion dans les dates. Le prince Eugène arriva à Baden le 5 septembre, Villars le même jour dans l'après-midi, et le traité fut signé le 7, à onze heures du matin; le 10, les deux plénipotentiaires n'avaient pas encore quitté la ville. (Lettre de Gally, secrétaire de Villars, au président de Cholier. Archives du comte de Cibeins.)

après midi. Il alla descendre chez le comte du Luc, qui, avec M. de Saint-Contest et plusieurs ministres étrangers qui se trouvoient à Bade, étoit venu au-devant de lui à une lieue de la ville.

Les ambassadeurs de l'empereur vinrent le voir dans le même moment, et, ayant été averti deux heures après par M. de Penteriedder, premier secrétaire d'ambassade, que le prince Eugène étoit arrivé, il alla le voir, et ces deux généraux se marquèrent l'amitié qu'ils avoient très vive et très sincère l'un pour l'autre. Ils n'avoient point d'équipage; mais le comte du Luc et M. de Saint-Contest faisoient une dépense magnifique, et l'on mangea chez tous les ministres qui remplissoient la ville de Bade.

L'abbé Passioni y étoit chargé des affaires du pape, et il y avoit un autre nonce qui avoit beaucoup contribué aux divisions qui partageoient les Suisses, et qui même avoit eu beaucoup de part à la guerre qui

étoit entre eux.

Comme tout avoit été réglé pour la paix générale, presque toutes les conditions ayant été décidées dans celle de Rastatt, il ne fut question dans les conférences particulières des deux chefs d'ambassade que de projets pour la continuation d'une parfaite intelligence entre les deux plus puissants princes de l'Europe, et dont l'union ou la division pouvoient seules y maintenir la tranquillité ou y allumer une guerre générale.

Le 5 septembre, le prince Eugène dit au maréchal de Villars qu'il avoit ordre de son maître de l'entretenir de certaines matières, dont les ambassadeurs de l'empereur n'avoient aucune connoissance, et, par conséquent, qu'ils devoient traiter eux seuls. Ils s'as

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semblèrent le 6 au soir et furent près de trois heures ensemble.

Le premier article rouloit sur l'intérêt de la religion dans la Suisse, l'empereur souhaitant pour cela de prendre telles mesures que le roi trouveroit convenables. Le maréchal répondit que le comte du Luc, ambassadeur de France en Suisse, étoit informé à fond des intentions du roi, et qu'il n'étoit pas possible d'entamer cette matière sans l'admettre à la conférence.

De l'intérêt de la religion, en Suisse, le prince Eugène passa au même intérêt dans l'Empire, et dit que l'empereur étoit persuadé que la piété du roi si connue le feroit entrer dans ses sentiments. Le maréchal de Villars répondit que l'empereur ne se trompoit pas, mais qu'il paroîtroit au roi que, pour travailler à un projet si saint, il falloit rétablir l'union de l'empereur avec le roi d'Espagne. La réponse du prince Eugène fut que l'on travailleroit incessamment à cette union, et que le roi en seroit le médiateur, s'il le vouloit.

On traita aussi ce qui regardoit les guerres du Nord, et le prince Eugène dit que l'empereur ne demandoit pas mieux que de travailler à ces divers objets, de concert avec le roi; que ce prince avoit pratiqué le retour du roi de Suède, et qu'on pouvoit compter qu'il étoit actuellement en chemin pour revenir dans ses états. Il ajouta que l'on désiroit un ambassadeur de France à Vienne, et que le comte de Konigseck étoit destiné pour venir en cette qualité de la part de l'empereur auprès du roi.

Le prince Eugène dit au maréchal de Villars : « Nous savons que le roi a fait un testament. Cette

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