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Le prince Eugène expliqua bien clairement que l'empereur n'avoit pas beaucoup de moyens d'aller faire la guerre au roi d'Espagne, qu'il n'avoit aucune force maritime, et même que la vente qu'il avoit faite de Final aux Génois marquoit assez qu'il n'étoit pas occupé des entreprises de mer.

Le prince Eugène consentit enfin que le roi ne retirât pas ses troupes de la Catalogne, et se contenta qu'il fût permis à l'empereur de secourir les Catalans de vivres, d'argent et même de troupes, s'il pouvoit en envoyer. Mais, comme toute voie lui en étoit interdite par terre et par mer, le prince de Savoye ajouta que ce qu'il demandoit étoit seulement afin que l'empereur pût dire à des peuples qui s'étoient sacrifiés pour lui qu'il faisoit tout ce qui étoit en son pouvoir.

Le 24, un envoyé de l'électeur de Bavière vint remercier le maréchal, de la part de l'électeur son maître, de ce qu'il avoit obtenu de l'empereur le rétablissement total de ses biens, honneurs et dignités. L'électeur de Cologne fit faire de pareils remerciements au maréchal, et lui marquèrent tous deux une grande reconnoissance de ce qui s'étoit fait en leur faveur à la négociation de Rastatt.

Cependant, le prince Eugène, trouvant dans les derniers articles envoyés par le roi plusieurs points qu'il ne pouvoit passer, dit au maréchal de Villars : « J'ai véritablement un ordre positif de partir sur les premières difficultés, mais comme je suis convaincu que nous ne romprons pas pour les dernières, je donne encore six jours, déclarant que ce que nous signerons ici sera la paix générale, dont la conclusion ne pourra

être suspendue par les petites difficultés qui regardent les princes d'Italie ou les titres. »

Les villes de Suisse, pour la signature de la paix générale, furent convenues: il fut dit que le roi ou l'empereur en nommeroit trois, et que celui qui nommeroit laisseroit le choix à l'autre.

Le maréchal de Villars écrivit, le 28 janvier1, un peu vivement à M. de Torcy qui, véritablement, n'avançoit pas la paix par les difficultés peu importantes qu'il faisoit naître, et dont les dernières regardoient Portolongone et la princesse des Ursins. Ce ministre mandoit, en effet, que, si la princesse des Ursins étoit satisfaite, le roi se rendroit sur Portolongone.

Le maréchal de Villars écrivit à M. Voysin plus librement, car les véritables obstacles venoient de la jalousie de M. de Torcy contre M. Voysin, et de ce que la paix ne se traitoit pas sous la seule direction de M. de Torcy, qui ne pouvoit souffrir que les courriers de M. le maréchal de Villars fussent adressés à M. Voysin. Le maréchal, ayant bien prévu dès les commencements toutes les tracasseries que causeroit cette conduite, l'avoit représenté; mais le roi l'avoit ordonné ainsi, et M. Voysin étoit le plus accrédité auprès de Sa Majesté. Quoi qu'il en soit, ces jalousies de ministres, et d'aussi petits intérêts comparés à ceux que traitoient les deux généraux, auroient rompu la négociation, sans la fermeté de ceux qui la conduisoient en chef. MM. de la Houssaye et Contade, gens de bon esprit, pressèrent

1. Les principaux passages de ce courrier véhément, du 28 janvier, ont été reproduits par M. de Courcy, op. cit., II, 213 et suiv.

le maréchal de Villars d'écrire fortement aux deux ministres, et de dépêcher un courrier pour représenter que les ministres de l'empereur, forcés d'abandonner des terres magnifiques que l'empereur leur avoit données dans la Bavière et le haut Palatinat, s'opposoient à la paix, de même que les électeurs de Prusse et d'Hanover qui comptoient aussi de partager les États du roi de Suède dans l'Empire, que la reine Anne, à l'extrémité, rendoit aux Wighs toute leur autorité en Angleterre, et qu'ainsi les fruits de deux campagnes très glorieuses et très utiles qui avoient forcé l'empereur à la paix alloient devenir inutiles par les difficultés très mal fondées qu'apportoit la France, et qui, sans doute, seroient relevées par ceux de nos ennemis auxquels la continuation de la guerre étoit très utile.

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Pendant les retardements qu'apportoient ces différents obstacles, on proposa au roi d'ordonner au maréchal de Villars d'attaquer les lignes d'Etlingen, sans songer que les ennemis avoient plus de forces derrière, et à portée de s'y placer, que le maréchal n'en avoit pour les attaquer. Enfin, un démon ennemi de la tranquillité générale avoit fait oublier aux ministres de France de quelles extrémités ils étoient délivrés, et toute l'horreur des propositions de Gertrudemberg et de la Haye. De sorte qu'on troubloit l'Europe pour la quatrième fois, si deux généraux, gens d'honneur, occupés chacun du véritable intérêt de leur maître, et oubliant les leurs particuliers, n'avoient traité de la paix indépendamment des vues particulières, de la jalousie et de la division des ministres qui l'auroient rompue pour toujours. On vouloit que l'empereur

traitât seul, et sur cela le prince Eugène répondit : < Vous voulez donc brouiller l'empereur avec l'Empire? Il suffit que l'empereur vous assure que la paix signée entre nous sera la paix générale. Mais il faut bien qu'il y ait un lieu où les ambassadeurs de l'Europe se trouvent, afin que l'Europe entière confirme cette paix.

Le maréchal de Villars manda à M. de Torcy qu'il ne pouvoit comprendre les changements qu'il trouvoit dans ses dépêches, ni d'où pouvoit venir un désir formé de continuer la guerre, qu'il n'y avoit qu'à lui mander ce qu'on vouloit, à moins qu'à la résolution déjà prise de n'avoir pas la paix on ne voulût joindre celle de le charger de la rupture; en un mot, que la paix la plus glorieuse étoit au pouvoir du roi, avec l'avantage de désunir l'Empire que le cardinal de Richelieu, le prince de Condé et M. de Turenne regardoient comme l'ennemi seul qui pût porter un grand dommage à la France. Il écrivit avec la même force à Mme de Maintenon, se plaignant à elle de la contrariété des ordres qu'il recevoit, et à M. Voysin qu'il ne pouvoit plus souffrir les discours qui se répandoient à la cour, où l'on disoit que l'on avoit consenti à des conditions plus dures que celles de Gertrudemberg.

Enfin, après des contestations très vives entre le prince Eugène et le maréchal de Villars, tout ce que le roi pouvoit désirer pour la tranquillité de l'Italie et pour celle du reste de l'Europe ayant été obtenu, le maréchal prit la résolution d'envoyer Contade à la cour porter les derniers articles dont les deux généraux étoient convenus, et de les remettre à la volonté du roi. Le prince Eugène, stipulant pour l'empereur, mais

déclarant en même temps qu'il ne passeroit rien de plus, alla à Stutgard attendre le retour de Contade, et le maréchal de Villars alla passer le même temps à Strasbourg.

Il écrivit à M. Voysin que, si l'on ne finissoit pas par les ordres que rapporteroit Contade, on pouvoit compter sur la continuation de la guerre, et prit cette occasion pour lui renouveler ses plaintes et sa vive indignation contre les obstacles ridicules que l'on vouloit apporter à la paix. Il expliqua même à ce ministre qu'il avoit donné sa parole d'honneur que les réponses de la cour de France seroient positives, sans quoi le prince Eugène ne se seroit pas arrêté à Stutgard1.

Le sieur de Contade revint à Strasbourg avec la réponse et les ordres du roi sur les dernières difficultés qui avoient porté le maréchal de Villars à l'envoyer à la cour.

Le roi, qui avoit compris que, par des termes généraux, l'empereur vouloit se réserver des prétentions sur la Sicile et sur les petites portions du Milanais qui avoient été cédées au roi de Sicile, voulut des explications précises sur divers points. Le maréchal envoya Contade au prince Eugène à Stutgard. Mais il trouva dans la lettre de M. de Torcy des paroles qui marquoient assez les sentiments que ce ministre avoit fait paroître pendant toute la négociation. Le maréchal

1. Le départ d'Eugène pour Stuttgard et la remise de son mémoire, du 6 février, avaient tout le caractère d'un ultimatum. Nous avons démontré que les prétentions de l'empereur étaient inacceptables, et que les motifs attribués par Villars à la résistance de Torcy étaient chimériques. La modération de Louis XIV et l'habileté de Contades dissipèrent ce nouveau nuage.

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