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Le maréchal de Villars, qui se trouvoit à la tête du tribunal des maréchaux de France, employa la plus grande sévérité à punir les querelles. Il fit condamner à quinze ans de prison un gentilhomme de Montreuil qui avoit donné des coups de bâton à un autre, et parce que les jeux de Paris donnoient occasion à une infinité de querelles, il demanda et obtint du régent qu'ils seroient défendus même dans les maisons royales à Paris, où il y en avoit trois qui rendoient plus de cinquante mille écus par an. Un pareil règlement lui attira l'indignation de ceux qui avoient ces jeux ; mais le bien public étoit avant tout dans son cœur. Les défenses furent faites le 30 décembre.

Il arriva alors entre Mlle de Charolois et la duchesse d'Humières une très vive dispute à l'enterrement de Madame à Saint-Denis. Cette princesse, d'ailleurs très polie, parut fort animée contre les ducs; elle réveilla même la vivacité de Mme la duchesse sa mère et celle de M. le duc son frère, qui mena M. le duc de Chartres et M. le prince de Conti chez M. le régent pour parler tous ensemble contre les ducs, et pour engager le roi à quelque résolution fâcheuse. La noblesse d'ailleurs, irritée sans aucune raison et contre ses propres intérêts, vouloit profiter de cette occasion pour faire perdre aux ducs quelques-unes de leurs prérogatives. Le maréchal de Villars, accompagné de M. le maréchal de Berwick, parla à M. le duc d'Orléans, et lui dit que tous les ducs étoient bien résolus à marquer toujours un très grand respect à messieurs les princes du sang; mais que, s'ils attaquoient quelques-unes de leurs prérogatives, dont Son Altesse Royale étoit mieux informée que personne, c'étoit aller contre son

intérêt à elle-même; que, par exemple, les ducs n'avoient qu'un tabouret chez elle, et que, si les princes du sang ne donnoient plus le fauteuil, ils s'égaloient par là aux fils de France.

Son Altesse Royale entendit fort bien ces raisons, et, comme elle étoit d'ailleurs informée des usages, elle dit qu'elle n'y changeroit rien; mais que, si la duchesse d'Humières avoit manqué à Mlle de Charolois, il étoit très juste qu'elle lui en fît des excuses. Le maréchal de Villars répondit qu'il y consentoit, rien n'étant plus raisonnable. Ainsi les excuses furent faites, et l'on n'innova rien contre les pairs.

1723. Le cardinal Dubois, au retour du sacre, avoit pris l'habitude d'entrer avec le régent à la fin de l'étude que le roi faisoit le matin, et, en présence de M. le Duc, du duc de Charost et de l'évêque de Fréjus, il apportoit un mémoire dont la lecture n'étoit que d'un peu plus d'un quart d'heure. Ces mémoires contenoient de courtes instructions pour commencer à informer le roi de plusieurs détails sur la guerre, sur les négociations et sur les finances. Dès le commencement de l'année, le régent, après l'étude du soir, entroit seul. Tout se retiroit, et il rendoit un autre compte au roi sans témoins.

Comme le temps de la majorité approchoit, les intrigues furent vives. Le maréchal de Villars, retenu par un rhume, évita d'aller à la cour, ne voulant pas qu'on lui pût croire aucune intention sur les changements qui pouvoient arriver à la majorité. Cependant le plaisir qu'il pouvoit faire aux Provençaux qui s'étoient distingués en servant utilement leur pays

pendant la peste le porta à se rendre à Versailles pour une conférence qui devoit se tenir au sujet des grâces que le roi vouloit leur faire. Il y alla donc le 30 janvier, et eut le même jour une très longue conversation avec le premier ministre, qui lui confioit plusieurs résolutions prises, tant pour les affaires étrangères que pour celles qui regardoient l'intérieur du royaumé. Il fut question dans cet entretien des grâces que l'on pouvoit accorder aux Provençaux, de celles que demandoient les courtisans et du choix, tant des maréchaux de France que des chevaliers de l'Ordre et des ducs, que l'on devoit faire.

Le maréchal de Villars dit sa pensée au ministre sur toutes ces diverses prétentions, et le cardinal lui répondit : « Je me trouve très heureux de penser comme vous, et, si cela étoit autrement, la première chose que je ferois seroit d'aller m'enfermer une heure pour examiner le tort que je pourrois avoir de me trouver des sentiments opposés aux vôtres. » Enfin, dans cette conversation comme dans plusieurs autres, le premier ministre n'oublia rien pour donner au maréchal de Villars les témoignages d'une grande confiance, et de la plus singulière considération.

La continuation du rhume qu'avoit le maréchal et le temps fâcheux l'obligèrent à ne coucher qu'une nuit à Versailles, et il ne se trouva point à la procession des chevaliers de l'Ordre, qui se fait le jour de la Chandeleur. Le roi lui parla avec beaucoup de bonté, et lui dit qu'il avoit été bien longtemps sans venir à Versailles.

Le 7 février, ce prince eut une grande foiblesse à la fin de la messe, et même il perdit connoissance

pendant une minute. L'évêque de Fréjus lui ayant donné de l'eau des Carmes, il revint de sa foiblesse, dont la cause étoit d'avoir trop mangé. Toutes les raisons vouloient qu'on lui donnât un lavement; il ne le voulut pas prendre. Sa santé parut bonne, et quoiqu'il fit un froid très violent, il voulut s'aller promener sur les toits du château. La nuit du lundi, il eut la fièvre, qui se fortifia le soir, de manière que l'on envoya plusieurs courriers à M. le duc d'Orléans, qui étoit venu passer les jours gras à Paris. Il étoit au bal quand les courriers arrivèrent; M. Le Blanc l'en fit sortir sur les six heures du matin, et deux heures après Son Altesse Royale partit pour Versailles.

Le roi eut la fièvre tout le mardi. On le saigna; un lavement qu'il prit fit un grand effet. La nuit du mardi au mercredi se passa très bien, et une légère purgation qu'il prit acheva de le guérir, en sorte que le maréchal de Villars le trouva, le mercredi des Cendres, en très parfaite santé et très gai dans son lit. La nuit du mercredi au jeudi fut encore meilleure, et le matin le roi s'amusoit dans son lit à vendre une petite boutique de bijoux, et fit acheter assez cher quelques bagatelles au maréchal. Il lui donna sur le marché un petit berceau pour sa belle-fille, qui étoit prête à accoucher.

Cette petite indisposition du roi, qui arriva après un assez long évanouissement, donna de très vives inquiétudes; elle venoit d'indigestion. Cependant, le voyage que le roi devoit faire à Paris fut différé du lundi au samedi 20. Le roi joua au piquet avec le maréchal de Villars le jeudi, et lui donna rendez-vous le samedi, à cinq heures du soir, à son arrivée à

Paris, pour continuer sa partie; et tout le temps que la cour fut à Paris, le roi joua deux ou trois fois par jour au piquet ou au trictrac avec le maréchal.

Le lundi 22, le roi alla tenir son lit de justice au Parlement, les séances à l'ordinaire. Les cardinaux ne s'y trouvèrent pas. Les trois nouveaux ducs, qui étoient MM. les ducs de Biron, Lévi et La Vallière, prêtèrent leur serment en présence du roi. Sa Majesté fit un discours de très peu de paroles pour marquer que, suivant la loi de l'État, elle venoit déclarer qu'elle vouloit désormais en prendre le gouvernement. M. le duc d'Orléans fit au roi un discours très beau, à la fin duquel il lui baisa la main avec une très profonde révérence. Messieurs les princes du sang et les pairs saluèrent de leur place. Après cela, le roi lut un petit discours par lequel il déclaroit M. le duc d'Orléans président de ses conseils, et confirmoit le cardinal Dubois en sa place de premier ministre.

Le garde des sceaux1 fit un très long discours et assez mauvais, voulant imputer au caractère des François le peu de succès du système de Law. Le premier président en lut un, dans lequel on trouva de la dignité; l'avocat général Blancménil parla aussi assez longtemps. Ce jour même, le premier président donna un grand repas, où le maréchal et la maréchale furent invités.

Cependant on donna une forme au gouvernement. Le Conseil d'État fut établi, composé, sous le roi, de M. le duc d'Orléans, de M. le duc de Chartres, de

1. Fleuriau d'Armenonville. 2. Jean-Antoine de Mesmes.

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