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peiné de voir une paix que nous avions lieu de croire faite après la cession de Landau et le rétablissement des électeurs sur le point cependant d'être rompue, parce que le roi demandoit pour ces princes des dédommagements ou la Flandre. J'ai obtenu de Sa Majesté qu'elle se désistât de ces prétentions. C'est à vous, Monsieur le prince, à être sérieux quand vous songerez que l'Empire pourra reprocher à l'empereur d'avoir sacrifié son intérêt et son repos aux privilèges des peuples révoltés de Catalogne. Ainsi, Monsieur, la paix manquant par l'empereur, je suis très aise de la continuation d'une guerre que nous ferons sur le pays ennemi, et très flatté de la gloire que l'on peut espérer contre le plus respectable général de l'Europe. Le prince de Savoye répondit d'un air sérieux : « Monsieur le maréchal, vous avez écrit très fortement pour renouer la paix, vous aviez raison, et j'en ai de bonnes pour écrire présentement avec la même force. » Puis il ajouta : < Monsieur le maréchal, vous voulez bien que je juge de vous par moi, et je vous supplie de juger de moi par vous-même. On veut croire dans le monde entier que nous voulons tous deux la continuation de la guerre, et je vous assure que la paix ne se seroit jamais faite si d'autres que nous deux l'avoient négociée. C'est que nous traitons en gens d'honneur et d'une manière bien éloignée de toutes les finesses que plusieurs estiment nécessaires dans toutes les négociations. Pour moi, j'ai toujours pensé, et je sais que vous pensez de même, qu'il n'y a pas de meilleure finesse que de n'en pas

avoir. >

La princesse des Ursins pressoit très fortement le roi d'Espagne, et écrivoit de très fréquentes lettres au

maréchal de Villars pour le presser d'obtenir pour elle la principauté qu'elle désiroit en Flandre. Il est certain que, si elle ne s'étoit pas attachée à la duché de Limbourg, elle auroit pu avoir une bonne partie du comté de Chini1.

On peut dire avec vérité que le prince Eugène et le maréchal de Villars traitoient noblement, et comme, malgré l'attention qu'ils avoient l'un et l'autre à ne mettre ni aigreur, ni même de vivacité dans les disputes qu'ils étoient obligés d'avoir ensemble, ils se servoient utilement du comte de Konigseck et de Contade pour se faire des excuses quand, l'un ou l'autre, pouvoit craindre d'avoir été trop avant.

si

1714. Le maréchal de Villars reçut une lettre du roi datée du 3o janvier qui expliquoit très nettement l'injustice des prétentions de l'empereur sur la restitution des privilèges des Catalans, et le maréchal, ayant préparé d'avance le prince Eugène à ne le pas espérer, il traita plus à fond cette matière avec lui le 4 du même mois. « Je suis persuadé, » lui dit le prince Eugène, « que, nos maîtres n'avoient pas voulu sincèrement la paix, ils ne se seroient pas servis de gens comme nous qui ne sont point faits pour plaider. Ainsi, nous ne rompons pas parce que vous et moi écartons ce qui nous paroît véritablement injuste. On m'a cru parti de Rastatt, quand vous n'avez pas paru content de la restitution totale des électeurs avec la cession de Landau fortifié.

1. Le comté de Chiny faisait partie du duché de Luxembourg et en formait près des trois quarts. Il est fort douteux que la princesse des Ursins eût pu l'obtenir. Voy. Courcy, la Coalition de 1701, liv. VII, chap. 1.

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Peut-être croira-t-on chez vous que vous voulez partir aussi. Je vous ai donné le bon exemple de demeurer, vous le suivrez, et il faut espérer que nous fini

rons. »

Le fief demandé pour le marquis de Sainte-Croix fut encore refusé.

Ce qu'il y avoit de plus difficile étoit l'affaire des Catalans et la prétention de la princesse des Ursins pour le duché de Limbourg.

Le roi d'Espagne ne pouvoit consentir au premier article, ni l'empereur au second. Celui-ci étoit rempli d'amour et de reconnoissance pour un peuple qui s'étoit sacrifié pour lui et de haine pour la princesse des Ursins.

Le maréchal fit connoître au prince Eugène que plusieurs personnes éloignoient le roi de la paix, et le prince Eugène lui dit que le roi de Prusse, celui de Pologne et l'électeur d'Hanovre n'oublioient rien pour la troubler. « Quoique premier ministre de l'empereur, vous ne vous attendez pas, » lui répondit le maréchal, « vu les cabales de votre cour, à être entièrement approuvé. Pour moi, je sais qu'étant sans aucun crédit dans la mienne, ce qu'il y a de plus considérable sera au désespoir si la paix se fait par mon ministère. Mais ne songeons qu'aux véritables intérêts de nos maîtres et finissons. »

Ces sentiments, véritablement établis dans le cœur des deux plénipotentiaires, produisirent enfin leur effet, mais ce ne fut pas sans de grandes difficultés, qui ne pouvoient être surmontées que par la droiture des sentiments et par la fermeté de ces deux hommes

en même temps généraux d'armée, ministres et véritablement honnêtes gens et amis1.

Le prince Eugène voulut faire quelques propositions sur le cardinal de Bouillon, elles furent entièrement rejetées par le maréchal de Villars, et à cette occasion le prince Eugène lui dit : « Ne vous étonnez pas de me trouver dans les mêmes dispositions à l'égard du prince Ragotski. »

Il fut résolu alors que l'on enverroit de part et d'autre au roi et à l'empereur les projets réglés de traité pour être approuvés de leurs Majestés. On les envoya à Versailles et à Vienne le 14° janvier2, et les deux plénipotentiaires, avec leurs premiers secrétaires, travaillèrent deux jours et deux nuits à les régler. Saint-Fremont, lieutenant général, et Contade étoient auprès du maréchal de Villars, aussi bien que le duc d'Aremberg et Konigseck auprès du prince Eugène. Ils savoient que ces deux généraux se disputoient avec la dernière vivacité pour des principautés et des états demandés par le roi, l'empereur et le roi d'Espagne pour des particuliers, et ils étoient tout étonnés que ceux qui travailloient ainsi ne fissent rien pour eux-mêmes. Il est vrai que, sur la princesse des Ursins qui vouloit le duché de Limbourg, le prince Eugène dit au maréchal de Villars : « Demandez-le pour

1. Sur la sincérité des sentiments d'Eugène envers Villars, voyez ce que nous en avons écrit dans le travail déjà cité, II, 60 et suiv.

2. Nous avons donné (op. cit., II, 88) l'analyse de ce projet dans lequel Eugène, profitant de l'inexpérience de Villars, avait accumulé les expressions et les clauses inacceptables. Il fut vertement refusé par Louis XIV.

vous, et je vous assure que je l'obtiendrai plutôt de l'empereur que pour la princesse des Ursins. » Enfin, le prince Eugène consentit que l'on remit à l'assemblée qui devoit se tenir pour la signature de la paix générale l'article des Catalans et celui de la princesse des Ursins, sans que les difficultés que ces deux articles pouvoient produire rompissent la paix. Mais il désiroit que le roi retirât ses troupes de Catalogne, ce que Sa Majesté refusa par sa lettre du 15 janvier.

Le 21, le maréchal de Villars et le prince Eugène reçurent presque en même temps des courriers de Versailles et de Vienne. Le prince Eugène dit qu'il avoit ordre de partir si la négociation ne finissoit pas, et le maréchal de Villars déclara que le roi ne retireroit pas les troupes qu'il avoit prêtées au roi d'Espagne pour soumettre les Catalans. Le prince Eugène, après avoir longtemps discuté, y consentit enfin, il demanda seulement que le roi ne s'opposeroit pas aux secours d'hommes, de vivres et d'argent que l'empereur pourroit leur envoyer, ce qui fut entièrement refusé1, et enfin que ce qui seroit tenté sur cela ne romproit pas la paix entre le roi et l'empereur.

A l'égard de la paix entre l'empereur et le roi d'Espagne, le prince Eugène dit qu'aussitôt qu'il y en auroit une bien solide entre le roi et l'empereur, l'autre seroit bien facile à terminer, que la France en seroit la médiatrice, et que, du reste, il seroit établi que rien ne pourroit troubler la concorde entre le roi, l'empereur et l'Empire.

1. Non seulement Villars ne refusa pas cette étrange proposition, mais il la recommanda à Louis XIV, qui y répondit par la très belle dépêche que nous avons publiée, op. cit., p. 91.

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