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dessein d'amuser qu'une envie sérieuse de finir; que les bruits qui se répandoient dans l'Empire tendoient à persuader que lui et moi ne nous étions assemblés que pour partager l'Empire, régler une guerre de religion, détruire les protestants, et que de tels bruits pouvoient faire perdre des amis à l'empereur, sans diminuer le nombre de ses ennemis; ainsi, que si je persistois à demander la Flandre pour l'électeur de Bavière, il partiroit le jour d'après.

Le maréchal de Villars écrivit donc très fortement au roi, et plus librement à M. Voysin, sur la certitude apparente que toute la négociation seroit rompue si l'on soutenoit les folles et injustes prétentions de l'électeur, qui, outre la restitution entière de ses états et de ceux de l'électeur de Cologne, vouloit des sommes immenses de l'empereur et de l'Empire, pour les punir de s'être défendus contre lui qui les avoit attaqués en prenant Ulm, et demandoit encore que la Flandre lui fût cédée. Le maréchal avoit déjà fait remarquer à M. Voysin la différence qu'il y avoit entre les propositions de paix qui se traitoient à Rastatt et celles de la Haye apportées par M. de Torcy, encore plus de celles qui furent envoyées à Gertrudemberg par le cardinal de Polignac et le maréchal d'Huxelles.

Lettre du maréchal de Villars à M. Voysin, ministre et secrétaire d'État de la guerre, le 16 décembre 17132.

Vous ne voulez donc point de paix! Monsieur, à la bonne heure! Je ne puis rien ajouter à la copie que vous trouverez ci-jointe.

1. L'auteur a oublié qu'il ne se mettait pas personnellement en scène, et a écrit cette phrase au style direct.

2. L'original se trouve au dépôt de la guerre, vol. 2561, no 68.

Le prince Eugène est persuadé qu'il y a une cabale de cour, qui veut principalement m'empêcher de la signer, et ne sauroit comprendre que l'on ne se contente pas des conditions proposées. Il ne se relâchera assurément pas. Mais, en vérité, qu'est-ce que le roi veut de plus pour sa gloire que le rétablissement entier d'un prince qui a mis l'Empire à deux doigts de sa perte, et qui même le pouvoit renverser, s'il avoit suivi mes conseils? Il nous a bien porté malheur depuis. Dieu veuille qu'il ne nous en porte pas davantage!

Comme ce courrier, selon les apparences, nous trouvera séparés à son retour, je crois que je n'ai d'autre parti à prendre que de me rendre à la cour. Je suivrai la route de Metz, et je vous assure, Monsieur, que j'aurois bien voulu y être retourné droit de Fribourg.

Je ne mettrai pas dans la lettre de Sa Majesté ce que le prince Eugène vient de me dire, que par estime, amitié pour moi, et persuadé que je voulois véritablement la paix, il demeureroit encore sept jours, qu'après cela, il partiroit, si nous ne finissions sur les conditions proposées, et que, les conférences rompues, il n'y avoit que la destruction d'un des partis qui pût donner la paix. Pour moi, Monsieur, je ne crois pas que certaines gens mentent toujours. Ce n'est ni mon caractère ni celui de l'homme avec lequel je traite, et il n'y a à cela qu'à rompre ou conclure.

Si les principaux points sont passés, les affaires d'Italie ne doivent pas empêcher la paix générale, et je ne compte pas d'y beaucoup gagner. Je m'attendois à des remerciements de conditions aussi glorieuses et avantageuses, et je vois que des bagatelles perpétuent la guerre. Je vous supplie, Monsieur, de me renvoyer sur-le-champ le meilleur courrier que vous ayez, car sept jours sont bientôt passés.

Dans ce moment, le prince Eugène m'a dit peut-être que l'Angleterre, ou pour mieux dire un de ses ministres, trouble la paix. Je sais que l'électeur de Bavière a fait offrir 400,000 écus à milord Strafford s'il peut être le maître de la négociation, et lui faire avoir les Pays-Bas, et il m'a assuré que M. de Strafford feroit tous les efforts imaginables pour troubler. Mais comptez encore une fois, Monsieur, que la paix sera faite ici ou rompue pour toujours. J'ai l'honneur, etc.

Il faut savoir et dire ici qu'il y avoit une petite cabale à la cour qui désapprouvoit la paix, toute glorieuse qu'elle étoit, parce que le maréchal de Villars la traitoit. Le marquis de Torcy étoit peiné de la part qu'il savoit que M. Voysin y avoit. Le maréchal de Villars écrivit très fortement à M. de Torcy qu'il n'avoit pas désiré d'être chargé de la négociation, et que, si on la croyoit mal conduite, il n'y avoit qu'à y envoyer un autre. Ses lettres à M. Voysin sur cela étoient aussi très vives; il crut devoir écrire de même à Mme de Maintenon, et ses lettres eurent l'effet qu'il devoit raisonnablement en attendre.

Enfin, le courrier du roi arriva, et Sa Majesté parut très contente des points principaux sur lesquels on convenoit de la paix1.

M. de Torcy fit même des excuses au maréchal de Villars, et l'assura que c'étoit très injustement qu'on le vouloit brouiller avec lui.

Après l'article du rétablissement entier des électeurs et celui de la cession de Landau fortifié, il restoit plusieurs autres difficultés importantes. L'empereur demandoit le rétablissement de tous les privilèges des Catalans comme un point auquel son honneur étoit attaché, puisqu'il ne pouvoit consentir que des peuples qui s'étoient sacrifiés pour lui pussent lui reprocher de les avoir abandonnés.

Le roi d'Espagne, qui prenoit à la cour les intérêts

1. La lettre du 22 décembre est insérée dans Villars, etc., II, 79. Le roi s'y montre plus résigné que satisfait. Quant à la valeur des excuses de Torcy, on en jugera par les termes de la lettre que nous avons reproduite à la page 82 du même volume.

de Mme la princesse des Ursins, vouloit lui donner le duché de Limbourg.

Mme d'Elbeuf demandoit près de deux millions très légitimement dus par le feu duc de Mantouë.

Le duc de Saint-Pierre1 prétendoit la principauté de Sabionette et le roi ordonnoit de demander le marquisat de Viadana pour le marquis de Sainte-Croix 2; sur quoi le prince de Savoye dit au maréchal : « Savezvous bien que ce petit présent que vous demandez de l'empereur pour le marquis de Sainte-Croix vaut près de 40,000 écus de revenu? » — « Si cela est,» répondit le maréchal, « je ne le demande plus, je vous conseille de le prendre pour vous. Je sais que vous avez pu en avoir de plus considérables, et que celui qui a donné l'Italie entière à l'empereur, au moins le Milanais, Naples, la Sicile, la Sardaigne, et qui a rétabli le duc de Savoye, pouvoit espérer beaucoup mieux sans comparaison. Mais je ne vous connois aucune retraite. Vos palais de Vienne n'en sont pas une, ni votre île du Danube avec le comté de Baraniavar. Quoiqu'il soit très constant que vos importants services rendus à la maison d'Autriche vous donneroient toujours le premier rang dans la cour de l'empereur, la sagesse veut que l'on ait une retraite, et il me semble, en effet, que

1. Fr.-Marie-Spinola, duc de Saint-Pierre des Spinola de Gênes, avait acheté la principauté de Piombino qui avait été confisquée par l'empereur. Il demandait une compensation. Il avait épousé la sœur de Torcy. Définitivement éconduit, il se retira en Espagne, où il occupa des charges de cour, et mourut très âgé en 1727.

2. Sainte-Croix était un gentilhomme romain qui avait été à Vienne le directeur des fêtes de la cour de Joseph Ier; il prétendait que l'empereur lui avait verbalement promis le fief de Viadana en Italie.

vous m'avez dit qu'il y a eu des temps où vous avez songé à vous retirer. » — « Je ne suis pas surpris, répliqua le prince de Savoye, « qu'un homme qui a une famille pense ainsi. Pour moi, je vous assure que, si je me retirois, un million de revenu ou 12,000 livres de rente me seroient la même chose. »

Le maréchal de Villars apprit le même jour que l'électeur de Bavière avoit un homme à Rastatt qui traitoit secrètement avec le prince de Savoye, avec ordre de se cacher au maréchal1.

L'électeur vouloit la Flandre, et persuadé que les ministres de l'empereur, qui s'étoient fait donner des terres très considérables en Bavière et dans le haut Palatinat, seroient ébranlés par leurs propres intérêts, il leur faisoit offrir de leur abandonner toutes ces terres pour toujours, d'autres même plus considérables encore, s'ils portoient l'empereur à lui céder la Flandre.

Le maréchal manda au roi que de telles visions retardoient tout, puisqu'il étoit impossible de faire consentir l'empereur à céder la Flandre, et que, quand même ses ministres pourroient être séduits par leurs intérêts particuliers, le prince de Savoye n'étoit pas de caractère à se laisser corrompre de même.

La conversation du prince de Savoye et du maréchal de Villars fut assez sérieuse le 29 décembre; le jour d'après le prince de Savoye, trouvant le maréchal de Villars plus gai, lui demanda d'où venoit cette meilleure humeur. « De quelques réflexions, » lui répondit le maréchal, et les voici. Je vous avoue que j'étois

1. Il se nommait Stoll et habitait Strasbourg, où il était chargé de payer les recrues que l'électeur tirait d'Alsace pour les troupes de Bavière (Villars à Voysin. Dép. de la G.).

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