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une révolte dans Paris, on lui ôta cette charge. M. d'Argenson en reprit les fonctions sans titre comme la première fois, et Law conservant toujours la première confiance dans l'esprit du régent. Les finances furent données à M. Desforts, prenant le titre de premier commissaire, et à deux autres commissaires qui lui furent joints, savoir MM. d'Ormesson et de Gaumont, tous deux maîtres des requêtes.

Les quatre frères Paris avoient été éloignés1. C'étoient des gens très versés dans l'administration des finances. Ils avoient été chargés de la régie des recettes générales et des fermes; ils avoient offert de donner quinze millions par mois. Quelle ressource et quelle puissance dans ce royaume que l'on disoit épuisé! Après la mort du feu roi, il étoit assurément très facile d'y établir l'ordre et l'abondance, si l'on avoit bien voulu ne pas suivre l'abominable administration de Law, qui, abusant de la bonté du régent pour le tromper, trouva le pernicieux moyen de ruiner tout à la fois et le roi et l'État.

Cependant la misère augmentoit et le paiement des troupes devenoit incertain. Le Blanc, secrétaire d'État de la guerre, le chancelier et Desforts s'unirent pour faire connoître au régent la ruine infaillible de l'État. On crut qu'à ce coup Law seroit perdu, mais M. le Duc et Mme la Duchesse le soutinrent. Il assura, comme nous l'avons dit, qu'il donneroit dix millions par mois, et, peu de jours après, il en promit cinq d'augmentation durant les quatre premiers mois. On lui laissa tous les profits des monnoies, et ces pro

1. Voir, sur leur origine et leur habileté, Saint-Simon, XVII, 16.

fits étoient immenses par les refontes continuelles et par le prix excessif auquel on fit monter les espèces. Les louis d'or furent mis à cinquante-quatre livres et devoient être réduits à trente-six livres le premier de l'année 1721, ces diminutions étant toujours annoncées pour ôter aux particuliers l'envie de conserver l'argent. Mais toutes les friponneries précédentes avoient épuisé la confiance et réveillé l'attention de chacun sur ses véritables intérêts. Ceux qui avoient réalisé leurs billets en or le cachoient ou l'envoyoient dans les pays étrangers, et l'espèce devenoit tous les jours plus rare.

Cependant l'affaire de la constitution occupoit le régent, pressé surtout par les vives sollicitations de l'abbé Dubois fait archevêque de Cambrai. Comme il désiroit passionnément de devenir cardinal, il n'oublioit rien pour contenter le pape.

Les patentes pour la déclaration, enregistrées au grand conseil, ne déterminèrent pas le cardinal de Noailles à publier son mandement. Il avoit stipulé qu'il ne le donneroit que lorsque le parlement auroit enregistré. Cet enregistrement n'avoit point été refusé entièrement, et messieurs du parlement prétendoient que, si le marquis de La Vrillière se fût moins pressé lorsqu'il porta à Pontoise l'ordre d'enregistrer, l'enregistrement auroit été fait, et seulement avec quelque modification. Mais enfin, les difficultés mutuelles du parlement et du cardinal de Noailles donnèrent lieu aux ennemis de l'un et de l'autre de faire entendre au régent qu'il y avoit une secrète intelligence entre eux. Toute la cabale de Law, ennemie déclarée du parlement, s'unit, et sa perte fut résolue le..... d'octobre.

Entrant au conseil le 24 octobre, le maréchal de Vil

lars fut averti par le maréchal de Villeroy que l'on devoit prendre une résolution violente contre le parlement. Pendant le conseil, on apporta une lettre du premier président, qui avoit été chargé par le régent de porter le cardinal de Noailles à donner son mandement, et elle portoit le refus de ce prélat. Lorsque le conseil se leva, le maréchal de Villars demanda au chancelier s'il y avoit quelque chose sur le parlement, et il lui répondit : « Je le crois. » Tous deux suivirent le régent, qui parla en sortant au secrétaire du premier président, qui avoit apporté la lettre et qui, après avoir paru vouloir sortir, rentra dans la chambre du conseil et dit un mot à l'archevêque de Cambray et au chancelier. Celui-ci demanda au régent permission de le suivre au Palais-Royal, mais ce prince lui ordonna seulement de revenir le lendemain à neuf heures du matin. En même temps, il chargea le marquis de La Vrillière d'exécuter ce qui lui avoit été ordonné. C'étoit d'envoyer des lettres de cachet à tous les membres du parlement, pour le transférer à Blois, sans en dire un mot au chancelier, qui cependant alla chez le régent à neuf heures du matin, ainsi qu'il lui avoit dit la veille. Avant que d'y arriver, il apprit par le public ce qui regardoit le parlement. Il entra dans la chambre du régent et trouva sur sa table une déclaration pour la translation du parlement, qui devoit être signée et scellée par lui. Il refusa de le faire et demanda à se retirer. Le régent se contenta de lui répondre qu'il y songeât encore une fois. De tout ce qu'on ne savoit que confusément le soir du [25 octobre], le maréchal de Villars en fut informé dès le matin [du 26]. Il envoya sur-le-champ un gentilhomme au premier président lui demander une heure

pour l'entretenir dans la journée, et le rendez-vous fut à six heures du soir.

Le maréchal de Villars regarda le malheur de n'avoir plus de parlement comme le plus grand qui pouvoit arriver au royaume; car son éloignement à Blois étoit le second degré de sa perte, comme le premier avoit été de l'envoyer à Pontoise. Ses ennemis n'en vouloient pas demeurer là, et le chancelier dit le matin au maréchal de Villars que la perte entière du parlement étoit prochaine ; ce qui le déterminoit à persister dans la résolution où il étoit de se retirer.

Enfin, l'état violent où l'on étoit, et les malheurs que l'on en pouvoit craindre, portèrent le maréchal de Villars à ne laisser rien d'intenté pour mettre quelque obstacle aux desseins de ceux qui travailloient si vivement à la perte du royaume. Il trouva le premier président avec M. de Blancménil, avocat général : tous deux le pressèrent d'aller sur-le-champ chez le cardinal de Noailles. Il y alla, et lui parla fortement sur tous les malheurs qui menaçoient le parlement, et qui retomboient sur le cardinal lui-même ; le régent ayant déclaré tout haut que le dernier devoit lui être attribué, puisque son obstination à refuser son mandement en étoit l'unique cause. Le cardinal lui parut disposé à se prêter tant qu'il pourroit pour faire changer les résolutions prises, et lui en donna parole. Le maréchal de Villars retourna sur-le-champ apprendre au premier président ce que le cardinal lui avoit dit et le premier président parut très satisfait. Le maréchal de Villars voulut encore rendre compte dès le soir au régent de ces dispositions favorables, mais il étoit retiré et le jour d'après il alla fort matin pour

lui parler. Il le trouva dans son carrosse dans la rue Saint-Honoré, allant passer la journée à la campagne. Le maréchal de Villars ne balança pas à arrêter le carrosse du régent, parce qu'il ne falloit pas perdre une journée si importante, et que ce prince, une fois sorti, n'étoit plus visible le reste du jour. Il monta dans son carrosse et commença par lui demander pardon de la liberté qu'il prenoit, puis il ajouta « qu'il croyoit lui faire plaisir en lui apprenant que le cardinal de Noailles étoit dans de très bonnes dispositions; qu'il se flattoit même de lui rendre un grand service en lui donnant quelque moyen de ne pas exécuter une aussi violente résolution que celle qu'il avoit déclarée contre le parlement; qu'il étoit persuadé que ses véritables serviteurs ne pourroient jamais lui marquer leur zèle dans une occasion plus importante, qu'en lui évitant des sévérités dangereuses; que c'en étoit une bien dure de chasser de Paris le parlement, qu'il avoit ruiné, et de le forcer d'aller en demandant l'aumône de Pontoise à Blois. » Le régent répondit : « Je leur ferai donner de l'argent. > - Et le maréchal répliqua : « Quels secours pouvez-vous donner à tant de familles considérables qui ont perdu presque tout leur bien, dans des temps où les plus riches ne peuvent pas trouver une pistole à emprunter? M. de Vendôme même, qui a tout gagné dans ce Mississipi, a été obligé de payer en billets sa dépense dans des cabarets, en revenant d'Orléans. Enfin je puis assurer Votre Altesse Royale que le cardinal de Noailles fera ce que vous désirez, et que vous ne serez plus obligé de suivre une résolution qu'il doit être heureux pour vous de pouvoir rompre. Le chancelier est prêt à se retirer;

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