Page images
PDF
EPUB

que l'on devoit arrêter trois ou quatre des principaux de la cour, et l'on désignoit les maréchaux de Villeroy, de Villars, d'Huxelles et de Tallard. Le premier le crut; le maréchal de Villars eut tant d'avis de s'y attendre qu'ils firent impression sur lui malgré la certitude où il étoit de n'y avoir pas donné le moindre lieu. Les cassettes de Mlle de Montauban furent prises; mais le maréchal de Villars n'étoit pas en peine des lettres que l'on y pouvoit trouver de lui.

[ocr errors]

Le duc de Richelieu, qui avoit fait deux campagnes aide de camp du maréchal de Villars, apprit par une de ses maîtresses, avec laquelle le duc d'Orléans prenoit beaucoup de libertés et qui pouvoit être bien informée, qu'on devoit arrêter le maréchal la veille du jour de l'an. Pinsonneau, homme de mérite et de beaucoup d'esprit qui avoit été pendant trente ans à la tête de la secrétairerie des ministres de la guerre, et qui avoit servi trois ans dans cette qualité sous le maréchal de Villars, vint le trouver le matin et lui dit qu'un des premiers confidents du régent venoit de l'assurer qu'il seroit arrêté dans la journée. Le maréchal de Villars alla voir le garde des sceaux d'Argenson, duquel il avoit reçu divers témoignages d'attachement et qui même lui avoit quelque obligation. Ce ministre, quoiqu'il fût dans la plus étroite confidence du régent, ne dit rien au maréchal qui pût le tranquilliser.

Le comte de Broglio, ami particulier du maréchal et l'un des lieutenants généraux des armées du roi le plus distingué, lui dit que l'on demandoit un jour à M. de Turenne quel parti il prendroit s'il croyoit être arrêté, et que ce très sage général répondit que,

quelque assuré qu'il pût être de ne l'avoir jamais mérité, il n'hésiteroit pas d'éviter la prison.

Tout cela, cependant, ne fit aucune impression sur le maréchal de Villars. Il étoit affligé de penser qu'une vie comme la sienne pût être troublée et rendue malheureuse; mais, n'ayant rien sur sa conscience qui pût lui faire craindre une aventure aussi fâcheuse, il se détermina à l'attendre avec une apparente tranquillité, mais avec une peine intérieurement assez sensible.

Nous avons dit que, depuis plus de trois mois, sa santé étoit assez mauvaise : il avoit eu diverses attaques de fièvre, il avoit pris du quinquina longtemps de suite, son estomac étoit dérangé; et certainement cette inquiétude, renfermée et jointe à la mauvaise disposition dans laquelle il étoit depuis plusieurs mois, augmenta son mal de manière que, pendant toute l'année 1719, sa santé fut très chancelante. On voulut, durant huit jours, laisser dans l'agitation tous ceux que le public disoit devoir être arrêtés. Le premier président du Parlement, fort attaché à la duchesse du Maine, s'attendoit à cette destinée. Enfin pourtant, les deux compagnies de mousquetaires eurent ordre de se débotter et le calme revint dans les esprits. Le garde des sceaux et M. Le Blanc, secrétaire d'État de la guerre, eurent la commission d'aller interroger les prisonniers, dont les châteaux de la Bastille et de Vincennes furent remplis.

On apprit dans le mois de décembre1 la mort de

1. Le manuscrit porte par erreur novembre. Charles XII fut tué le 11 décembre 1718.

l'homme le plus intrépide dans tous les périls de la guerre, on ne dit pas du prince, pour ne pas donner trop peu d'étendue à la valeur et à la fermeté du roi de Suède, tué d'un coup de canon au siège de Fredericstad, en Norwège. Il est certain, en effet, que la témérité du grenadier le plus déterminé n'approchoit pas de celle de ce grand prince, dont la réputation sur le courage a peu d'exemples dans nos temps et même dans toute l'antiquité. Peut-être que la forte opinion qu'il avoit de la prédestination, jointe à un grand mépris de la mort, lui faisoit négliger la conservation de sa vie en toute occasion, mais il lui manquoit d'avoir fait réflexion que, pour la gloire même d'un grand homme, il doit savoir se ménager et ne s'abandonner aux plus grands périls que lorsqu'il les estime nécessaires pour animer une armée ou pour rétablir un désordre dans un combat; qu'enfin, il doit peser combien sa conservation est nécessaire pour faire réussir de grands desseins.

Par exemple, la mort du roi de Suède dans une occasion peu importante a peut-être changé la face entière de l'Europe. Il étoit sur le point de faire sa paix avec le czar et avec le roi de Prusse et de rentrer dans tous ses États en Allemagne ; il pouvoit rétablir le roi Charles en Angleterre, il se lioit avec le roi d'Espagne, et tous les divers États de l'Empire et de l'Italie pouvoient changer de face.

1719. Le maréchal de Villars rendoit de temps en temps à Mme de Maintenon des respects dont tout le monde, excepté le maréchal de Villeroy, s'étoit dispensé. Il alla la voir sur la fin de l'année 1718. Elle lui parut

fort touchée des malheurs du duc du Maine, qu'elle avoit toujours fort aimé; son grand âge ne put soutenir cette douleur, et elle mourut peu de mois après1 avec un mépris qu'elle avoit de la mort depuis plusieurs années et avec une très ferme dévotion.

La figure qu'elle a faite dans le monde pendant près de quarante ans la fera connoître par des portraits bien différents. Ce que le maréchal de Villars a trouvé en elle, c'est un grand fonds d'esprit, de piété, beaucoup d'attachement pour le roi et pour l'État, avec un désintéressement parfait. Elle se sacrifioit tout entière au goût du roi et renonçoit pleinement au sien, qui auroit été de vivre dans une petite compagnie choisie avec plus de liberté et de douceur dans le commerce que sa retraite ne lui en permettoit.

Le maréchal de Villars, n'ayant plus le ministère de la guerre, alloit aux conseils de régence, qui, de trois par semaine, furent d'abord réduits à deux et ensuite à un seul, qu'encore on ne tenoit que pour les formes, parce qu'il faut, pendant une minorité, qu'il

y

ait un conseil de régence et que ceux qui le composent soient nommés dans les édits et déclarations ; car, pour les arrêts, il ne fut plus question d'y nommer le maréchal de Villeroy, chef du conseil des finances, ni même souvent le garde des sceaux.

Law étoit le maître absolu des finances. La compagnie, d'abord du Mississipi, ensuite nommée compagnie d'Occident et finalement des Indes, fut chargée de tous les revenus du roi. On fit des actions que l'on achetoit en billets de l'État. On établit une banque

1. Le 15 avril 1719 à Saint-Cyr.

royale au lieu de la première; elle fut autorisée de l'auguste nom du roi, et le public, par la crainte des pertes que l'on faisoit journellement sur les espèces, y porta, pour en retirer du papier, une grande partie de l'argent qu'il avoit. Il faut, après tout, convenir que cet établissement, s'il eût été conservé avec l'ordre et l'équité indispensablement nécessaires, pouvoit être d'une grande utilité au roi.

Le maréchal de Villars, trouvant un jour Law chez la duchesse d'Estrées, douairière, lui dit : « Monsieur, vous êtes venu me voir à Villars, vous y avez passé plusieurs jours, vous êtes venu souvent manger chez moi à Paris, je n'ai jamais mis le pied chez vous parce qu'on a toujours voulu dire que ce que vous proposiez étoit contraire au bien de l'État. Il y a présentement deux grandes opérations qui roulent sur vous; l'une que l'on appelle le Mississipi; l'on y fait, dit-on, des fortunes surprenantes. Il est bien difficile que certaines gens gagnent si prodigieusement sans que d'autres perdent ; j'avoue que je n'y comprends rien, et je ne sais pas, d'ailleurs, admirer ce qui est au-dessus de mes connoissances; mais, enfin, sur cette opération de laquelle je ne veux tirer aucune fortune, je consens à m'en taire. L'autre est la banque royale: elle peut être d'un grand avantage pour le roi, parce que ce moyen lui donne tout l'argent de ses sujets sans en payer le moindre intérêt; de leur côté, les sujets peuvent y trouver aussi quelque utilité, puisque le roi, ayant toujours des fonds prêts, sera obligé à moins d'impositions. Mais, comme cet avantage roule uniquement sur la confiance, il faut que l'ordre soit si réguhèrement observé que celui qui vous donne son argent

« PreviousContinue »