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Pendant ce temps-là, le comte de Toulouse arriva : le régent le mena à une fenêtre et lui dit peu de paroles, après lesquelles le comte de Toulouse alla trouver le duc du Maine, et ils sortirent tous deux. Le maréchal de Villars dit là-dessus au marquis d'Effiat : « Ils s'en vont, qui quitte la partie la perd. » Le régent conseilla au comte de Toulouse d'emmener son frère et l'assura en même temps qu'il n'y auroit rien contre lui. Le moment d'après, le conseil s'assit, et le régent dit d'abord qu'il étoit question d'édits et d'arrêts qui regardoient les princes légitimés, et que, en un mot, par rapport au duc du Maine, il aimoit mieux un ennemi déclaré que couvert.

On commença par la lecture d'un édit qui, à la sollicitation des Pairs, ôtoit au duc du Maine son rang, et qui le remettoit dans le Parlement et ailleurs, dans celui de l'érection de sa pairie, et par conséquent après tous les Pairs de France, excepté ceux que le roi avoit faits dans les dernières années de sa vie. Par là, le duc du Maine se trouvoit partout après le maréchal de Villeroy, et l'on prétendit qu'il ne pouvoit plus avoir la surintendance de l'éducation du roi.

M. le Duc lut un mémoire par lequel il la demandoit, et il fut lu un autre édit par lequel cet honneur lui fut accordé, et ainsi ôté au duc du Maine. Le maréchal de Villeroy dit qu'il voyoit avec douleur détruire les dispositions du feu roi.

Les princes légitimés sortis, et ayant abandonné leurs prétentions, personne ne pouvoit prendre la parole pour soutenir leur rang, outre que l'on faisoit revivre une requête des Pairs du commencement de la régence, et que plusieurs avoient ignorée.

On lut encore un autre édit par lequel on redonnoit au comte de Toulouse les honneurs de prince du sang, à la requête encore des Pairs, requête beaucoup moins connue que la première. Ensuite, on fit lecture de plusieurs édits contre le Parlement, d'un, entre autres, par lequel il étoit déclaré que, dès qu'un édit auroit été présenté à la cour pour être enregistré, l'enregistrement étoit censé fait huit jours après. Ces lectures finies, le roi alla à la chapelle. Le lit de justice se forma, les princes du sang et les Pairs prirent place : le Parlement, suivant l'usage, députa pour aller chercher le roi; et tout le monde assis, le garde des sceaux d'Argenson fit un discours très court et dit au greffier de lire les édits.

Après la lecture du premier, le premier président demanda permission de délibérer. Le garde des sceaux, après s'être approché de la personne du roi comme pour recevoir son ordre, répliqua seulement : « Le roi veut être obéi, et sur-le-champ. »

Quelques Pairs furent surpris de ce qu'ils étoient nommés, et dans l'édit qui remettoit le duc du Maine à son rang de Pair, et dans celui qui distinguoit le comte de Toulouse de ce traitement. Il paroissoit que l'un et l'autre édit étoit à la réquisition des Pairs, ce que tous ignoroient. Mais, comme plusieurs étoient peinés de voir un des fils du feu roi dégradé, tous consentirent volontiers au traitement différent que recevoit son frère.

Ils s'étoient retirés tous deux dans l'appartement du duc du Maine. Mais, s'ils avoient eu la fermeté de demeurer pendant le lit de justice et de représenter avec force le tort qui leur étoit fait, surtout au duc du

Maine, en lui ôtant la surintendance de l'éducation du roi et de veiller à sa conservation, laquelle lui étoit plus justement confiée qu'aux héritiers présomptifs de la couronne, il n'étoit pas impossible qu'ils n'apportassent quelques difficultés, mais la crainte d'être arrêtés fit impression sur des cœurs remplis de bonnes qualités, mais dans lesquels on n'étoit pas persuadé que la fermeté fût la vertu dominante.

Avant que le Parlement arrivât, on crut que, peutêtre, il n'obéiroit pas, et le garde des sceaux proposa des partis assez violents. Le maréchal de Villars prit la parole et dit que, dans les occasions importantes, on devoit regarder comme un grand bonheur que le temps employé à délibérer ne fasse pas perdre des moments précieux, qu'il s'étoit trouvé plusieurs fois en sa vie dans ces moments critiques, et que, toutes les fois qu'il n'y avoit eu aucun péril dans le retardement, il s'étoit cru heureux de pouvoir examiner pendant quelques heures quel parti étoit le meilleur; que, dans celle-ci, il trouvoit que tout obligeoit à délibérer et rien à presser des résolutions dont on auroit peut-être sujet de se repentir.

Le maréchal de Villars alla l'après-midi chez le duc d'Orléans, qui s'ouvrit à lui sur les divers sujets qu'il avoit de se plaindre du duc et de la duchesse du Maine : qu'il savoit que ce duc étoit résolu de mener le roi au Parlement, de le faire déclarer majeur, et, par là, d'anéantir la régence. Le maréchal de Villars répondit qu'il ne croyoit pas le duc du Maine assez déterminé pour prendre une pareille résolution, mais que, pour lui, il lui suffisoit qu'il eût déclaré en plein conseil que le duc du Maine étoit son ennemi pour avoir désormais

peu de commerce avec lui; que, jusque-là, il ne l'avoit pas vu, mais que son malheur étoit assez grand pour que l'on allât lui en faire un compliment. Le régent lui dit qu'il pouvoit y aller, que le maréchal de Villeroy et le marquis d'Effiat y devoient aller aussi.

Le maréchal de Villars y alla en quittant Son Altesse Royale, et trouva le mari et la femme aussi consternés qu'ils avoient sujet de l'être. Le comte de Toulouse arriva le moment d'après, et le maréchal les laissa tous trois, après leur avoir témoigné la part sincère qu'il prenoit à leur malheur. Certainement, le duc du Maine ne se l'étoit pas attiré; son humeur tranquille, sa piété et son éloignement naturel de toute entreprise devoient le mettre à couvert des soupçons. Il n'étoit occupé que du soin de bien remplir les devoirs de ses charges de colonel général des Suisses, de grand-maître de l'artillerie, de gouverneur de Languedoc et de colonel du corps des carabiniers.

Peu de jours avant le lit de justice' dont nous avons parlé, il étoit le matin chez le maréchal de Villars et lui apprit qu'avant que d'aller dîner chez le prince de Léon aux Bruyères, petite maison à une lieue de Paris, on lui avoit donné avis et à la duchesse du Maine qu'ils seroient arrêtés ce jour-là même en sortant de la ville. Ils firent cependant ce petit voyage, et, au retour, le duc du Maine alla rendre compte au duc d'Orléans de l'avis qu'il avoit reçu et qu'il avoit méprisé. Le duc d'Orléans l'en remercia avec de grandes marques d'amitié.

Le duc du Maine dit au maréchal de Villars qu'il étoit si ennuyé de toutes les petites tribulations qu'il avoit à essuyer que, malgré l'honneur et les soins de

la surintendance de l'éducation du roi, il donneroit dix mille écus de bon cœur à celui qui lui apporteroit une lettre de cachet pour aller passer cinq ans dans ses terres; et au fond il ne déguisoit pas ses sentiments. Le maréchal de Villars, après la prison du duc du Maine, qui arriva peu de mois ensuite, rendit compte de ce discours au régent. Le mari et la femme couchèrent cette même nuit chez le comte de Toulouse et allèrent habiter Sceaux, où tout le monde alla les voir.

Cependant, le régent, qui avoit pour principe d'employer beaucoup d'espions, étoit informé de quelques pratiques de la duchesse du Maine.

On étoit alors brouillé avec l'Espagne, où Stanhope avoit été très mal reçu. La Sicile, attaquée, préparoit une guerre dans laquelle la France étoit obligée d'entrer. Toutes les démarches de l'ambassadeur d'Espagne étoient épiées : l'on sut qu'il avoit vu une fois, la nuit, la duchesse du Maine, et l'on apprit depuis qu'il y avoit été dans un carrosse du marquis de Pompadour, mené par le comte de Laval. Ce ministre, voyant la guerre certaine, n'oublioit rien pour former un parti en France, où il commençoit à se trouver bien des mécontents.

La Bretagne en étoit remplie, excitée par les mauvais traitements que lui avoit attirés le maréchal de Montesquiou, qui y commandoit; et enfin, peu de semaines après, on fut informé de toutes les menées de l'ambassadeur d'Espagne par sa propre indiscrétion. Cet ambassadeur avoit toujours marqué de grands égards au maréchal de Villars, il l'étoit venu voir à Villars et s'y étoit trouvé dans le temps que Law y étoit.

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