Page images
PDF
EPUB

militaires de la garde soldée; mais ceux qui, placés dans une position élevée autour du trône, avaient eu quelques instans de telles pensées, les avaient bientôt abandonnées.

Au milieu de la confusion générale, Monsieur, dont les revenus étaient en retard, avait eu le besoin de recourir à un emprunt de deux millions pour satisfaire à des engagemens pressés, et Favras avait été chargé de cette négociation. Ces circonstances diverses fournirent au comité des recherches les élémens d'un vaste plan de conjuration.

Deux recruteurs qui avaient eu quelques entrevues avec Favras, l'avaient dénoncé à la fois et au comité des recherches et à l'état-major de la garde nationale. Il résulta de l'instruction du procès que l'un de ces hommes était employé comme espion; qu'attaché à l'étatmajor comme officier, il était encouragé au rôle de provocateur par les récompenses accordées aux délations. Ce misérable se vantait, dans sa déposition, d'avoir proposé à Favras et sollicité de lui la mission d'assassiner La Fayette au moment où ce général monterait en voiture pour se mettre à la tête de son armée.

La joie que causa l'arrestation de Favras dans le parti révolutionnaire fut telle que Camille Desmoulins s'écria : « Ceux qui ont pris

la Bastille ont rendu peut-être un moins grand service que ceux qui ont fait cette prise. » Les journaux dévoués à la faction d'Orléans, soigneux de distraire la pensée publique de tant de crimes, accusaient Monsieur d'être à la tête de la conspiration. Monsieur se rendit à l'assemblée de la commune, déclara qu'il était vrai qu'il avait cherché à faire un emprunt de deux millions pour ses affaires, mais il désavoua Favras, avec qui il déclara n'avoir eu aucune relation. Une telle démarche dans un prince appelé à la couronne, venant présenter sa justification à une autorité née de la révolution, et demander acte de son patriotisme, fut un triomphe pour les révolutionnaires ; l'orgueil municipal fut satisfait, et Bailly, au nom de l'assemblée, exalta les vertus civiques du prince.

Toutes les fureurs de la multitude étaient excitées contre Favras. On lui attribuait les plans les plus absurdes; ainsi, les membres de l'assemblée nationale, le général, les chefs de la garde nationale devaient tous être égorgés. On supposait à Favras la puissance de soulever la France entière, de contracter des alliances avec les états voisins, de faire arriver douze mille Suisses sans obstacle à Paris; et Favras était seul, et Favras n'avait pas de complices.

[ocr errors]

Pendant trois mois des espions avaient été attachés à tous les pas de Favras, et ces surveillans eux-mêmes, appelés en témoignage, avaient déposé à sa décharge.

Favras, dans sa haine profonde contre la révolution, avait moins cherché à la combattre par des résolutions fixes que par des pensées vagues et incohérentes, qui avaient du charme pour son imagination ardente. Ses juges, en donnant de la réalité à de telles pensées, et les transformant en un crime capital, obéirent à l'impulsion révolutionnaire de ces temps.

Cette vaste conspiration, dont les ramifications, au dire de ses accusateurs, s'étendaient dans toutes les provinces de France et jusque dans l'étranger, n'avait laissé aucune trace de correspondance; elle n'était signalée que par le témoignage de deux hommes qui se reconnaissaient eux-mêmes provocateurs: on refusa d'entendre les témoins qui eussent révélé les impostures de ces misérables. Les juges frémissaient aux cris de la multitude qui, la veille, s'était soulevée au faubourg Saint-Antoine; ses clameurs dévouaient Favras à la mort les juges tremblèrent; Favras fut condamné. Son seul crime fut d'avoir manifesté son attachement au sang de ses rois. Vingt-huit magistrats concoururent à l'arrêt,

[ocr errors]

qui fut prononcé à minuit : il portait que Favras subirait la mort, après avoir fait amende honorable devant la principale porte de la cathédrale; qu'il serait traîné dans un tombereau, en chemise et la corde au cou, portant devant et derrière lui un écriteau avec ces mots: Conspirateur contre l'Etat. Des battemens de mains, des cris d'une joie féroce éclatèrent à la lecture de ce jugement inique. Le lendemain l'arrêt fut lu à Favras, qui s'écria : Que vous êtes à plaindre, messieurs, puis«< que l'imposture de deux hommes pervers << suffit pour vous faire condamner un inno<< cent! Je suis victime de leurs calomnies. » L'exécution fut fixée au lendemain Favras. demanda pour confesseur le curé de SaintPaul. Conduit devant la porte de l'église de Notre-Dame, il descendit du tombereau avec le courage le plus calme. L'exécuteur avait mis dans sa main la torche ardente : il lui fut ordonné de faire amende honorable. Un peuple immense inondait le parvis et insultait Favras. « Ecoutez, peuple, s'écria-t-il, écoutez ce << que je vais vous dire les motifs de ce ju«<gement sont de toute fausseté; je suis inno<«< cent, comme il est vrai que je vais paraître « devant Dieu, et je ne fais qu'obéir à la jus<«<tice des hommes. » Favras fut conduit à

:

l'Hôtel-de-Ville, où il dicta ses dernières pensées sans faiblesse et sans crainte D'instans en instans on entendait de la place de Grève ces cris: Favras! Favras! I descendit ensuite, marchant avec calme au-devant de la mort, et deux fois, dans ce moment suprême, il s'écria: Je meurs innocent!

L'exécution s'était faite à la nuit : la place de Grève était illuminée; on avait placé des lampions jusque sur l'échafaud. Tous les spectateurs furent émus de tant de courage, et cependant des cris et des battemens de mains retentirent pendant le supplice!

Un homme fut arrêté au milieu des groupes d'où s'élevaient des cris de menace. Interrogé par le commissaire de police, il manifesta la plus vive surprise de son arrestation. « Com«< ment, messieurs, osa-t-il dire, je suis un bon citoyen; c'est moi qui ai coupé la tête << à Foulon et à de Launay; c'est moi qui leur << ai arraché le cœur et les entrailles. » Le cannibale se vantait de ses hauts faits, et de si exécrables crimes étaient des actes de civisme qu'il invoquait comme des titres à l'inviolabilité.

En détruisant tous les ressorts du principe monarchique, l'assemblée s'étudiait à faire entendre au roi de vaines protestations de respect et d'amour; et lorsqu'elle ensevelissait

« PreviousContinue »