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et l'autorité royale, devenue impuissante, eût voulu vainement rendre à ces corps un pouvoir dont les derniers instans avaient hâté, dans sa marche, le cours des événemens.

Tandis que d'Eprémesnil, qui avait appris du temps et des malheurs de la patrie à dédaigner une popularité dont il fut l'idole, assistait avec une inquiète douleur à la chute de ces grands corps, Duport était impatient de réaliser le nouveau système judiciaire qu'il avait médité: Alexandre de Lameth pressait ce dernier acte de destruction. « Nous ne pou«<vons nous le dissimuler, s'écriait-il, tant que « les parlemens conserveront leur ancienne « existence, les amis de la liberté ne seront << pas sans crainte, et ses ennemis sans espé«< rance. » Et ces parlemens, qui tant de fois avaient été salués comme les défenseurs des libertés de la patrie, entendaient à leur dernière heure, pour adieux, les clameurs des factions.

Un nouveau système d'institutions judiciaires devait s'élever sur les ruines de cette magistrature antique, dont la haute intégrité était une des puissances et une des gloires de la France. Le principe le plus démocratique domina l'assemblée dans la création des tribunaux ; ils furent tous égaux entre eux, et institués juges

d'appelles uns des autres. Les factions élevèrent ou brisèrent à leur gré ces instrumens mobiles de leurs haines ou de leurs passions; il n'y eut plus, dès cet instant, de magistrature en France. L'autorité royale venait d'être dépouillée du droit de nommer les juges; peu de temps après, elle devait l'être du droit de faire grâce.

La prérogative royale fut vainement défendue par Cazalès, Maury, Malouet; il fut décrété que le roi n'aurait pas le pouvoir de refuser son consentement à l'admission d'un juge élu par le peuple..

Les chambres des vacations qui suivirent l'exemple de celle de Rouen furent révoquées, mandées et admonestées avec la plus étrange arrogance.

Clergé, noblesse, parlemens, tout tombait sous la faux redoutable de l'assemblée usurpatrice.

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Envahissant tous les pouvoirs au nom de la liberté, créant un système d'inquisition au nom de la liberté, on la vit encore établir la censure au nom de la liberté. Les mandemens des évêques furent déférés aux tribunaux chargés de poursuivre les crimes de lèse-nation. Ainsi, malgré toutes les concessions, la révolution prodiguait les plus cruels outrages à ce même roi, que peu de mois auparavant elle avait sa

lué du titre de restaurateur de la liberté française.

Le comité des recherches, fidèle à son origine, mais trompé cette fois dans ses espérances, se livrait sans relâche à ses investigations pour découvrir des traces de complot contre la révolution. Il faisait un appel aux dénonciations; des récompenses étaient attribuées aux délateurs : un arrêté de la commune en avait proclamé le tarif, suivant l'importance et le succès des révélations; elles pouvaient valoir au délateur jusqu'à 24,000 fr.

Si cette liberté, tant de fois invoquée dans les combats livrés par les factieux à la monarchie, avait été une conviction vraie et profonde, ils l'auraient respectée dans leurs adversaires; ils n'auraient point appelé la corruption à leur aide; ils n'auraient point cherché des crimes dans les correspondances interceptées, dans l'expression du mépris et de la haine contre la révolution. Mais les chefs de cette révolution, en se flattant de dominer la multitude, obéissaient à ses sanglans caprices, et livraient à ses fureurs ceux que lui désignaient ses clameurs et ses haines. L'absolution de Besenval avait irrité la multitude; les factieux la consoleront en livrant à ses fureurs de nouvelles victimes.

Au milieu d'une anarchie qui envahissait tout, les revenus de l'Etat allaient toujours en décroissant : le désordre était dans les finances. Des impôts établis sur des calculs vrais, des réformes sagement combinées dans les intérêts des peuples, ne pouvaient point être la pensée des factions qui avaient usurpé le pouvoir un instinct secret les portait à dévorer les ressources que le temps avait lentement amassées; il leur fallait des moyens rapides. L'envahissement des biens du clergé avait déjà été proposé; cette spoliation était approuvée par tous ceux qui voyaient dans l'abaissement du clergé un moyen de diminuer l'action de la religion. Mirabeau et Talleyrand furent les provocateurs d'un décret qui devait mettre aux mains de l'assemblée une masse de richesses évaluées au quart du sol de la France. L'évêque d'Autun lui-même se chargea d'établir que le clergé n'était pas propriétaire, et que les biens qui n'ont pas de propriétaire particulier appartenant à la société entière, les biens du clergé étaient la propriété de l'Etat. Les subtilités de l'avocat Treilhard vinrent en aide aux sophismes de l'évêque d'Autun. Les orateurs du côté droit défendirent les vrais principes avec une haute supériorité de lumières; l'abbé Maury, Cazalès, répondirent aux so

phismes de Talleyrand; mais la raison devait être vaincue par les cris d'une faction répétant sans relâche : Nous sommes la nation.

Barnave demanda la destruction de tous les ordres religieux, et invoqua les droits de l'homme pour ôter aux hommes le droit de se consacrer au service de Dieu.

Ce fut dans cette discussion qu'effrayé de tant de maximes irréligieuses, l'évêque de Nanci s'élança à la tribune, et demanda que la religion catholique fût reconnue religion de l'Etat. « La motion de M. l'évêque de Nanci << est injurieuse, s'écria Roederer; elle tend à <<< faire croire que des dangers menacent la re

ligion. » C'est ainsi que les adversaires de la religion protestaient de leur respect pour le culte au moment même où ils levaient la hache pour la détruire.

La plus vive agitation se manifesta : la séance, levée au milieu du bruit, fut ajournée au lendemain. Dès ce moment, les factieux désignèrent aux fureurs de la multitude les membres du clergé ; il ne devint plus possible de se montrer sans danger avec le costume ecclésiastique. A l'ouverture de la séance, les clameurs de la multitude retentissaient autour de la salle; les postes avaient été doublés. Vainement les députés du clergé se plaignirent

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