Page images
PDF
EPUB

NÉ A TAMATAVE.
INAPPLICABILITÉ. TRANSMISSION IMMOBILIÈRE.

SUCCESSION MALGACHE. - ART. 28 DE L'INSTITUTION.

----

VALIDITÉ. I. Les Malgaches, avant 1881, c'est-à-dire avant la prohibition de la polygamie, prononcée par la loi de la reine du 29 mars 1881, роиvaient avoir plusieurs femmes de différents degrés, les vadibés épouses supérieures, les vadimasays, épouses intermédiaires, et les cadikélys, petites épouses.

Quel qu'ait été le rang de ces femmes dans les unions malgaches, il n'existait aucune différence entre les enfants qui en étaient issus. Et lors même qu'on eut considéré ceux nés des vadimasays et des vadikelys comme enfants naturels, tous venaient à la succession de leur père avec les mêmes droits.

Et pour habiliter ces enfants à lui succéder, le père n'avait pas besoin de les adopter.

En conséquence, est opposable aux tiers la vente consentie par l'un de ces enfants, d'un immeuble par lui recueilli dans la succession de son père, et notamment au preneur d'un bail emphyteotique de cet immeuble à lui précédemment fait par le père (1).

II. L'institution des sakaizambohitras (ou amis des villages), effectuée en un kabary solennel de la reine Ranavolomanjaka, du 14 juillet 1878, ne concernait que les régions du royaume malgache autres que les côtes; la région de Tamatave spécialement n'y était pas comprise. C'est donc à tort que le preneur à bail emphyteotique d'un terrain situé à Tamatave oppose à l'acquéreur de ce terrain comme étant aux droits de son vendeur, et ce en déniant à ce vendeur, enfant né d'un indigène à Tamatave, tout droit à la succession de son père, dans laquelle il a recueilli cet immeuble, l'inobservation par cet enfant de l'art. 28 de ladite institution, aux termes de laquelle, quand un décès se produisait, les héritiers devaient se présenter aux sakaizambohi

(1) Cette loi malgache du 29 mars 1881, dite Code des 305 articles, a codifié certaines coutumes malgaches. Celles qui n'y ont pas été reproduites sont restées en vigueur et le sont encore. Et bien, comme nous l'avons dit dans une étude de notre Directeur, publiée en ce Recueil (vol. 1906, 2° partie), qu'une circulaire du Gouverneur général du 1er juillet 1904 ait prescrit de rechercher l'ensemble de ces coutumes, le Recueil en est toujours attendu.

Et nous faisons observer que, s'ils sont régis par des coutumes, il n'est rien dit dans cette loi ni sur le régime des unions malgaches et la distinction des femmes, ni sur le droit successoral des enfants nés de ces unions.

N'est-il pas particulièrement intéressant de constater le rapprochement à faire de ces coutumes malgaches, relatives d'une part à la pluralité des femmes et d'autre part à la condition légale des enfants dans la succession de leur père, de ce que nous rencontrons chez les Chinois et les Annamites. N'est-il pas étrange de retrouver chez des peuples dont le caractère ethnique n'a rien de commun, vivant sous des longitudes si distantes, des règles familiales d'un caractère si essentiellement semblable, si même elles ne sont complètement identiques. En effet, si chez les Malgaches existaient, avant 1881, les épouses supérieures, les épouses intermédiaires et les petites épouses, en droit annamite nous rencontrons la femme de 1" rang, la vo lon, la femme de 2 rang, la vo-bé, et enfin la concubine, la tieu-thiep, qualifiée aussi de petite servante. Quant aux enfants, « quels que soient leur sexe ou leur situation (Durwell, Doctrine et jurisprudence annamites, vol. 1898, v Partage), qu'ils soient issus d'une femme de premier rang ou de deuxième rang ou même d'une concubine, ils ont droit au patrimoine de leur père par parts égales ». (V. en ce Recueil les nombreuses applications de ces règles en jurisprudence). Bien d'autres rapprochements seraient à faire.

tras afin que ceux-ci prennent note du nom de celui qui faisait le partage et de la façon dont la répartition était faite, à défaut de quoi ces héritiers, fussent-ils des enfants du défunt, étaient déchus (1).

(Chouin c. Bonnemaison).

Nous avons rapporté (vol. 1906, I, 2306, 243) un jugement du tribunal de Tamatave du 19 décembre 1904 et l'arrêt confirmatif de ce jugement rendu par la Cour d'appel de Tananarive du 8 février 1906. Rappelons brièvement les faits de cette affaire.

Un sieur Bonnemaison avait, aux termes d'un écrit du 3 janvier 1883, pris à bail emphyteotique d'un indigène, le sieur Peter Ratsitokana, un terrain situé à Tamatave.

Vingt ans plus tard, par acte notarié du 16 juin 1903, ce terrain avait été acheté par un sieur Jouin des héritiers du sieur Ratsitokana. Le jugement, puis l'arrêt sus-énoncé, mais par des motifs dissem-. blables, ont refusé à l'acquéreur Jouin la faculté de pénétrer sur le terrain pour en opérer le bornage. Et en appel, la Cour s'est fondée sur ce que l'acquéreur ne justifiait pas de droits certains à la propriété dudit terrain, en ce qu'il se bornait à démontrer, par un simple acte de notoriété, non susceptible, a dit l'arrêt, de faire preuve selon la législation applicable aux indigènes, que ses vendeurs étaient les héritiers de Peter Ratsitokana.

En cet état, une enquête ayant été ordonnée par un jugement avant faire droit du 28 janvier 1908, le tribunal a statué au fond dans les termes suivants :

LE TRIBUNAL:

Attendu que l'enquête n'a pas été concluante;

Que la seule chose plus ou moins établie par les témoins de l'enquête est qu'un mariage, avec quelques formes de publicité, eut lieu à Tamatave, avant la première guerre », entre le juge Pierre Ratsitokana, chef des Betsimisarakas et la femme Tapenaka, et que celle-ci vécut sous le toit conjugal, tandis que Rato Impasa, qui donnait le jour à Peter Sakoka, habitant tantôt Tamatave, tantôt la campagne (déposition de Tsiangilé) aurait été une concubine de Pierre Ratsitokana (dépositions de la dame Parson et de Tsiviavi);

Mais qu'aucun des témoins n'a pu affirmer la légitimité de ce mariage, laquelle échappait d'ailleurs à leur entendement, ni l'époque précise de sa célébration à la Batterie et à l'Eglise protestante. pas plus qu'ils n'ont fourni le moindre détail sur les fiançailles, la dation et l'acceptation du Vadiondry, ni précisé ce qu'ils ont pour la plupart appelé toit conjugal, un malgache avant 1881, c'est-à-dire avant la prohibition de la polygamie, pouvant avoir autant de toits conjugaux que de femmes, sans que cela fit échec le moindre

(1) L'institution des sakaizambohitras a été réglée par des prescriptions formulées en un certain nombre d'articles.

L'un de ces articles, l'art. 28, rappelons-le, le jugement rapporté ayant omis de le signaler, déclarait déjà la polygamie non tolérée dans le royaume, mais la sanction était puérile; il était simplement ordonné aux Sakaizambohitras de faire des remontrances aux époux coupables et de les conduire aux aides de camp du premier ministre chargés de recevoir les plaintes.

Dans le système adopté par la décision, cette prescription ne pouvait davantage s'appliquer à l'espèce, par la même raison que celle donnée par la décision à l'égard de la non-applicabilité de l'art. 28.

ment à la hiérarchie des vadibés (épouses supérieures), vadimasay (épouses intermédiaires) et vadikélys (petites épouses);

Attendu que les témoins de la contre-enquête, dont notamment deux vieux colons, Dupuy et Dumazel, ayant bien connu le juge Ratsitokana, affirment que ce dernier avait plusieurs femmes, entr'autres Rato Impasa et Tapenaka, que Sakoka était né d'Impasa, qu'il vivait avec son père, qu'il est bien l'héritier de Ratsitokana (dépositions de Dumazel et de Vaudagne); que son père pourvoyait à son éducation et l'envoyait à l'école, qu'il était de notoriété publique que Ratsitokana avait présenté son fils à la Batterie (déposition de Heurtevent); qu'enfin, à cette époque, c'est-à-dire avant 1881, le mot « légitime » n'avait pas son équivalent dans l'idiome malgache;

Qu'aussi bien tous les témoins de la contre-enquête ont-ils été unanimes à déclarer qu'avant 1881, « il n'y avait ni enfants légitimes, ni enfants naturels » (dépositions des témoins Etienne Joseph et Lucie Nicole); que la reconnaissance d'un enfant, même étranger, se faisait par la notoriété publique (déposition de Heurtevent);

Que si un seul témoin, la dame Lucie Nicole, a dit, comme certains témoins de l'enquête, que « Rato Impasa était la concubine de Ratsitokana », elle a eu soin de corriger son affirmation trop absolue en ajoutant que << Ratsitokana considérait Tapenaka comme supérieure à Rato Impasa ».

Attendu que la femme Tapenaka put être la « vadibé » de Ratsitokana et Rato Impasa une « vadimasay», ou même simplement une « vadikély », sans que pour cela la prééminence de Tapenaka eût pour conséquence de rendre Sakoka, né de l'union de Ratsitokana et de Rato Impasa, inhabile à succéder à son père, ou de l'empêcher de concourir à la succession de Ratsitokana en égal rang avec des enfants issus de son union, à elle Tapenaka, avec Ratsitokana, si elle en avait laissé ;

Qu'en tout cas, la naissance de Sakoka se plaçant en 1880 et le mariage prétendu légitime de Ratsitokana, père de Sakoka, avec la femme Tapenaka étant déclaré par les témoins de l'enquête avoir eu lieu avant la première guerre, c'est-à-dire avant 1882, les présomptions de droit sont en faveur de Sakoka, comme né, avant la cessation de la polygamie de Ratsitokana, de l'union malgache de ce dernier avec Rato Impasa;

Attendu donc que Bonnemaison n'a rapporté ni la preuve de la légitimité du mariage de Ratsitokana et de Tapenaka, ni celle de l'antériorité de ce mariage à la naissance de Sakoka, que les pièces versées au dossier par le demandeur Chouin établissent suffisamment être né en 1880, ni conséquemment davantage celle de l'adultère de Ratsitokana, mari de Tapenaka, avec Rato Impasa, duquel adultère serait issu Sakoka à en croire l'argumentation, sans valeur du reste, du défendeur Bonnemaison;

Que tout laisse, au contraire, sérieusement présumer, en l'absence d'acte régulier constatant le mariage de Ratsitokana et de Tapenaka et en présence des dépositions, peu précises à ce sujet, plutôt vagues et nuageuses, des témoins de l'enquête, que le juge Ratsitokana, chef des Betsimisarakas, a tenu à se conformer à la nouvelle loi de la Reine du 29 mars 1881, prohibant dans son art. 50 la polygamie et à contracter avec Tapenaka, la vadibé de sa préférence, une union régulière, laquelle fut incontestablement postérieure à la naissance de Sakoka;

Que Bonnemaison, qui a offert de rapporter la preuve du mariage légitime de Ratsitokana et de Tapenaka, est mal venu à renverser le fardeau de la preuve en réclamant à son tour que Sakoka, fils de Ratsitokana et de Rato Impasa, fit la preuve de l'union régulière de ses père et mère, les actes qu'il a produits et les témoignages recueillis à la contre-enquête étant, d'autre part, suffisants pour justifier sa qualité d'héritier de Ratsitokana;

Que, ne serait-il qu'enfant naturel, cela ne saurait, en droit malgache, ôter à Sakoka ses droits à la succession de son père Ratsitokana ;

Qu'on lit, en effet, dans Cahuzac (Essai sur les institutions et droits malgaches, tome 1, chapitre III, page 121):

« Le malgache ne fait aucune différence entre l'enfant légitime et l'enfant « né hors mariage. Tous les enfants vivent, dans la famille, sur le pied «d'égalité la plus absolue; ils font tous partie, au même titre, du groupe « familial et assistent à toutes les cérémonies et anniversaires. La loi coutu«mière, qui n'est jamais que la reproduction des mœurs, n'édicte contre <«<eux aucune incapacité. L'enfant naturel jouit de tous les droits civils; il << est capable d'exercer toutes les fonctions publiques; il a, dans la succes«sion des parents, les mêmes droits que les enfants légitimes »;

Attendu que cette constatation des mœurs malgaches d'avant 1881, c'està-dire, pour le répéter, d'avant l'interdiction de la polygamie, est fort suggestive et confirme l'opinion qu'à cette époque, où florissait la polygamie et où le juge Ratsitokana la cultivait au vu et au su des sujets de la Reine (voir dépositions des témoins de la contre-enquête), Ratsitokana et Rato Impasa étaient dans les liens de l'union malgache.

Sur le moyen tiré de l'inobservation par Ratsitokana de l'art. 229 du Code des 305 articles :

Que point n'était besoin pour Ratsitokana d'adopter son fils Sakoka, afin de l'habiliter à lui succéder;

Qu'à l'enfant, né avant 1881, de l'union dite malgache, des formalités de l'adoption étaient parfaitement inutiles;

Que Cahuzac rapporte encore dans son ouvrage précité, tome 1er, livre X, chapitre VI, Des successions, page 279: « L'enfant naturel ne subit aucune « déchéance. Son droit de successibilité est le même que celui d'un enfant «né hors mariage. Il vient en concours avec lui et par portions égales. « Comme conséquence, la succession de l'enfant naturel est dévolue comme « celle d'un enfant légitime, sans aucune espèce de distinction. >>

Sur le moyen tiré de l'inobservation par Sakoka de l'article 28 de l'institution des Sakaizambohitras:

Attendu qu'il importe tout d'abord de rechercher l'origine de l'institution de Sakaizambohitras et à quelles parties du royaume son fonctionnement fut prescrit;

Que la corporation des Sakaizambohitras ou « amis des villages » fut instituée le 14 juillet 1878 en kabary solennel par la Reine Ranavalomanjaka sous la dictature de Raïnilaiarivony, premier ministre et commandant en chef;

Que la Reine, en les instituant, avait décidé ainsi : « Les postes pour les« quels je vous désigne aujourd'hui, ne sont pas de ceux situés sur les cô«tes ou la pacification est encore à faire; ils sont, au contraire, au cœur du « pays où vous veillerez sur la population et assurerez à l'Imérina paisible, << sa tranquillité.... ; »

Que les lieux de résidence des Sakaizambohitras furent aussi limitativement désignés : 41 pour la région d'Avararano, 38 pour Sisaony, 38 pour Marovatana, 41 pour Ambodriano, 27 pour Vonizongo, 9 pour Vakinankaratra, soit en tout 194 chefs-lieux des différentes provinces de l'Imérina ;

Qu'ainsi qu'on le voit, toutes les destinations des Sakaizembohitras ont concerné des régions du royaume autres que les côtes;

Attendu que le sieur Bonnemaison est donc mal fondé à exciper de l'inobservation par Sakoka de cet article 28, pour demander sa déchéance et sa qualité d'héritier, comme n'en ayant pas rempli la formalité ;

Que Bonnemaison est d'autant plus mal venu à invoquer l'inobservation de cet article 28, qu'il ne s'est pas lui-même conformé davantage aux prescriptions de l'article 36 de la dite institution des Sakaizambohitras, puisqu'il n'a pas, en conformité de ses dispositions, produit l'extrait des livres offi

ciels concernant le mariage de Ratsitokana et de Tapenaka, auquel extrait il a demandé au Tribunal de céans de suppléer par la preuve testimoniale (jugement avant faire droit du 28 janvier 1908);

Que si la législation des Sakaizambohitras eut jamais été applicable à Tamatave, le juge Ratsitokana aurait été le premier, en s'y conformant, à la faire obéir des sujets de la Reine, d'autant que l'article 38 de cette institution, prohibant la polygamie, le contraignait à adopter à l'avenir une situation familiale régulière;

Qu'en effet, loin de faire des remontrances aux polygames, ainsi que le prescrivait cet article, il leur donnait publiquement l'exemple du contraire (voir dépositions des témoins de la contre enquête);

Attendu donc, ainsi qu'on le constate aisément, que l'institution des Sakaizembohitras ne concerna jamais, encore moins dans la réalité que dans la pensée de la Reine, dont l'expression n'est que trop précise d'ailleurs dans son acte du 14 juillet 1878, les côtes du royaume.

Sur les autres moyens du défendeur :

Attendu qu'il est sans intérêt de les apprécier.

Par ces motifs :

Vidant son avant-faire droit en date du 28 janvier 1908;

Dit que la preuve offerte par Bonnemaison et ordonnée par le dit jugement n'a pas été rapportée;

Dit que les témoignages recueillis à la contre-enquête corroborent suffisamment au contraire les actes que Sakoka a produits au débat pour justifier de sa qualité d'héritier;

Adjugeant, en conséquence, en partie au demandeur Chouin, les conclusions de son exploit introductif d'instance en date du 27 octobre 1907;

Dit et juge que Chouin est propriétaire, en vertu de l'acte de vente de juin 1903, comme étant aux droits de Pierre Tsitokana, fils unique et héritier de Ratsitokana, juge signataire du bail emphyteotique du 3 janvier 1883, dont fut bénéficiaire le défenseur Bonnemaison du terrain sis place du marché et désigné au dit acte.

MADAGASCAR.

ARTICLE 2606.

COUR D'APPEL DE TANANARIVE
Présidence de M. LEGENDRE, président.
Audience du 8 juillet 1908.

DROITS DE CONSOMMATION.

CABOTAGE ENTRE PORTS

DE LA COLONIE. PROVISIONS DE BORD ÉTRANGÈRES. EXEMPTION. Les provisions de bord étrangères à la colonie, existant sur un navire qui transporte des marchandises d'un port de Madagascar à un autre port de la même colonie, ne sont pas passibles de la taxe de consommation établie à Madagascar par le décret du 26 août 1904 (1, 2). (Cie havraise péninsulaire c. Douanes de Madagascar).

Ainsi statué à l'assistance de MM. GAMON et DAIN, conseillers, après

(1) Bull. des lois, 12 S. B. 2585, n. 45227.

(2) La question à laquelle la Cour de Tananarive a donné une solution parfaitement juridique n'était pas tout à fait aussi simple que semblent l'indiquer les considérants de l'arrêt. Nous formulerons donc, sinon des critiques, du moins quelques observations :

1° L'arrêté du 14 septembre 1898 réglementant la navigation au cabotage dans les

« PreviousContinue »