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PRÉFACE

DE L'ABSENCE DE CODIFICATION

DU DROIT ADMINISTRATIF

SES CAUSES HISTORIQUES DISPARUES, ET SES CONSÉQUENCES

Le Droit administratif est la partie la plus vaste du droit public interne. Il est, dans le droit public, ce que le Droit civil est dans le droit privé. L'un et l'autre consacrent et mettent en œuvre la plupart des principes de notre droit national.

Si variés que soient les éléments dont le Droit civil se compose, un lien étroit les rattache les uns aux autres, les rassemble, en fait un tout dont il est facile de saisir l'harmonie. Malgré des préjugés contraires, fortifiés par son absence de codification, il en est de même du Droit administratif, en raison aussi et par la vertu des principes.

L'un et l'autre n'en restent pas moins soumis aux changements que commandent, au sein des sociétés humaines, les progrès incessants de la science, les transformations de la richesse et des conditions de la vie, les exigences des besoins matériels et moraux.

Parmi les rapports des individus entre eux, ceux aux

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quels le Droit civil a pour objet de pourvoir sont nombreux, moins encore que les rapports de l'État avec les individus dont le Droit administratif contient les règles. Cette différence d'étendue dérive naturellement de la complexité plus grande et du développement plus considérable, non seulement de l'organisme de l'État, mais aussi des besoins sociaux, par rapport aux relations purement civiles des individus entre eux. Il a été possible au législateur français, au commencement du XIXe siècle, d'élever au droit civil un magnifique monument dans les 2281 articles du Code civil. Le nombre des articles de nos lois administratives est plus considérable. Si elles étaient codifiées, elles pourraient être réduites, mais à un chiffre supérieur sans doute à celui des articles du Code civil.

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A l'étranger, comme dans notre pays, il n'existe pas de

codification des lois administratives. Cette absence de Code administratif est générale. Cependant la codification appliquée aux lois civiles, commerciales, pénales, de procédure, a fait d'immenses progrès en Europe et en Amérique. Un grand nombre d'États ont publié des Codes d'une importance capitale, et pas un Code administratif. L'étendue du Droit administratif n'y est, comme en France, qu'une des causes de l'absence de codification de ce droit.

Il existe cependant un Etat, un seul de nous connu, le Portugal, qui possède une loi intitulée « Code administratif ». Nous parlerons dans le présent volume de ce Code administratif portugais. Ce titre est ambitieux. La loi qui le porte ne correspond qu'à la partie du Droit administratif, dont nous traitons dans ce tome Ier. C'est une loi d'organisation administrative, conçue sur le modèle de la loi française du 28 pluviose de l'an VIII, bien que plus déve

loppée. Malgré sa très grande importance, la loi du 28 pluviôse de l'an VIII n'a jamais affecté la prétention d'être un Code administratif. Elle n'en a reçu ni le titre, ni le caractère. Il en est de même de nos lois successives d'administration départementale et communale qui lui ont succédé, et qu'a suivi, dans ses propres évolutions, cette loi portugaise.

L'absence de codification, dans leur ensemble, des lois administratives, est donc un fait aussi constant à l'étranger qu'en France.

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La grande étendue du Droit administratif n'explique pas seule ce phénomène. Il a d'autres causes, et surtout des causes historiques, absolument déterminantes pour la France, et, par voie de répercussion, pour les législations étrangères qui ont suivi l'exemple de notre codification de 1803. à 1810, sans y trouver de Code administratif.

Avant d'indiquer les causes historiques qui faisaient encore obstacle alors à la rédaction d'un tel code, une observation est nécessaire. Comme les Assemblées de la Révolution, l'ancienne Monarchie avait voulu doter la France du bienfait de la codification. Ses tentatives sont bien connues. Il convient de constater qu'elles comprenaient ce

que nous appelons les lois administratives, comme les autres. Il en fut ainsi au xve siècle de l'ordonnance du 25 mai 1413, au xvIe siècle du Code Henri de 1587, au commencement du xvne, sous Henri IV, de l'oeuvre de Louis Carondas. préparant par son ordre le Code destiné à devenir la loi générale du royaume, et sous Louis XIV, de ce qui, dans sa pensée et celle du chancelier Séguier, devait être le Code Louis, et a donné du moins naissance au Recueil des ordonnances du Louvre.

La loi de division du travail législatif était méconnue dans ces divers essais. Indépendamment de leurs autres causes d'insuccès, ils étaient condamnés, par leur prétention même de réunir dans un Code unique toute la législation du pays.

Les causes historiques de l'absence de codification de nos lois administratives au lendemain de la Révolution sont diverses, et cependant peuvent se résumer d'un mot, sauf à le justifier. On peut dire que le Droit administratif n'existait pas, et même qu'il n'était pas possible, dans notre ancienne France.

Le nom lui-même faisait défaut. On chercherait vainement l'expression de « droit administratif » avant le xix" siècle. Le motif en est que, dans ce siècle seulement, le Droit administratif s'est formé. Sans doute, il y avait dans le passé une organisation pouvant correspondre dans une certaine mesure, avec des différences infinies et profondes, à l'administration de nos jours. Elle ne porte même pas le nom d'« administration ». Dans la langue du xv siècle, on dit « la police 1», ainsi qu'en témoignent les Lettres

De la police sons Louis XIV, par Pierre Clément, 1869.

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