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et autres actes du ministère de Colbert 1, et la Correspondance de Louis XIV 2. Il en est de même au XVIe siècle. Le Traité de la police de De la Marre 3, commissaire au Châtelet, qui reçut 300,000 livres du Régent pour les frais de cette publication, présente incontestablement le tableau le plus complet des lois administratives de notre ancienne France. On y voit aussi l'image saisissante du système réglementaire de l'ancien droit, s'imposant avec ses inutilités, ses abus, ses violences, dans toutes les manifestations de la vie et du travail humain, et dans tous les phénomènes économiques. L'idée et le mot de « police », substitués à l'idée et au mot d'« administration »>, et surtout de « droit administratif », avaient certainement alors leur raison d'être.

Toute branche du droit suppose en effet un ensemble de principes appliqués et mis en œuvre. Des prescriptions en matière d'administration, même des institutions administratives, peuvent exister, et ont existé dans notre ancienne France, comme dans toute société, avant la formation possible du Droit administratif comme science. Nous trouverons, dans l'ancien Conseil du Roi, les origines premières des Conseils d'État de nos jours; mais là se trouvent aussi celles de la Cour de cassation. Nous verrons aussi, dans les anciennes Chambres des comptes, les origines de la Cour des comptes d'aujourd'hui ; mais avec combien de différences fondamentales? Avec quel mélange

1 Lettres, instructions et mémoires de Colbert, publiés par Pierre Clément (Imprimerie nationale; 8 volumes, 1861-1882).

2 Correspondance administrative du règne de Louis XIV, par G.B. Depping (Imprimerie nationale; 4 vol. in-4; Documents inédits sur l'Histoire de France, publiés par le Ministère de l'Instruction publique). 3 4 volumes in-folio et 9 plans de Paris; t. Ier, 1705; t. II, 1719; t. III, 1719, et tome IV, par Le Clerc du Brillet, 1734.

d'attributions diverses, tenant surtout à l'absence des principes, sans lesquels il n'y a ni science, ni branche du droit, ni codification possibles.

Cette grande idée d'unité nationale, si chère au patriotisme français, même en laissant de côté le point de vue ethnographique des races et des langues, et seulement. envisagée au point de vue juridique, présente des éléments divers. En voici trois, l'unité politique du pays, son unité de législation, son unité d'administration.

La gloire de l'ancienne Monarchie a été de doter la France de son unité politique, et avec elle d'une incomparable source de puissance et de grandeur. Nos anciens rois et leurs grands ministres voulurent aussi l'unité de législation et l'unité d'administration.

Les essais de codification générale, mentionnés plus haut, étaient, au fond, des efforts méritoires vers l'unité. législative. Le droit des ordonnances représentait cette tendance. Mais il n'empêche que la France restait soumise, pour son droit privé, suivant la diversité des provinces, et pour tout ce qui n'était pas réglé par les ordonnances royales, à deux autres sources du droit différentes, le droit écrit et le droit coutumier, ce troisième droit variant ençore d'une province à l'autre.

Les divergences dans le droit public n'étaient pas moindres. Quand Voltaire se plaignait de vivre dans un pays « où l'on changeait de lois en même temps que de che«vaux de poste », il pouvait l'entendre des lois de droit public, comme des lois de droit privé. Dans un régime social fondé sur la division de la nation en différents ordres nantis de droits et soumis à des devoirs différents, la coexistence des privilèges de territoires et des privilèges de per

sonnes était un fait naturel. Mais il était la négation de cette partie de l'unité nationale, l'unité de législation. Il était aussi la négation de cet autre aspect de l'unité nationale, l'unité administrative.

Jusqu'en 1789, la commune elle-même était un privilège réservé à moins de 300 villes. L'émancipation communale des x et xe siècles ne s'était en effet produite que dans des centres de population assez puissants pour conquérir leurs chartes d'affranchissement, le plus souvent les armes à la main. Encore avait-il fallu que le mouvement communal trouvât un point d'appui dans le mouvement corporatif qui l'avait précédé. Corporations d'arts et métiers, communes du moyen-âge, communes politiques, communes armées, avaient été des bienfaits, des nécessités, et des progrès, au milieu des violences féodales. Elles sont un anachronisme dans un état social qui assure à tous la sécurité des personnes et des biens et la liberté du travail. Même après la lutte des anciennes alliées, communes et royauté, les communes, devenues purement administratives, restaient un privilège dans un pays où toutes les autres parties du territoire, paroisses et communautés d'habitants, sans officiers municipaux, étaient directement administrées par les officiers du Roi.

Au point de vue provincial, la division des généralités on pays d'Élection et pays d'États, les uns administrés par l'Intendant au nom du Roi, et les autres par les États ou assemblées de la province, présentait un autre aspect du défaut d'unité dans la législation de la France. Les efforts de la royauté en deux sens différents, d'une part, pour triompher, dans l'intérêt de sa propre puissance, de l'indépendance des États, sous Louis XIV et Louis XV, et ensuite

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sous Louis XVI, à la veille de la Révolution, pour doter les pays d'élection d'assemblées provinciales, laissaient subsister, tout en l'atténuant, le défaut d'unité dans l'administration des provinces.

A l'un et à l'autre de ces points de vue, il ne s'agit pas seulement d'une dualité de régime, puisque la diversité se reproduisait dans les communes entre elles, et entre les d'États.

différents pays

La nuit du 4 août 1789 a pu seule réaliser cette partie de l'unité nationale. Il n'y avait pas dans le droit public d'unité de législation possible. Cette unité était inconciliable avec les privilèges de territoire. La Révolution seule les a fait disparaître. C'est dans la loi célèbre portant abolition du régime féodal, des 4-11 août 1789, que se trouve le texte de l'article 10 abolissant les privilèges de territoire. Après les privilèges de personnes sacrifiés sur l'autel de la patrie, la grande Assemblée, dans une pensée d'égalité et d'unité, consacre l'abolition « de tous les privilèges locaux », suivant l'expression de Sieyès. Les députés des provinces et des villes, et les provinces ellesmêmes, renoncent volontairement à leurs privilèges tant de fois séculaires, parce qu'ils les reconnaissent contraires à l'unité nationale et au bien du pays tout entier 1.

Dans le droit public de la France, l'unité de législation

1. « Une Constitution nationale et la liberté publique étant plus avan <tageuses aux provinces que les privilèges dont quelques-unes jouis«saient, et dont le sacrifice est nécessaire à l'union intime de toutes « les parties de l'empire, il est déclaré que tous les privilèges particu«liers des provinces, principautés, pays, cantons, villes et commu«nautés d'habitants, soit pécuniaires, soit de toute autre nature, sont «abolis sans retour, et demeureront confondus dans le droit commun <de tous les Français (Décret des 4, 6, 7, 8 et 11 août 1789,sanctionné le 21 septembre et promulgué le 3 novembre 1789, art. 10) ».

devient alors possible, et avec elle l'unité administrative.

La création des départements substitués aux anciennes provinces, et dont Sicyès jusqu'à la fin de sa longue carrière, au témoignage de son illustre biographe, M. Mignet [no 106], revendiquait avec fierté la grande idée, complète l'unité politique de la France par son unité administrative. « L'État est un », dit l'Assemblée constituante dans son instruction du 8 janvier 1790 sur la loi du 22 décembre 1789; << les départements ne sont que des sections d'un même «tout; une administration uniforme doit donc les embras«ser tous dans un régime commun ». Dans l'introduction. de l'édition de 1840 de son Droit administratif, de Cormenin a pris le mot de centralisation dans le sens d'unité, en disant que « la centralisation explique la France administrative ». Il dit à deux reprises, en donnant dans chaque passage des noms de provinces différentes, et après l'éloge de la division de la France en départements : «< il « n'y a plus de Guienne, de Roussillon, de Languedoc, de << Provence, de Champagne; il n'y a plus qu'une France. »

L'extension, même excessive par la création d'un trop grand nombre de communes, du droit municipal à la France tout entière fut aussi, sous une autre forme, la réalisation de l'unité administrative absente avant 1789.

Le défaut d'unité législative et le défaut d'unité administrative n'étaient pas les seuls obstacles à la formation, dans notre ancienne France, d'un Droit administratif scientifiquement existant et codifiable.

Un autre obstacle résultait de la confusion des pouvoirs et des autorités. Le conseil du roi, les parlements, les chambres des comptes, la cour des monnaies, les intendants, les cours des aides, etc., avaient à la fois des

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