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RÈGLES COMMUNES AUX DEUX CHAMBRES

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Nous verrons, en traitant du pouvoir exécutif, les conditions. communes dans lesquelles les lois constitutionnelles admettent l'intervention des chambres dans l'action de ce pouvoir.

Les deux chambres siègent en séance publique et ont le droit de se former en comité secret (L. c. 16 juillet, art. 5), nomment elles-mêmes leurs bureaux chaque année (id., art. 11), font leurs règlements, vérifient les pouvoirs de leurs membres, et peuvent seules recevoir leurs démissions (L. c. 16 juillet, art. 10).

Les membres des deux chambres reçoivent la même indemnité (L. 30 novembre 1875, art. 17, et L. 2 août 1875, art. 26). Tout mandat impératif est nul et de nul effet (L. 30 novembre 1875, art. 13). Les cas d'indignité et d'incapacité sont les mêmes (L. 2 août 1875, art. 27); au point de vue des incompatibilités, il en était autrement; mais une disposition transitoire de la loi organique du 9 décembre 1884 y a pourvu.

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Les membres des deux chambres jouissent au même titre de l'immunité de toute recherche ou poursuite en raison des opinions ou votes émis par eux dans l'exercice de leurs fonctions (L. c. 16 juillet 1875, art. 13); ils ne peuvent être poursuivis ou arrêtés, pendant la durée de la session, et sauf le cas de flagrant délit, qu'avec l'autorisation de la chambre dont ils font partie (L. c. 16 juillet 1875, art. 14).

La loi relative aux candidatures multiples du 17 juillet 1889 s'applique également aux élections sénatoriales et aux élections à la Chambre des députés.

Nul ne peut être candidat dans plus d'une circonscription. (Loi du 17 juillet 1889, relative aux candidatures multiples, art. 1.) Tout citoyen qui se présente ou est présenté aux élections générales ou partielles doit, par une déclaration signée ou visée par lui, et dûment légalisée,

1 « Dans le cas où une loi spéciale sur les incompatibilités parlementaires ne serait pas votée au moment des prochaines élections sénatoriales, l'article 8 de la loi du 30 novembre 1875 serait applicable à ces élections. Tout fonctionnaire atteint par cette disposition, qui comptera vingt ans de service et cinquante ans d'âge à l'époque de l'acceptation de son mandat, pourra faire valoir ses droits à une pension de retraite proportionnelle, qui sera réglée conformément au troisième paragraphe de l'article 12 de la loi du 9 juin 1853. (Loi organique du 9 décembre 1884 sur l'organisation du Sénat et l'élection des sénateurs, disposition transitoire) ».

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LOI RELATIVE AUX CANDIDATURES MULTIPLES

faire connaitre dans quelle circonscription il entend être candidat. Cette déclaration est déposée, contre reçu provisoire, à la préfecture du département intéressé, le cinquième jour au plus tard avant le jour du scrutin. Il en sera délivré récépissé définitif dans les vingt-quatre heures (art. 2). - Toute déclaration faite en violation de l'art. 1er de la présente loi est nulle et irrecevable. Si des déclarations sont déposées par le même citoyen dans plus d'une circonscription, la première en date est seule valable. Si elles portent la même date, toutes sont nulles (art. 3). Il est interdit de signer ou d'apposer des affiches, d'envoyer ou de distribuer des bulletins, circulaires ou professions de foi dans l'intérêt d'un candidat qui ne s'est pas conformé aux prescriptions de la présente loi (art. 4). – Les bulletins au nom d'un citoyen dont la candidature est posée en violation de la présente loi n'entrent pas en compte dans le résultat du dépouillement. Les affiches, placards, professions de foi, bulletins de votes, apposés ou distribués pour appuyer une candidature dans une conscription où elle ne peut légalement être produite seront enlevés ou saisis (art. 5). Seront punis d'une amende de dix mille francs le candidat contrevenant aux dispositions de la présente loi et d'une amende de mille à cinq mille francs toute personne qui agira en violation de l'art de la présente loi (art. 6).

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46. La Chambre des députés possède, en outre des attributions législatives constituantes et électives qui lui sont communes avec le Sénat, deux attributions qui n'appartiennent qu'à elle seule 1° les lois de finances doivent d'abord lui être présentées et être votées par elle, avant d'être soumises au Sénat, sans préjudice du pouvoir de celui-ci de rejeter ou d'amender ces lois comme toutes les autres; 2o si le Sénat a seul le droit de juger le président de la République et les ministres, la Chambre des députés a seule le droit de les mettre en accusation.

C'est très intentionnellement que nous n'avons jamais fait figurer parmi les attributions exclusives de la Chambre des députés la responsabilité politique des ministres devant elle seule. L'article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est formel: <«< Les ministres sont solidairement responsables devant les « Chambres de la politique générale du gouvernement et indivi<«< duellement de leurs actes personnels ». Dire que ce texte conserve « une vérité et une utilité suffisantes » en ce que le Sénat, comme la Chambre, contrôle journellement les ministres par l'exercice des droits de question, d'interpellation et d'enquête parlementaire, c'est faire la loi au lieu de l'interpréter. C'est en

RÈGLES COMMUNES AUX DEUX CHAMBRES

63 effet enlever arbitrairement à ces diverses prérogatives leur sanction naturelle, en ce qui concerne le Sénat, pour ne la laisser subsister qu'au profit de la Chambre des députés. C'est encore se substituer au législateur que de dire que l'égale responsabilité ministérielle devant l'une et l'autre Chambre augmente l'instabilité des ministères. Cet argument aurait pu déterminer le pouvoir constituant à écrire dans l'article 6 que les ministres sont responsables devant la Chambre des députés. Mais puisqu'il a formellement écrit que les ministres sont responsables devant les Chambres, il a résolu la question dans un sens opposé. Qu'importe que les choses se passent autrement devant la pairie héréditaire de l'Angleterre ? ou même devant la Chambre-Haute élective de la Belgique? La loi constitutionnelle française régit seule le parlement et les ministres de France.

L'un des principaux auteurs, sinon le principal auteur, de la Constitution de 1875, M. Wallon, n'a jamais cessé d'affirmer l'égalité des deux chambres. C'est aussi ce qu'ont affirmé les déclarations itératives du Sénat des mois de mars et avril 1896 2, au

Spécialement le 18 avril 1893 : « La Constitution de 1875, en créant les deux Chambres, n'a pas entendu les faire inégales, en les rattachant l'une au suffrage universel, l'autre au suffrage restreint. Les deux Chambres procédent également du suffrage universel, l'une par voie direcie, l'autre par voie indirecte. Les deux Chambres sont égales, et leur égalité est consacrée par cette disposition de l'article 8 de la loi constitutionnelle du 24 février 1875: Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l'initiative et la confection des lois. » — Spécialement encore dans son allocution, comme président d'âge, à la séance du Sénat du 14 janvier 1896: « La Constitution a partagé le pouvoir législatif, sur le pied d'une entière égalité, entre deux Chambres qui peuvent tout, si elles marchent unies par le sentiment d'une déférence mutuelle dans l'exercice de leurs droits. Et comment la bonne harmonie, qui existait, sous les monarchies de 1815 et de 1830, entre deux Chambres d'origine si différente, ne se maintiendrait-elle pas sous la République entre deux Chambres issues d'une même source: le suffrage universel! C'est la condition vitale de tout régime parlementaire et le besoin le plus impérieux du pays. » — Enfin, dans son allocution au même titre, du 12 janvier 1897 : « Le Sénat n'a jamais prétendu au titre de Chambre haute, que la Constitution ne lui donne pas, mais il a toujours tenu à l'égalité qu'elle lui assure et qui a pour fondement son origine même. Car il sort, comme la Chambre des députés, du suffrage universel..... On passe d'une Chambre à l'autre sans monter ni descendre. »

Le ministère entend gouverner sans le Sénat. Il a cru pouvoir en appeler d'une chambre à l'autre. Il prétend que la responsabilité ministérielle ne peut être évoquée devant le Sénat. Nous protestons contre

64 RESPONSABILITÉ DES MINISTRES DEVANT LES DEUX CHAMBRES

moment où cette question a passé de la théorie dans les faits. C'est enfin ce qui résulte de la démission même d'un ministère, le 23 avril 1896, donnant ainsi, même en soutenant la thèse opposée, la démonstration par le fait que le Sénat peut, en vertu de la Constitution, « par certains votes, créer aux ministères une << véritable impossibilité de vivre ».

47. Les attributions et règles propres au Sénat à l'exclusion de la Chambre des députés, en outre de celles qui tiennent à leurs modes divers de formation et déjà expliquées sont les suivantes : 1o lorsque les deux chambres se réunissent en assemblée nationale pour la révision de la constitution ou l'élection du président de la République, le bureau de cette assemblée est celui du Sénat (L. c. 16 juillet, art. 11 § 2); 2° le Sénat ne peut être dissous; 3o c'est sur son avis conforme que le président de la République peut dissoudre la Chambre des députés ; 4o le Sénat peut siéger sans que la Chambre des députés soit en session, dans deux cas exceptionnels prévus par les articles 3 in fine et 4 in fine de la loi du 16 juillet 1875; 5° le Sénat peut seul être constitué en cour de justice.

Cette dernière attribution est conférée au Sénat par l'article 9 de la loi du 24 février et l'article 12 de la loi du 16 juillet 1875; aux termes de ces articles, le Sénat peut être constitué en cour de justice 1° pour juger le président de la République; 20 pour juger les ministres; et 3° pour juger toute personne prévenue d'attentat commis contre la sûreté de l'État. Le Sénat est saisi, dans les deux premiers cas, par la mise en accusation que peut seule prononcer la Chambre des députés. Dans le troisième cas, le Sénat est saisi par un décret présidentiel rendu en conseil des ministres, et qui, si la justice ordinaire est saisie, peut intervenir

cette atteinte aux dispositions précises de la loi constitutionnelle. Nous entendons conserver intact le dépôt que la Constitution républicaine a remis aux mains du Sénat. Nous affirmons à nouveau notre droit de contrôle et la responsabilité des ministres devant les deux Chambres... >>

1 Jules Ferry; Discours prononcé à la séance de la Chambre des députés du 28 juillet 1883, dans la discussion de la loi sur la réforme de la magistrature.

RÈGLES SPÉCIALES AU SÉNAT

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jusqu'à l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises. [Voir, à propos des privilèges de juridiction, nos 1097 à 1100.]

Toutes les constitutions monarchiques ou républicaines ont reconnu, comme celle de 1875, la nécessité de constituer une juridiction plus élevée, investie d'une double compétence ratione personæ ou dignitatis, et ratione materiæ, en raison soit de la position politique élevée des accusés, soit de la gravité et de la portée du crime. Le législateur de 1875 avait le choix entre deux systèmes : celui des Chartes de 1814 et de 1830, qu'il a imité, et qui donnait à la Chambre des pairs, c'est-à-dire à un corps également politique, cette haute attribution judiciaire; et celui des Hautes cours de justice, composées, sur le modèle des cours d'assises, de magistrats appartenant à la cour de cassation, et de Hauts jurés pris par la voie du sort dans tous les conseils généraux, système qui était organisé par les Constitutions de 1791, de l'an III, de l'an VIII, de 1848 et de 1852. Ce dernier système était frappé après 1871 d'un discrédit tel que le système des deux Chartes a été admis sans opposition sérieuse dans les lois constitutionnelles de 1875. Nous n'avons jamais partagé les préventions qui ont fait écarter le système des anciennes hautes cours de justice, surtout organisées comme celle de 1848. Mais l'expérience faite à l'occasion du procès et de la condamnation du général Boulanger, prouve que le Sénat, constitué en Cour de justice, assure au pays une protection puissante contre de périlleuses aventures.

48. Le dernier paragraphe de l'article 12 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 avait renvoyé à une loi organique la détermination du « mode de procéder pour l'accusation, l'ins<«<truction et le jugement ». C'est à l'occasion de la poursuite dont nous venons de parler, que la loi promise par la Constitution a été faite le 10 avril 1889. Elle est intitulée : loi sur la procédure à suivre devant le Sénat pour juger toute personne inculpée d'attentats commis contre la sûreté de l'État. Cette loi est divisée en quatre chapitres. Le 1er traite de l'organisation du Sénat en cour de justice (art. 1 à 5); le second, de l'instruc

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