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<< fausses qu'on répand dans le pays des erreurs dommagea«bles. Je suis obligé de lutter ici contre un torrent d'opinions « qui est très fort. Je le reconnais.Mais il faut avoir le courage de <«< dire la vérité dans l'intérêt du pays, et c'est un courage que la << Chambre me permettra d'avoir aujourd'hui. >>

Dans la même séance de la Chambre des députés du 6 mai 1833, après le discours de M. Thiers, M. Jouffroy est remonté à la tribune; M. Odillon Barrot l'occupe plus longtemps pour y soutenir les idées de décentralisation qui lui étaient chères; et ces mots de « tutelle » et de « minorité des communes » ne reparaissent plus dans leurs discours. Il eût été désirable qu'il en fût de même dans les travaux préparatoires de la loi du 5 avril 1884, et dans les nouvelles campagnes de décentralisation que cette terminologie malheureuse suscitera toujours. Puisse-t-elle disparaître au moins pour le xxe siècle!

335. Aussi bien que ses causes, les effets de l'intervention de l'État dans l'administration des communes sont entièrement dissemblables des effets de la tutelle du droit civil. Le trait fondamental du régime de la tutelle est en effet que le mineur, comme l'interdit, tant qu'il n'est pas émancipé, n'est jamais consulté sur la gestion de sa personne et de ses biens. Le Code civil ne lui reconnaît même pas le droit d'émettre un avis. Le tuteur, porte l'article 450 du Code civil, prendra soin de sa personne; il le représentera dans tous les actes civils; il administrera ses biens. Les articles 457 et suivants exigent, pour l'accomplissement des actes les plus importants, l'autorisation du conseil de famille et même celle des tribunaux. Mais dans aucun article du Code, au titre de la tutelle, il n'est fait mention du sentiment personnel du mineur, comme pouvant constituer dans le règlement de ses intérêts, les moins importants ou les plus graves, un élément, même infinitésimal, d'appréciation ou de décision. Cela est logique avec le point de départ. La tutelle étant fondée sur l'incapacité vraie ou présuméc du mineur, comme de l'interdit, pourquoi le Code civil lui don nerait-il voix au chapitre, puisque légalement il n'a ni ne peut avoir de volonté. Ainsi s'enchaînent logiquement les effets et les causes.

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DISSEMBLANCE DE LA TUTELLE DU DROIT CIVIL

Voilà donc la règle logique et inflexible de la tutelle.

Alors même qu'en fait le mineur a une volonté, c'est une quantité absolument négligeable et de tous points négligée par la loi. Qu'il le veuille ou non, l'acte pourra être accompli, sans lui, malgré lui, et sans même qu'il ait été légalement consulté, si telles sont les résolutions de son tuteur, et, suivant les cas, du conseil de famille et de la justice, qui ne sont même pas obligés de prendre son avis. Tel est principe fondamental de la tutelle du droit civil.

Il n'y a rien de pareil en ce qui concerne la commune, d'après nos lois administratives. C'est un régime entièrement contraire qui en résulte. L'assimilation entre les deux institutions n'était même pas exacte sous la législation consulaire qui avait porté la centralisation administrative à son point culminant et sacrifié les franchises communales. L'article 15 de la loi du 28 pluviose de l'an VIII donnait à ses conseils municipaux, nommés, il est vrai, par les préfets, le droit de délibérer sur les affaires de la commune. Ainsi, mème alors, de 1800 à 1831, l'assimilation que suppose la prétendue tutelle des communes n'était pas exacte.

Après la Révolution de 1830, avec les conseils municipaux redevenus électifs, et dotés d'attributions nouvelles, il semblait, comme le voulait M. Thiers, qu'il ne dût plus être question de cette prétendue tutelle. Si la loi du 18 juillet 1837, dans ses articles 19 et 20, maintenait la règle de l'autorisation administrative imposée aux délibérations des conseils municipaux; si ses articles 17 et 18 n'en exceptaient que quatre cas; ces textes consacraient au profit des conseils municipaux une indépendance qui, pour être partielle et relative, n'en était pas moins réelle. Nous l'avons appelée l'indépendance passive, ou l'indépendance « pour ne pas faire » ou « pour dire non », résultant du droit d'initiative appartenant aux conseils municipaux en ce qui concerne l'accomplissement des actes de la vie civile de la commune. Ce droit de délibération des conseils municipaux, d'après la loi du 18 juillet 1837, était le contrepied des règles de la minorité et de la tutelle du droit civil.

Ainsi sous l'empire de la loi de 1837 l'assimilation des deux institutions n'était pas plus vraie qu'aujourd'hui.

ET DE L'AUTORISATION ADMINISTRATIVE

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La loi du 18 juillet 1837 contenait en outre un germe fécond pour l'extension des libertés locales. Nous avons vu [no 331] qu'il était dans ces quatre cas de délibérations réglementaires, exécutoires sans autorisation, énumérés par son article 17, considérablement élargis par la loi du 24 juillet 1867, et dont l'article 61 § 1 de la loi du 5 avril 1884 a fait la règle générale des délibérations des conseils municipaux. Comment concilier encore cette prétendue tutelle des communes, cût-elle été vraie dans le passé et dans son principe (ce qui n'est pas), avec cette déclaration retentissante, malgré les exceptions qu'elle comporte, de l'article 61 § 1: « le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la «< commune >> ?

Les lois administratives, comme les lois constitutionnelles, condamnent donc ces vieilles et fausses habitudes de langage.

336. L'article 68 de la loi du 5 avril 1884 énumère treize sortes de délibérations du conseil municipal soumises à la nécessité d'une autorisation. S'il est vrai que certaines de ses dispositions pourraient encore être l'objet de mesures de décentralisation, il l'est aussi que, pour la plupart, les intérêts généraux s'y trouvent mêlés aux intérêts locaux, dans une mesure qui justifie ces prudentes réserves du législateur de 1884.

La preuve en résulte du projet de loi du 27 octobre 18961 qui, présenté sur les propositions d'une commission de décentralisation, n'indique que trois modifications d'importance secondaire à apporter aux trois seuls numéros 1, 5 et 7 de la longue énumération de l'article 68. La première, relative aux baux, ne les soumettrait à l'autorisation du préfet que lorsque leur durée excéderait 36 ans, au lieu de 18. La seconde, relative au changement d'affectation d'une propriété communale déjà affectée à un service public, consisterait à supprimer le n° 5 de l'article 68, en faisant observer que les églises, les presbytères, les cimetières, les écoles, les hospices et hôpitaux resteront soumis aux prescriptions

1 Projet de loi « modifiant la loi du 5 avril 1884 », déjà cité (annexe au procès-verbal de la séance de la Chambre des députés du 27 octobre 1896; n° 2069).

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DÉLIBÉRATIONS SOUMISES A LA NÉCESSITÉ

spéciales qui les concernent. La troisième modification proposée à l'article 68 consisterait à faire disparaître de son no 7 la création et la suppression des promenades, squares ou jardins publics, champs de tir ou de course. Sur ces trois points seulement, et dans la mesure spécifiée, la délibération du conseil municipai cesserait d'être soumise à la nécessité d'une autorisation, et deviendrait réglementaire. C'est un hommage rendu à la sagesse des auteurs de cet article 68, par les plus zélés investigateurs de toutes les mesures possibles de décentralisation administrative. Il convient cependant de remarquer dans le no 7 si compréhensif de l'article 68 que, sur trois points, le texte de 1884 a rétabli l'autorisation, là où l'article 1er de la loi du 24 juillet 1867 l'avait fait disparaître. Il s'agit des tarifs des droits de place à percevoir dans les halles, foires et marchés, des droits à percevoir pour permis de stationnement et de locations sur les rues, places ou autres lieux dépendant du domaine public communal, et du tarif des concessions dans les cimetières.

Le projet de loi ci-dessus du 27 octobre 1896, sans toucher directement aux dispositions des numéros 9 à 12 de l'article 68, relatifs au budget et à la législation financière des communes, propose d'importantes modifications aux articles 133, 137, 141, 143 et 145 de la loi du 5 avril 1884, relatifs aux taxes de balayage et d'octroi, au vote des centimes pour insuffisance de revenus, pour lesquels le droit du conseil municipal de statuer par délibération réglementaire serait porté jusqu'à concurrence de dix centimes, les impositions extraordinaires et les emprunts. Mais nombre de changements proposés constituent moins des mesures de décentralisation, que des translations de compétence du pouvoir législatif au pouvoir exécutif et du pouvoir exécutif aux préfets.

Nous rappelons que le dernier paragraphe de l'article 68 se réfère aux délibérations réglementaires, auxquelles nous avons fait l'application [n° 331).

Ne sont exécutoires qu'après avoir été approuvées par l'autorité supé rieure les délibérations portant sur les objets suivants : 1° les conditions des baux dont la durée dépasse dix-huit ans; 2° les aliénations

D'UNE AUTORISATION, ART. 68

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et échanges de propriétés communales; 3° les acquisitions d'immeubles, les constructions nouvelles, les reconstructions entières ou partielles, les projets, plans et devis de grosses réparations et d'entretien, quand la dépense totalisée avec les dépenses de même nature pendant l'exercice courant dépasse les limites des ressources ordinaires et extraordinaires que les communes peuvent se créer sans autorisation spéciale; 4° les transactions; 5 le changement d'affectation d'une propriété communale déjà affectée à un service public; 6° la vaine pâture; 7° le classement, le déclassement, le redressement ou le prolongement, l'élargissement, la suppression, la dénomination des rues et places publiques. la création et la suppression des promenades, squares ou jardins publics, champs de foire, de tir ou de course, l'établissement des plans d'alignement et de nivellement des voies publiques municipales, les modifications à des plans d'alignement adoptés, le tarif des droits de voirie, le tarif des droits de stationnement et de location sur les dépendances de la grande voirie, et, généralement, les tarifs des droits divers à percevoir au profit des communes en vertu de l'article 133 de la présente loi; 8° l'acceptation des dons et legs faits à la commune lorsqu'il y a des charges ou conditions, ou lorsqu'ils donnent lieu à des réclamations des familles; 9° le budget communal; 10° les crédits supplémentaires; 11° les contributions extraordinaires et les emprunts, sauf dans le cas prévu par l'article 141 de la présente loi; 12o les octrois dans les cas prévus aux articles 137 et 138 de la présente loi; 13° l'établissement, la suppression ou les changements de foires et des marchés autres que les simples marchés d'approvisionnement (L. 5 avril 1884, art. 68).

Le budget de chaque commune est proposé par le maire, voté par le conseil municipal et réglé par le préfet. Lorsqu'il pourvoit à toutes les dépenses obligatoires et qu'il n'applique aucune recette extraordinaire aux dépenses soit obligatoires, soit facultatives, ordinaires ou extraordinaires, les allocations portées audit budget pour les dépenses facultatives ne peuvent être modifiées par l'autorité supérieure. Le budget des villes dont le revenu est de 3 millions de francs au moins est toujours soumis à l'approbation du président de la République, sur la proposition du ministre de l'intérieur. Le revenu d'une ville est réputé atteindre 3 millions de francs lorsque les recettes ordinaires constatées dans les comptes se sont élevées à cette somme pendant les trois dernières années. Il n'est réputé être descendu au-dessous de 3 millions de francs que lorsque, pendant les trois dernières années, les recettes ordinaires sont restées inférieures à cette somme (art. 145). Le décret du président de la République ou l'arrêté du préfet qui règle le budget d'une commune peut rejeter ou réduire les dépenses qui y sont portées, sauf dans les cas prévus par le paragraphe 2 de l'article 145 et par le paragraphe 2 de l'article 147. Mais il ne peut les augmenter ni en introduire de nouvelles qu'autant qu'elles sont obligatoires (art. 148). — Dans le cas où, pour une cause quelconque, le budget d'une commune n'aurait pas été définitivement réglé avant le commencement de l'exercice, les recettes et les dépenses ordinaires continuent, jusqu'à l'approbation de ce budget, à être faites conformément à celui de l'année précédente. Dans le cas où il n'y aurait eu aucun bud

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