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DE L'INERTIE DES MAIRES

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du domicile. Les maires ont aussi prétendu, sans droit, exiger des déclarations de domicile ou des cartes d'identité 2, des personnes venant habiter dans la commune ou y travailler. De tels règlements violaient à la fois le principe de la liberté du travail et celui de la liberté individuelle.

On voit ainsi combien sont nécessaires les limites légales imposées à cette grande puissance dont la loi française investit le maire de nos 36,170 communes.

Il ne faut pas perdre de vue toutefois que l'inertie d'un maire peut être plus dangereuse encore que son excès d'activité. Les maires qui n'administrent pas sont aussi dangereux que ceux qui administrent trop. L'intérêt public est alors sacrifié à des entreprises et à des usurpations d'intérêt privé. C'est surtout ce qui justifie le nouvel ordre de dispositions que nous allons commenter.

297. Le droit du préfet d'accomplir tous les actes du maire en son lieu et place, lorsque le maire refuse ou néglige de les accomplir lui-même, est reconnu et consacré par le législateur de 1884. Ce droit considérable constitue une sanction effective des règles relatives aux attributions des maires et s'exerce dans les conditions déterminées par la loi. Il présente, suivant la nature des actes, des différences notables par rapport au même droit consacré par les articles 15 et 61 de la loi du 18 juillet 1837. Des six articles de la loi du 5 avril 1884 qui con-fèrent au préfet le droit d'accomplir des actes de l'autorité municipale, il en est deux (art. 85 et 152 § 2) qui sont empruntés aux textes de la loi de 1837 que nous venons de citer; les quatre autres sont de droit nouveau (art. 93, 98 § 4, 99, et 136 no 20).

Toutes ces dispositions s'expliquent par une double considéra· tion 1° le caractère mixte qui appartient, d'après la nouvelle loi municipale, aux fonctions de police du maire, comme dérivant à la fois de sa qualité de chef de l'association communale et de sa mission d'agent et représentant de l'État dans la commune; et

1 C. cass. 8 octobre 1846, Dion.

C. cass. 18 juillet 1839, Vve Moreau; 3 février 1840, Doucel.

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ACTES DU MAIRE, S'IL REFUSE OU

2o le caractère électif du maire, le rendant indépendant, sous ce rapport, dans toutes les communes de France, du pouvoir central dont il est l'agent. Il n'est pas douteux que ces deux considérations ne soient, l'une et l'autre, la double raison d'être du développement donné, dans la loi municipale de 1884, au droit des préfets d'accomplir directement par eux-mêmes, ou par des délégués, des actes de l'autorité municipale, aux lieu et place des maires, en cas de refus ou d'abstention de leur part.

298. L'article 85 de la loi de 1884 reproduit, comme nous venons de le dire, l'article 15 de la loi du 18 juillet 1837. Il donnait lieu dans la doctrine à une controverse, impossible aujourd'hui. La jurisprudence et la majorité des auteurs considéraient que ce texte s'appliquait également aux actes du maire comme représentant la personnalité civile de la commune, et à ses actes comme agent et délégué du gouvernement. Nous pensions, avec notre collègue M. Serrigny, que la disposition de l'article 15 de la loi de 1837 devait être exclusivement réservée aux actes de cette dernière catégorie. Le législateur de 1884, tout en reproduisant cet ancien article 15 dans l'article 85 de la loi nouvelle, a manifesté sa volonté de l'entendre comme le faisait la jurisprudence.

Il faut donc admettre que le droit du préfet d'accomplir un acte de l'autorité municipale aux lieu et place du maire, lorsqu'il refuse ou néglige de l'accomplir, est général, et s'applique, suivant l'expression de M. Vivien, toutes les fois qu'il s'agit d'« un acte formel précisément exigé par la loi ». Il n'y a donc pas à distinguer, à ce point de vue, entre les diverses sortes d'attributions du maire, entre celles qui sont « propres au pouvoir municipal» et celles que l'article 49 de la loi du 14 décembre 1789 sur les municipalités déclarait « propres à l'administration générale de l'État et déléguées par elle aux municipalités ». Du moment que l'accomplissement d'un acte est formellement prescrit au maire par la loi, peu importe que le maire soit soumis, en ce qui concerne cet acte, « à l'autorité de l'administration << supérieure (article 92 de la loi de 1884) » ou seulement

à sa sur

NÉGLIGE, ACCOMPLIS PAR LE PRÉFET

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veillance (articles 90 et 91)»; l'article 85 s'applique également dans un cas comme dans l'autre.

Lorsque le maire so refuse à exécuter une délibération du conseil municipal exécutoire par elle-même en vertu de la règle générale de l'article 61 § 1er, ou bien une délibération du conseil municipal soumise à autorisation par les articles 68, 69, 121, etc., et régulièrement autorisée, il est vrai de dire que le maire refuse d'accomplir un acte formel précisément exigé par la loi ». Le texte qui impose au maire l'obligation légale de cet accomplissement des actes de la vie civile de la commune, régulièrement votés par le conseil municipal, n'est autre que l'article 90 de la loi de 1884. Non content d'énumérer dans ce texte les actes de gestion de la fortune communale dont « le maire est chargé sous «<le contrôle du conseil municipal et la surveillance de l'admi«<nistration supérieure », le législateur a ajouté, dans le no 10 et dernier de cet article 90, que le maire est chargé « d'une manière << générale d'exécuter les décisions du conseil municipal ».

C'est le droit du maire, qui, en principe, n'appartient qu'à lui seul; mais c'est aussi un devoir qui lui est imposé par ce texte; c'est un «< acte formel précisément exigé par la loi ». Le refus d'accomplissement pourrait donner lieu à la suspension ou à la révocation du maire (art. 86). Il est logique, dans cet ordre d'idées, et sans rendre nécessaires ces mesures aujourd'hui plus graves, de permettre au préfet, après en avoir requis le maire, d'accomplir l'acte lui-même, ou par un délégué spécial, aux termes de l'article 85. L'application de cette disposition à cette catégorie d'actes municipaux se trouve être ainsi la conséquence de cette vérité incontestable que la réalisation des contrats à passer au nom de la commune, et régulièrement votés par le conseil municipal, est un acte prescrit au maire par la loi.

Il s'agit d'assurer l'exécution d'une délibération régulière du conseil municipal, à laquelle le maire se refuse indûment de procéder. L'application de l'article 85 est à la fois dans ce cas un moyen d'assurer l'exécution de la loi et de faire triompher de la résistance du maire la volonté du conseil municipal. Cette résistance du maire constitue la violation de la loi, à laquelle

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APPLICATION AUX ACTES DE GESTION

l'article 85 permet de mettre un terme. Ainsi l'intervention du préfet dans cet ordre de faits, loin d'être une atteinte aux franchises municipales, a pour but d'assurer l'exécution des dispositions de la loi consacrant ces franchises. Cette observation déterminante doit faire taire les scrupules. Elle justifie le texte général de l'article 85 et la place qu'il occupe dans la loi de 1884. Ils sont exclusifs de toute distinction entre les arrêtés individuels et les actes contractuels des maires.

Mais il ne faut pas aller plus loin, et si, pour l'un quelconque de ces actes de la vie civile de la commune, la base légale dont nous parlions tout à l'heure, la délibération du conseil municipal, fait défaut, l'on est alors en dehors de la règle que nous venons de poser. Il n'y a plus d'obligation légale imposée au maire; il n'y a pas d'acte qui lui soit prescrit par la loi; par suite l'intervention du préfet n'a plus de raison d'être, et l'article 85 de la loi de 1884 est entièrement inapplicable, tant en matière d'action communale ou d'action à exercer contre les communes, que de tout autre acte de la vie civile de la commune en dehors d'une délibération conforme du conseil municipal.

Une question budgétaire peut être soulevée par l'article 85 de la loi municipale. Son application, dans certains cas, donne lieu à une dépense. L'article 136 n° 20 comble une lacune de la loi de 1837 en classant parmi les dépenses obligatoires des communes « les dépenses occasionnées par l'article 85 ».

Dans le cas où le maire refuserait ou négligerait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le préfet peut, après l'en avoir requis, y procéder d'office par lui-même ou par un délégué spécial (L. 5 avril 1884, art. 85). Sont obligatoires pour les communes les dépenses suivantes : 20° les dépenses occasionnées par l'application de l'article 85 de la présente loi, et généralement toutes les dépenses mises à la charge des communes par une disposition de loi (art. 136, n° 20).

299. L'article 93 de la loi 1884 fait une application spéciale du principe de l'article 85 en matière de police des sépultures, partie intégrante de la police municipale (L. 1884, art. 97 4o; D. 23 prairial an XII, art. 16, 17, 19, 21). L'article 93 enjoint directe ment aux maires d'assurer les sépultures, lorsque les familles

ET A LA POLICE DES SÉPULTURES

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s'abstiennent, sont absentes, ou rencontrent des obstacles. Dans cet ordre d'idées, le texte ajoute logiquement que, si le maire s'abstient, le sous-préfet doit agir à sa place. C'est toujours l'administration supérieure, un agent de l'État, substitué à l'administration municipale, lorsqu'elle s'abstient. C'est bien là une application spéciale du principe général formulé dans l'article 85.

Cet article 93 de la loi municipale est manifestement inspiré par les pénibles souvenirs de l'affaire du cimetière de Ville-d'Avray, en janvier 1870, où, pendant de longs jours, aux portes de Paris, un cadavre resta sans sépulture. Entre les lignes de cet article, on croit lire les protestations retentissantes inspirées par ces faits douloureux, qui ont donné lieu à l'arrêt du conseil d'État du 13 mars 1872 (Tamelier), et qui furent, avec l'affaire du cimetière de Maillezais en Vendée (C. d'Ét. 8 février 1868, Jousseaume), la cause déterminante de la loi du 14 novembre 1881. C'est la loi qui, en abrogeant l'article 15 du décret du 23 prairial de l'an XII sur les sépultures, a fait disparaître les séparations entre les champs de repos des différents cultes, et consacré la complète sécularisation du cimetière communal. Cette loi du 14 novembre 1881 explique aussi la partie finale de l'article 93 et celle de l'article 97 n° 4. Mais ces textes ne portent aucune atteinte au droit des familles de recourir, pour les funérailles, aux cérémonies du culte 1.

Le maire, ou, à son défaut, le sous-préfet, pourvoit d'urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment, sans distinction de culte ni de croyance (L. 5 avril 1884, art. 93).

300. Les trois premiers paragraphes de l'article 98 sont étrangers au sujet traité en ce moment. Mais le paragraphe 4 et dernier de cet article 98 est relatif à l'ingérence de l'administration supérieure dans l'accomplissement des actes de l'autorité municipale.

↑ «La commission n'a jamais pensé qu'on dût empêcher les familles de donner aux membres qu'elles ont perdus les satisfactions que leurs croyances exigeaient. Le maire doit rester étranger à ces dispositions (Chambre des députés, séance du 26 février 1883; M. de Marcère, rapporteur). « Le droit des religions particulières demeure absolument intact (Sénat, séance du 11 février 1884; M. Demole, rapporteur) ».

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