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ÉNORME PUISSANCE DU MAIRE

le caractère obligatoire de l'arrêté municipal n'est pas subordonné par la loi à l'accomplissement de cette transcription, et l'article 471 no 15 du Code pénal n'en sera pas moins applicable.

Les arrêtés du maire ne sont obligatoires qu'après avoir été portés à la connaissance des intéressés, par voie de publications et d'affiches, toutes les fois qu'ils contiennent des dispositions générales, et, dans les autres cas, par voie de notification individuelle. La publication est constatée par une déclaration certifiée par le maire. La notification est établie par le récépissé de la partie intéressée, ou, à son défaut, par l'original de la notification conservé dans les archives de la mairie. Les arrêtés, actes de publication et de notification sont inscrits à leur date sur le registre de la mairie (L. 5 avril 1884, art. 96). Tout habitant ou contribuable a le droit de demander communication sans déplacement, de prendre copie totale ou partielle des procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptes de la commune, des arrêtés municipaux. Chacun peut les publier sous sa responsabilité (art. 58).

295. Avant de passer à un autre ordre d'idées, qui a reçu de la loi du 5 avril 1884 un développement considérable, en étendant à tous les actes du maire le droit du préfet de les accomplir à sa place, il convient de constater les conséquences de tout ce qui précède. Il en résulte que le maire, dans la commune française, doté d'attributions aussi étendues que variées, est investi d'une grande somme de puissance. C'est une conséquence inévitable du principe de l'unité de direction et d'action, appliqué dans la commune, à l'exemple de l'État et du département. La pratique de générations successives et du XIXe siècle tout entier a consacré cette notion simple, conforme aux tendances de notre esprit national épris d'unité et peu enclin aux complications. L'histoire et l'expérience acquise ont fortifié ces tendances naturelles par la démonstration d'impuissance des administrations municipales collectives de 1790 et de l'an III: d'un conseil municipal avec un bureau municipal composé du tiers des officiers municipaux, sauf dans les communes de moins de 500 habitants, et dont le maire ne faisait que partager les pouvoirs; à côté de lui un procureur de la commune ou un commissaire du gouvernement qui requérait sans agir; et des notables, réunis au corps municipal, pour former le conseil général de la commune (L. 14 décembre 1791 sur la constitution des municipalités, et L. 5 fructidor de l'an III).

DANS LA COMMUNE FRANÇAISE

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Le très grand nombre des petites communes françaises [nos 257 et 314] a contribué aussi à fortifier dans notre pays le régime contraire à l'attribution de l'autorité municipale à un comité composé de plusieurs membres. Sa concentration dans la seule main du maire n'en est pas moins un caractère qui différencie les institutions municipales de la France de la plupart des pays étrangers. Nous l'avons indiqué déjà [no 267] et nous le reverrons dans notre étude de législation municipale comparée [n° 364 à 388]. Le droit du maire de faire des règlements pour la commune, qui n'est, en France, que l'application logique d'un principe organisé dans le département et dans l'État, n'appartient pas d'avantage au chef de la plupart des municipalités étrangères. Ces attributions de police municipale et rurale, que nous venons de décrire dans les numéros qui précèdent, sont en effet de celles qui confèrent aux maires le plus de pouvoirs. C'est un motif de plus qui justifie le caractère mixte que leur reconnaît la loi du 5 avril 1884 et les garanties données à cet égard aux citoyens et à l'État.

296. Il résulte en effet des textes et des commentaires précédents que l'action de la police locale confine à tous les droits publics. Il n'en est pas un seul qui ne soit en contact avec elle, le droit de propriété, la liberté du travail, l'inviolabilité du domicile, la liberté des cultes. A ce point de vue, il est vrai de dire que le maire est investi d'une énorme puissance. Sans doute, la police locale comme la police générale a pour objet la sauvegarde de l'intérêt public. Mais la protection paternelle du maire, investi du droit de faire des règlements, pourrait facilement, sans les réserves légales, dégénérer en tyrannie et en violation des droits des citoyens [no 294].

Aussi n'est-ce pas de trop, pour les sauvegarder, de la double garantie qu'ils trouvent dans le juge administratif du recours pour excès de pouvoir (qu'il importe de ne pas restreindre), et dans l'autorité judiciaire qui ne doit appliquer, en leur donnant la sanction pénale, que les règlements légalement faits, c'est-à-dire dans la limite de leur compétence, par les maires, comme par les autres autorités administratives. Les actes administratifs propre

T. I.

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CONTACT DES RÈGLEMENTS DE POLICE

ment dits du maire touchent directement aussi aux droits individuels. Nous traiterons, dans d'autres parties de cet ouvrage, de son droit de délivrer les alignements et de celui plus grave encore d'ordonner la démolition des bâtiments qui menaçent ruine, Nous insistons ici, en raison des difficultés fréquentes qu'ils soulèvent, sur les abus possibles du droit de faire des règlements municipaux et sur ses limites légales, en puisant dans un nombre considérable d'arrêts quelques exemples empruntés à la pratique la plus ordinaire.

Chacun des numéros de l'article 97 de la loi du 5 avril 1884 et de l'ancien texte de 1790 qu'il remplace [n° 277], en fournit abondamment. C'est ainsi que, d'après le n° 1 de cet article 97, le maire peut bien imposer aux riverains l'arrosement de la voie publique en été, comme complément de la charge du balayage; mais il ne peut aller jusqu'à prendre un arrêté enjoignant aux propriétaires de faire arracher les herbes poussant entre les pavés au devant leurs maisons, et surtout leur imposer aucun travail relatif à la viabilité, comme de remédier par un sablage au déchaussement des pavés, sauf toutefois le cas où d'anciens usages, antérieurs à la loi du 11 frimaire an VII, mettraient ces obligations à la charge des riverains.

Il peut prescrire la mise en tas de la neige par les habitants au devant de leurs maisons; il ne peut, sauf le cas où elle prendrait le caractère d'une calamité publique, leur imposer l'obligation de fournir les boeufs, les chevaux, ou les voitures nécessaires à cet enlèvement ".

Il résulte du n°6 du même article 97 que le maire peut enjoindre à un propriétaire de faire cesser les causes d'insalubrité provenant d'une écurie; mais il ne peut en ordonner la suppression, ni même prescrire la nature des travaux à effectuer. De même le maire peut obliger les. propriétaires riverains d'une cité à exécuter des travaux d'assainissement; mais il ne

1 C. d'Et. 4 juin 1886; contra c. cass. 17 décembre 1824.

C. d'Et. 20 décembre 1872, Billette.

C. cass. 15 décembre 1855, Lehmann.
C. d'Et. 12 mai 1882, Palazzi.

ET DES DROITS INDIVIDUELS

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peut imposer un moyen déterminé quand il en existe d'autres 1. L'ordre donné par un maire, pour cause de salubrité, d'abattre des arbres plantés sur une propriété privée excède son droit de police et constitue une violation du droit de propriété. Les maires qui, en vertu du même no 6, peuvent prescrire l'emploi de fosses fixes ou mobiles et régler les conditions de leur établissement et de leur vidange dans toutes les maisons anciennes ou nouvelles, ont par suite le droit de contraindre les entrepreneurs de vidange à l'emploi d'un matériel perfectionné ; mais ils ne peuvent refuser l'autorisation d'exercer leur profession à ceux qui remplissent les conditions déterminées par le règlement, ni créer un monopole au profit d'un ou de plusieurs *.

Les pouvoirs de police sur les marchés, que les maires tiennent du n° 3 de l'article 97, leur permettent bien d'ordonner que toutes les marchandises apportées de l'extérieur, par les forains, le jour du marché, soient portées au marché et ne puissent être vendues en dehors soit sur la voie publique, soit même à domicile ". Mais cette obligation d'apporter leurs marchandises au marché ne peut jamais être imposée par le maire aux commerçants de la ville, et à tous commerçants patentés ayant boutique permanente en ville. Sous le prétexte d'exercer leur droit d'inspection sur les denrées et d'assurer l'approvisionnement du marché, les maires ne peuvent avoir le privilège de rétablir pour la commune les droits seigneuriaux de hallage de l'ancien régime. En ces matières le droit de police des maires pourrait aboutir, comme en ce qui concerne les bans de récoltes de la police rurale, et la taxe du pain et de la viande, à rétablir à la fois le régime réglementaire du temps passé, et des règles nées du régime féodal et qui gardent son empreinte. Tout arrêté municipal qui en serait

C. cass. 27 juin 1879, Audebert.

C. cass. 16 décembre 1881, Roquette-Buisson.

3 C. cass. 30 avril 1852, Vaniwaëde.

C. cass. 12 mai 1865, Jullien; 23 juillet 1869, Baron; 12 février 1881, Chesnier-Duchesne; c. d'Et. 5 décembre 1866, Jullien.

C. cass. 5 mars 1860, Burklen; 26 mars 1868, Reinier.

C. cass. 24 décembre 1880, Le Moal.

7 C. cass. 9 janvier 1844, Magny.

C. cass. 1 juillet 1859, Guérin; 18 août 1864, Mazarguil.

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DOUBLE DANGER DES EXCÈS ET

entaché doit être condamné, et toute décision de jurisprudence qui pencherait dans ce sens doit être critiquée 1.

En cette même matière et en vertu de ce même n° 3, les maires ne peuvent user de leur droit de police pour protéger des catégories déterminées de vendeurs. Ainsi le conseil d'État a sagement annulé un arrêté municipal pris pour réglementer les ventes à la criée «en vue de ne pas détruire les petites industries » 2. Sans cela l'on verrait la puissance publique user de son droit de police dans l'intérêt d'industries qui, d'ordinaire, ont pour plus certain effet de faire payer les produits beaucoup plus cher aux pauvres gens. Ils ne peuvent en user non plus à titre de moyen d'assurer le recouvrement de taxes municipales 3. De même les droits de police conférés au maire par le n° 5 de l'article 97, sur la fidélité du débit des marchandises, ne l'autorisent pas à obliger les marchands à indiquer les défectuosités ou le bon ou mauvais teint des étoffes par eux mises en vente.

Dans un autre ordre d'idées, d'après le n° 2 de l'article 97, relatifaux pouvoirs de police dont le maire est investi dans l'intérêt du maintien de l'ordre public, il a le droit de faire des règlements pour permettre ou interdire, dans toute commune, et en dehors de l'article 45 de la loi organique du 18 germinal an X, la sortie dans les rues de tous cortèges laïques et de toutes processions religieuses. Son droit n'est pas douteux. Mais si le maire accorde l'autorisation, il n'a pas le droit de contraindre les habitants à s'y associer en leur ordonnant de tapisser ou de décorer leurs maisons sur le passage. De même le maire peut bien interdire les quêtes sur la voie publique; mais il ne le peut à domicile. Il s'agissait tout à l'heure de la liberté de conscience; il s'agit ici de l'inviolabilité

1 C. cass. 6 décembre 1873, Gagne. C. d'Et. 3 déc. 1875, Clairouin.

3 C. cass. 22 mars 1883, Baraton.

C. cass. 7 mai 1841, Salvador.

C. cass. 5 août 1836, Cazes; 18 mai 1844, Berthon.

C. d'Et. 22 décembre 1876, Saint-Hippolyte ; 23 mai 1879,évéque de Fréjus; 17 août 1880, préfet de Maine-et-Loire; C. cass. 25 mai 1882, Hiou; Circulaire du ministre des cultes du 13 juin 1882.

7 C. cass. ch. réunies, 26 nov. 1819, Roman.

8 C. cass. 13 août 1858, Rolland; 14 juin 1884, Tigoureux.

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