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RESPONSABILITÉ MINISTÉRIELLE

Lorsqu'on l'envisage sous un autre aspect, il y a, d'une part, la responsabilité individuelle de chaque ministre pour ses actes personnels, et, d'autre part, la responsabilité collective des ministres qui suppose la solidarité de tous les ministres en raison des actes du ministère. C'est une solidarité de droit constitutionnel, en vertu de laquelle tout ministre qui ne se retire pas d'un cabinet accepte la responsabilité des actes du ministère, alors même qu'ils ne lui sont pas personnels; dans ce cas seulement la responsabilité ministérielle se produit dans toute sa réalité.

29. Considérée enfin au point de vue de ses effets, la responsabilité ministérielle est pénale, civile, et politique.

Le principe de la responsabilité pénale des ministres a été posé, mais n'a jamais été organisé en dehors du droit commun par la loi française, toujours soucieuse d'entourer la mise en accusation des ministres de garanties constitutionnelles nos 45, 46 et 1090].

La responsabilité civile des ministres rencontre un obstacle dans le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire, et dans le silence même de la loi au point de vue de la mise en œuvre de cette responsabilité. Cependant un ordre du jour du Sénat du 4 juillet 1887, relatif à un ancien ministre des travaux publics, et un vou de la commission du budget de la Chambre des Députés relatifs à des dépassements de crédits du ministère de la marine en 1887, ont signalé dans la loi une lacune que déjà une proposition de loi de 1882 avait voulu combler et qu'a reprise, « en l'absence de l'initiative du gouvernement », une autre proposition de loi d'initiative parlementaire.

La responsabilité politique des ministres doit produire la retraite d'un ministère devant un vote contraire de la majorité des chambres; elle assure ainsi aux assemblées une participation importante à l'exercice de cette partie plus particulièrement politique du pouvoir exécutif, appelée le gouvernement et dont nous faisons ici l'étude théorique.

Proposition de loi relative à la responsabilité civile des ministres, présentée par M. Remoiville, député (annexe au procès-verbal de la séance du 26 novembre 1887; Chambre des Députés, n° 2147).

RESPONSABILITÉ MINISTÉRIELLE

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30. Cette responsabilité forme le caractère distinctif de ce régime parlementaire, auquel, en Europe, les races anglo-saxonnes doivent leur prospérité et que tant de révolutions, de natures différentes, sont venues traverser au sein des races latines. C'est cette intervention des assemblées dans le gouvernement par la faculté de renverser un ministère et, par suite, d'obliger le pouvoir exécutif à la formation d'un ministère nouveau, disposé à agir suivant leurs vues, qui a fait appeler ce régime de liberté politique « le gouvernement du pays par le pays ».

Considéré in abstracto, ce régime peut se produire, quelle que soit la forme monarchique ou républicaine du gouvernement, et peut s'associer à toutes, ainsi que le prouve l'adage connu de la monarchie constitutionnelle : « le roi règne et ne gouverne pas ». Considéré en fait et dans ses applications, on n'a pas vu que les difficultés de sa mise en œuvre fussent amoindries par l'une plus que par l'autre. L'un de ses périls, celui de pousser à l'opposition, en raison de la compétition même des ministères, varie suivant le tempérament des races, et peut trouver son remède dans l'éducation politique du pays. L'autre péril, celui d'engendrer des conflits entre les deux pouvoirs, a trouvé, dans les constitutions monarchiques de la France (sauf celle de 1791), comme dans celle d'Angleterre, un remède dans le droit de la couronne de prononcer la dissolution des assemblées électives, et d'en appeler au suffrage des citoyens chargés d'élire une nouvelle chambre. Mais les unes ont placé l'irresponsabilité de la couronne comme corrollaire de la responsabilité ministérielle; une autre a admis à la fois les deux responsabilités. Dans les constitutions républicaines, cette question vient se confondre avec le grave problème des conditions de la nomination du pouvoir exécutif, de sa durée et de ses modes de remplacement; et dans la constitution actuelle de la France nous trouverons cette règle, aussi nécessaire dans une république que dans les monarchies: le Président de la République peut dissoudre la Chambre des Députés avec l'assentiment du Sénat.

31. Il ne saurait échapper que les lois relatives à la forma

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ADMINISTRATION, 2e BRANCHE DU POUVOIR EXÉCUTIF

tion du corps électoral appelé à procéder à l'élection des assemblées politiques ne peuvent être sans influence sur la solution de ces problèmes ardus, qu'il appartient au droit constitutionnel positif et au pouvoir constituant de résoudre. Ce lien étroit d'une dépendance réciproque enchaîne ainsi, dans l'ordre de la théorie, comme dans le domaine de l'application, la fixation du droit électoral [no 862 à 879] et la solution des problèmes constitutionnels [nos 38 à 54].

En terminant cet exposé, placé sur le seul terrain des idées spéculatives et en dehors de toute polémique, nous devons présenter une dernière observation. On vient de voir que le principe de séparation des pouvoirs n'est pas absolu; que de même qu'il n'exclut pas une certaine participation du pouvoir exécutif à la confection des lois [nos 11, 15, 16, 19 à 22], de même il ne fait pas obstacle à une certaine intervention du pouvoir législatif dans la direction générale de l'exécutif, au moyen de la responsabilité ministérielle et du régime parlementaire [nos 27 à 30). Enfin nous faisons observer que tous ces problèmes sont d'ordre constitutionnel, que c'est aux lois constitutionnelles qu'il a appartenu de les résoudre, et que, dans l'étude générale du pouvoir exécutif, ils se rattachent directement à ce que nous appelons la première de ses trois branches, le gouvernement.

32. L'étude de la seconde branche du pouvoir exécutif, l'administration ou autorité administrative, de son organisation, de ses attributions, des règles qui président à ses rapports avec les citoyens, forme l'objet principal du droit administratif tout entier.

Nous devons dire ici toutefois qu'une doctrine opposée veut absorber l'administration dans le gouvernement, et affirme que gouvernement et administration sont une seule et même chose.

Nous pensons, en sens contraire, que le gouvernement est la portion du pouvoir exécutif quia mission de diriger le pays dans. les voies de son développement intérieur et de ses relations extérieures, tandis que l'administration en est le complément et l'action vitale. « Il est la tête, elle est le bras de la société », dit Macarel, qui s'est également posé la question de savoir si

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ADMINISTRATION ET GOUVERNEMENT

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l'un se distingue de l'autre, et lui donne la même solution affirmative. «Il s'agit d'une même échelle occupée par un seul pou« voir, sous des noms différents, a dit également M. Serrigny; « il s'appelle gouvernement dans les degrés supérieurs, et admi«nistration dans les degrés inférieurs ». Sous la réserve de l'observation déjà faite ci-dessus [n° 5] que le dépositaire de la puissance exécutive est à la fois le chef du gouvernement et l'administrateur supérieur du pays, cette distinction du gouvernement et de l'administration n'est pas seulement conforme à la nature des choses, elle résulte aussi de l'esprit et des textes de la législation. Elle est notamment écrite dans le préambule du décretloi du 25 mars 1852 sur la décentralisation administrative, ainsi conçu : « Considérant qu'on peut gouverner de loin, mais qu'on « n'administre bien que de près; qu'en conséquence autant il << importe de centraliser l'action gouvernementale de l'État, autant il est nécessaire de décentraliser l'action purement adminis«trative ».

Nous nous bornons ici à déterminer la place de l'administration dans l'organisation des pouvoirs constitués, en tant que seconde branche du pouvoir exécutif, et à la définir « l'ensemble des services publics destinés à concourir à l'exécution des lois d'intérêt général et des actes du gouvernement ». Les diverses parties de cet ouvrage montreront l'autorité administative à l'œuvre; toute autre explication ferait ici double emploi.

Mais nous constatons itérativement que le pouvoir exécutif gouverne et administre à la fois, ce qui peut expliquer, sans la légitimer, la confusion du gouvernement et de l'administration, contre laquelle nous venons de nous élever. Ce sont en effet des lois distinctes, des lois constitutionnelles qui ont modifié dans le pays depuis le commencement du siècle les conditions de son action gouvernementale, et des lois administratives qui, en dehors des constitutions, ont apporté des modifications dans son action purement administrative. Enfin, dans cet ordre d'idées, toutes les constitutions ont fait du pouvoir exécutif, quel qu'il fût, l'administrateur suprême de l'État [no 63] ; il a la plénitude de l'autorité administrative; il administre par lui-même au degré le

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L'AUTORITÉ JUDICIAIRE 3me BRANCHE DU

plus élevé de la hiérarchie; mais dans le plus grand nombre des cas, il délègue son autorité, soit immédiatement, soit médiatement, aux degrés inférieurs de la hiérarchie. Quand il agit luimême, ses actes, tour à tour nommés ordonnances ou décrets, sont tantôt des décrets administratifs ou réglementaires lorsqu'il agit comme administrateur pour l'application des lois ordinaires, et des décrets gouvernementaux lorsqu'il agit comme chef du gouvernement pour l'application des lois constitutionnelles [no 64 à 74].

33. La troisième branche du pouvoir exécutif, que nous venons d'appeler la justice, n'est pas la moins étendue. Elle peut ètre l'objet de distinctions et de divisions diverses, et, sous ce rapport, les lois positives peuvent varier.

Ainsi la justice peut se diviser en justice retenue et justice déléguée. Nous aurons à donner des notions approfondies sur les deux hypothèses dans lequelles il y avait toujours eu en France, jusqu'en 1872, sauf de 1849 à 1851, justice retenue par le pouvoir exécutif: 1° pour le jugement du contentieux administratif au second degré de la juridiction administrative, et 2 pour le jugement des conflits positifs d'attribution entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire. Nous dirons comment la justice retenue par le pouvoir exécutif était une fiction légale, et comment la loi du 24 mai 1872 sur le conseil d'État l'a fait disparaître. De sorte que, d'après la législation en vigueur, il n'y a plus de justice retenue. Toute la justice est déléguée à des tribunaux divers.

Considérée au point de vue de l'organisation et de la hiérarchie de ses tribunaux, la justice, sans parler des hautes cours de justice organisées par la plupart des constitutions monarchiques ou républicaines, se divise en justice administrative et justice judiciaire, ou mieux, car la justice est une, en justice rendue par des tribunaux administratifs et justice rendue par des tribunaux judiciaires. Cette division ne correspondait pas à la précédente; la juridiction judiciaire appartenait bien tout entière, depuis 1789, à la justice déléguée; et la juridiction administrative n'était retenue que dans les deux hypothèses indiquées.

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