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PROJETS DE RÉFORME JUDICIAIRE

pour un temps à cette révision judicieuse de la carte des arrondissements. De grands mots ou d'autres soucis peuvent apporter des diversions momentanées. Il n'est pas possible que le législateur ne revienne pas à cette base essentielle des réformes utiles. L'esprit public déçu, après s'être laissé détourner sur d'autres voies, le ramènera vers cet objectif nécessaire.

227. Cette réforme intéresse à la fois l'organisation judiciaire et l'organisation administrative de la France. Le ministère de la justice s'en est préoccupé depuis longtemps. M. Dufaure en 1876, M. Humbert en 1882, ont déposé des projets de loi sur l'organisation des tribunaux de première instance, qui étaient, au point de vue judiciaire, un acheminement utile vers le but désiré. Ils ne supprimaient sans doute aucun arrondissement ni aucun res sort de tribunal; mais partout où la facilité des communications et le nombre des affaires le permettent, le service de deux, ou même dans certains cas de trois arrondissements, était confié au personnel d'un seul tribunal. Un juge, un juge suppléant et un substitut pris dans ce tribunal et délégués par décret du président de la République, devaient résider au chef-lieu judiciaire de l'arrondissement rattaché, afin d'y assurer les services qui exigent la présence constante d'un magistrat. La délégation pouvait toujours leur être retirée; ils reprenaient alors leurs fonctions dans leur tribunal, d'où ils avaient été simplement détachés. Le juge délégué, investi des attributions du président, tenait les audiences de référé et rendait les ordonnances; il remplissait de plus les fonctions de juge d'instruction et pouvait être chargé du règlement des ordres et des contributions. Le substitut délégué exerçait l'action publique et administrait le parquet. Le juge suppléant prêtait son concours à l'un et à l'autre : le cas échéant, il remplaçait le substitut, à moins que le procureur général n'usât du droit que lui confère l'article 6 de la loi du 30 août 1883. En cas d'absence ou d'empêchement du juge délégué, le tribunal pouvait le désigner pour le remplacer temporairement, à moins qu'il ne lui parût préférable de choisir un juge titulaire. Le nombre et l'époque des audiences étaient

QUI PRÉPARAIENT LA SOLUTION

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fixés par une délibération du tribunal auquel le service était confié; le juge délégué y prenait part. Elles étaient tenues sous la présidence de ce magistrat avec l'assistance de deux juges qui se déplaçaient à tour de rôle, suivant l'ordre établi par un règlement intérieur.

Ces projets de loi de 1876 et 1882 proposaient de laisser à un règlement d'administration publique le soin de désigner les arrondissements auxquels devraient s'appliquer la réforme. C'était un moyen ingénieux d'atténuer pour les députés des arrondissements intéressés, l'action des influences électorales. Il est vrai, comme l'a dit un troisième projet de loi en janvier 1896 qu'une telle mesure était au premier chef du domaine du pouvoir législatif. Ce troisième projet de loi, en reprenant, sauf quelques modifications de détail, les dispositions des précédents,« pour faire cesser le désœuvrement auquel sont con<< damnés un certain nombre de magistrats de nos petits tribu<«<naux », désignait 56 tribunaux rattachés à des tribunaux limitrophes dont le personnel devait être chargé d'assurer le service.

Les propositions contenues dans ces trois projets de loi de 1876, 1882 et janvier 1896, n'ont que la valeur d'un expédient, mais d'un expédient qui avait le mérite de préparer la véritable solution, c'est-à-dire la suppression des tribunaux inoccupés et d'un grand nombre d'arrondissements. A ce titre, ces projets étaient très préférables à un quatrième projet de loi, présenté en octobre 1896, parmi les mesures dites de décentralisation administrative, et qui, bien qu'annoncé comme « mettant l'orga«nisation judiciaire en harmonie avec les progrès économiques « de notre siècle », maintient scrupuleusement la division des arrondissements telle qu'elle a été faite en l'an VIII (1800) et tous leurs tribunaux.

1 Projet de loi sur l'organisation des tribunaux de première instance et sur la réduction du personnel dans plusieurs cours d'appel, présenté par M. Ricard, ministre de la justice; annexe à la séance du 27 janvier 1896; Chambre des députés, no 1757.

Projet de loi relatif à l'organisation judiciaire, présenté par M. Darlau, ministre de la justice; annexe à la séance du 27 octobre 1896; Chambre des députés, no 2068.

3 Discours de M. le ministre de l'intérieur du 18 octobre 1896.

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DANGERS D'AJOURNEMENT DE CETTE

L'expédient des projets de loi de 1876, 1882 et janvier 1896, avait aussi pour but d'éviter toute question d'indemnité, pouvant être réclamée par les greffiers et avoués des tribunaux d'arrondissements supprimés. Il n'y a pas de droit à indemnité pour un simple déplacement du siège près duquel exercent des officiers ministériels, transférés avec les affaires mêmes de sa compétence, si le monopole de postulation dans ces affaires leur est conservé. En laissant également ce monopole aux avoués des tribunaux supprimés ou maintenus, pour toutes les affaires de l'ancienne compétence territoriale de leur siège, la suppression d'un grand nombre d'arrondissements n'ouvrirait à aucun avoué de droit à indemnité.

Cette question d'une diminution notable du nombre des arrondissements est particulièrement urgente et grave, parce qu'elle s'applique à la fois aux services administratifs et financiers, comme aux services judiciaires. Peut-être sa solution serat-elle facilitée, pour ces derniers, par le vote depuis longtemps attendu d'une loi sur la compétence des juges de paix. La Chambre des députés en est saisie à chaque législature depuis 1878 et le Sénat a tenu à montrer qu'il n'entendait pas s'en désintéresser 1.

228. Nous revenons aux questions administratives, si étroitement unies ici aux questions judiciaires, en rappelant le vote par la Chambre des députés, dans la séance du 3 décembre 1886, d'un amendement au budget du ministère de l'intérieur portant suppression du crédit relatif au traitement des sous-préfets. Bien qu'il n'ait eu d'autre effet que de renverser un ministère, ce vote montre le danger de ne pas faire porter les projets de réformes sur les points où elles sont nécessaires. En supprimant en France plus d'une centaine d'arrondissements, il est facile, utile, et sans péril, de supprimer autant de sous-préfets, de conseils d'arrondissement, de tribunaux, de receveurs des finances, etc. Nous n'approuverions pas la suppression de tous les tribunaux. Nous n'admettons pas non plus la suppression de tous les sous

1 Proposition de loi sur la compétence des juges de pair, présentée par MM. Jules Godin, Munier, Cordelet. Demôle, etc., sénateurs; annexe au procès-verbal de la séance du 8 février 1896; Sénat, n° 22.

DIMINUTION DES ARRONDISSEMENTS

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préfets. Ces suppressions générales ne sont de bonnes réformes, ni en principe, ni en pratique. Il faut maintenir les tribunaux et les sous-préfets utiles. Comment laisser sans représentants du gouvernement des villes et des arrondissements comme ceux du Havre, Béziers, Boulogne, Brest, Calais, Cherbourg, Lorient, Saint-Quentin, Reims, Roanne, Rochefort-sur-Mer, Toulon, etc.? Depuis que le maire est devenu électif dans toutes les communes de France, le préfet a plus besoin que jamais d'auxiliaires dans le plus grand nombre des départements. Grâce aux facilités actuelles des communications, leur nombre peut être diminué. Il y a trop de sous-préfets, trop de conseils d'arrondissement, trop de tribunaux de première instance, trop de receveurs des finances; parce qu'il y a trop d'arrondissements. Il y a urgence d'agir dans cette voie rationnelle, et l'on évitera le retour des propositions de suppression totale.

229. Nous avons dit qu'en principe le sous-préfet n'avait pas de pouvoir propre, toute l'action administrative départementale étant concentrée dans la main du préfet [nos 129 et 223].

Toutefois, dans trois circonstances, le sous-préfet agit et décide lorsque le préfet lui a délégué ses pouvoirs; en cas d'urgence, lorsqu'il est impossible d'attendre la délégation; lorsqu'une disposition législative ou réglementaire lui confère le droit d'action. Ces dispositions étaient rares; le décret du 13 avril 1861, sur la déconcentration administrative augmentée, a pris l'initiative du développement des fonctions des sous-préfets, en leur conférant, dans l'intérêt de la rapidité des affaires et des administrés, le droit de décision dans des cas plus nombreux.

La loi du 5 avril 1884 (art. 93 [n° 299]) a augmenté légèrement le nombre de ces cas. Le projet de loi du 17 janvier 1887, ci-dessus indiqué [n° 227], avait proposé, dans une seconde partie, de le faire davantage.

Les sous-préfets statueront désormais, soit directement, soit par délégation des préfets, sur les affaires qui, jusqu'à ce jour, exigeaient la décision préfectorale, et dont la nomenclature suit: 1° légalisation, sans les faire certifier par les préfets, des signatures données dans les cas suivants: a. actes de l'état civil, chaque fois que la légalisation du sous-préfet

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est requise; B. certificats d'indigence; c. certificats de bonnes vie et mœurs; D. certificats de vie; E. libération du service militaire; F. pièces destinées à constater l'état de soutien de famille; 2° délivrance des passeports; 3° délivrance des permis de chasse; 4° autorisation de mise en circulation des voitures publiques; 5° autorisation des loteries de bienfaisance jusqu'à concurrence de deux mille francs; 6° autorisation de changement de résidence dans l'arrondissement des condamnés libérés; 7° autorisation des débits de boissons temporaires; 8° approbation des polices d'assurance contre l'incendie des édifices communaux; 9o homologation des tarifs de concession dans les cimetières, quand ils sont établis d'après les conditions fixées par arrêté préfectoral; 10° homologation des tarifs des droits de place dans les halles, foires et marchés, lorsqu'ils sont établis d'après les conditions fixées par arrêté préfectoral; 11° homologation des tarifs des droits de pesage, jaugeage et mesurage, lorsqu'ils sont établis par arrêté préfectoral; 12° autorisation des battues pour la destruction des animaux nuisibles dans les bois des communes et des établissements de bienfaisance; 13° approbation des travaux ordinaires et de simple entretien des bâtiments communaux dont la dépense n'excède pas mille francs, et dans la limite des crédits ouverts au budget; 14° budgets et comptes des bureaux de bienfaisance; 15° conditions des baux et fermes des biens des bureaux de bienfaisance, lorsque la durée n'excède pas dixhuit ans; 16o placement des fonds de bureaux de bienfaisance; 17° acquisitions, ventes et échanges d'objets mobiliers des bureaux de bienfaisance; 18° règlement du service intérieur de ces établissements; 19° acceptation par les bureaux de bienfaisance des dons et legs d'objets mobiliers ou de sommes d'argent, lorsque leur valeur n'excède pas trois mille francs et qu'il n'y a pas de réclamations des héritiers. Les sous-préfets nommeront les simples préposés d'octroi (Décret du 13 avril 1861, art. 6). L'article 6 du décret du 25 mars 1852 est applicable aux décisions prises par les préfets en vertu du présent décret. Les sous-préfets rendront compte de leurs actes aux préfets, qui pourront les annuler ou les réfor mer, soit pour violation des lois et règlements, soit sur la réclamation des parties intéressées, sauf recours devant l'autorité compétente (art. 7).

§ VII. CONSEILS D'ARRONDISSEMENT.

230. Vitalité des conseils d'arrondissement malgré des menaces incessantes. 231. Projets divers de suppression des conseils d'arrondissement et de création de conseils cantonaux.

232. Organisation des conseils d'arrondissement; leur composition; conditions d'éligibilité.

233. Loi du 30 juillet 1874.

234. Leurs attributions; troisième degré de répartition de l'impôt. 235. Avis et voeux.

230. La loi sur les conseils généraux du 10 août 1871 est

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