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ou les mêmes hommes puissent faire et exécuter la loi. Aussi, dans les temps de crises et de révolution, pendant lesquels on a vu tous les pouvoirs momentanément réunis dans les mains de gouvernements de fait, ceux de leurs actes rendus sur des matières législatives, et pour lesquels une ratification formelle est parfois intervenue (tel l'article 58 § 2 de la Constitution de 1852), sont-ils désignés sous cette dénomination, dont les deux termes contradictoires indiquent bien le caractère exorbitant, décrets législatifs ou décrets-lois.

Quelques gouvernements réguliers, des assemblées concentrant tous les pouvoirs dans leurs mains, ou des chefs d'État empiétant sur les attributions législatives par des décrets inconstitutionnels, ont aussi rendu des décrets-lois ou décrets législatifs.

15. Le pouvoir législatif peut être exercé par une assemblée unique, ou par deux assemblées, électives l'une et l'autre, par le même mode de suffrage (ce qui peut équivaloir à une assemblée unique en deux groupes différents), ou par des modes différents, ou même provenant de sources diverses; on a même vu l'adjonction d'une troisième assemblée. La mission de chaque assemblée n'a pas non plus été toujours la même pour chacune d'elles. Enfin, le pouvoir exécutif peut, comme nous l'avons dit [n° 11], être appelé à participer à la loi, par les procédés que nous allons appeler l'initiative ou même la sanction, mais jamais, suivant nous, sous peine d'atteinte capitale et directe au principe lui-même, par la participation personnelle du dépositaire immédiat du pouvoir exécutif, quels que soient son titre et la forme monarchique ou républicaine du gouvernement, à la discussion et au vote de la loi.

Ainsi, l'œuvre de la confection des lois est complexe, et les constitutions ont pu répartir de manières bien diverses les opérations multiples de leur élaboration. Elle comprend: 1° l'initiative de la loi; 2 la discussion; 3° le vote de loi. Il peut y avoir, en outre, 4° l'examen de la constitutionnalité de la loi, et surtout 5° la sanction de la loi.

CONFECTION DES LOIS; INITIATIVE LEGISLATIVE

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16. 1° L'initiative de la loi est le droit de proposer un projet de loi. Trois systèmes principaux sont possibles; ils ont été successivement appliqués en France; et, malgré la pratique contraire de la république des États-Unis d'Amérique, et même de la monarchie constitutionnelle d'Angleterre, c'est principalement sous le rapport de l'initiative que l'on a vu en France, soit sous le régime monarchique, soit sous le régime républicain, le pouvoir exécutif participer à l'œuvre législative. Les trois systèmes constitutionnels signalés consistent, l'un à donner l'initiative législative au pouvoir exécutif seul; le second à l'attribuer aux assemblées, ou à l'une seule des assemblées, à l'exclusion du pouvoir exécutif; le troisième, plus rationnel, partage l'initiative entre le pouvoir exécutif et les assemblées législatives. On verra dans le tableau historique et synthétique des constitutions de la France [no 37 et 41], comment chacun de ces trois systèmes a successivement pris place dans nos lois constitutionnelles.

La grande institution du conseil d'État assure au pouvoir exécutif un utile auxiliaire pour la préparation et la rédaction des projets de loi et de leur exposé de motifs, lorsque ce pouvoir est investi en totalité ou pour partie de l'initiative des lois. Le conseil d'État fonctionne alors, moins comme conseil administratif, que comme conseil de gouvernement. Il en est de même lorsque les assemblées politiques, jugeant utile de recourir à ses lumières, renvoient à son examen des projets de loi émanés de l'initiative parlementaire (Loi du 24 mai 1872, art. 8 § 1). Mais l'interprétation législative des lois est avec raison enlevée au conseil d'État et au pouvoir exécutif depuis 1814.

Il faut, en outre, noter que l'initiative législative emporte pour l'auteur ou les auteurs des projets de loi dont ils ont saisi les assemblées, le droit de les retirer à tous les moments de la discussion et jusqu'au vote, sauf, à quiconque est également investi de cette initiative, le droit de les reprendre en son propre nom.

17. 2° et 3° La discussion et le vote de la loi sont choses distinctes, mais unies entre elles par un lien si étroit qu'il est contre nature de les disjoindre pour investir une assemblée, comme

T 1.

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DISCUSSION ET VOTE DES LOIS

l'était le Corps législatif de la Constitution du 22 frimaire de l'an VIII, du droit de voter la loi sans la discuter, et une autre assemblée, comme l'était alors le Tribunat, du droit de discuter la loi sans la voter. Aussi toutes les autres constitutions françaises ont-elles réuni sous ce rapport la discussion et le vote de la loi; mais les unes n'ont admis qu'une assemblée législative unique, les autres deux assemblées législatives.

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Nous avons déjà dit [no 15 que le pouvoir exécutif, monarchique ou républicain, concentré dans les mains d'un seul homme, quel que soit son titre, ou collectivement exercé par plusieurs, ne peut pas, sans atteinte directe au principe de la séparation des pouvoirs, participer par lui-même à la discussion et au vote de la loi. L'une des conséquences pratiques de ce principe de droit public doit donc être l'incompatibilité absolue de l'exercice du mandat législatif, dans l'une quelconque des assemblées législatives, avec l'investiture de la puissance exécutive.

Mais, si le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le pouvoir exécutif discute et vote personnellement la loi, il ne fait pas obstacle à la participation de ses ministres à ces deux phases constitutionnelles de l'œuvre législative. Cette participation n'était pas admise par les Constitutions de 1791, de l'an VIII et de 1852. Ces deux dernières constitutions la remplaçaient, au point de vue de la discussion de la loi, par l'intervention du conseil d'État, chargé alors de porter la parole au nom du pouvoir exécutif devant les assemblées, où il ne remplit plus aujourd'hui ce rôle qu'accidentellement [no 84]. La participation des ministres à la discussion et au vote de la loi est une conséquence de la responsabilité ministérielle nos 29 et 53]; loin de porter atteinte, comme l'intervention personnelle du pouvoir exécutif dans les débats législatifs, à l'indépendance du parlement, elle est le moyen d'influence le plus actif dont il puisse être investi. Le droit d'amendement doit être ici mentionné; son usage nécessaire n'est pas sans inconvénients pour la bonne rédaction des lois; il a besoin d'être sauvegardé contre les dangers de la surprise ou de l'entraînement, soit par l'intervention successive. de deux assemblées, soit en outre par la règle des trois lectures.

PHASES ANCIENNES DE LA CONFECTION DES LOIS

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Dans le système d'une Assemblée législative unique, ce dernier remède est le seul possible, à moins du droit de sanction ou de velo conféré au pouvoir exécutif.

L'analyse exacte du droit d'amendement le rattache également à l'initiative, à la discussion et au vote de la loi.

18. 4° L'examen de la constitutionnalité de la loi n'a existé, comme phase distincte de la confection de la loi, que dans les constitutions de l'an VIII et de 1852. Dans celle de l'an VIII, le Sénat formait une troisième assemblée, dans celle de 1852 une seconde assemblée, l'une et l'autre étrangères à la discussion et au vote de la loi,mais investies d'un pouvoir d'ordre constituant auquel se rattachait l'examen de la constitutionnalité des lois. Le Sénat de l'an VIII et des sénatus-consultes organiques de l'Empire de 1802 et 1804, ne statuait sur la constitutionnalité des lois qu'autant qu'elles lui étaient déférées comme inconstitutionnelles par le gouvernement ou le Tribunat, et, après la suppression du Tribunat, en 1807, par les citoyens, les législateurs ou les sénateurs. Le Sénat de 1852 en était saisi de plein droit sans recours; aucune loi ne pouvait être promulguée sans lui avoir été préalablement soumise, et sans que le Sénat eût déclaré « ne pas s'opposer à sa promulgation pour cause d'inconstitutionnalité ».

Les sénatus-consultes organiques de 1802 et 1804 avaient introduit une distinction entre la législation ordinaire, votée par le Corps législatif et qui conservait le nom de lois, et la législation constitutionnelle placée dans les attributions exclusives du Sénat et qui prenait la dénomination de sénatus-consulte. La Constitution de 1852 avait reproduit cette division de la législation en lois et en sénatus-consultes; ce droit du Sénat de faire des sénatus-consultes se rattachait à son droit d'examen de la constitutionnalité des lois; la constitution de 1870 les avait supprimés l'un et l'autre.

19. 5° La sanction est l'acte complémentaire de la loi, qui transforme le projet en loi. La sanction ne peut émaner logi

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CONFECTION DES LOIS; SANCTION.

quement que du pouvoir qui n'a pas le droit de voter la loi ; par la sanction, il est armé d'un moyen constitutionnel d'empêcher le projet discuté et voté par l'autre pouvoir de devenir loi. Il échappe ainsi à l'obligation constitutionnelle d'assurer l'exécution des mesures contraires à ses vues.

Le choix de la forme monarchique ou républicaine du gouvernement doit naturellement exercer une influence directe sur la solution de cette partie du problème. Toutes les constitutions monarchiques de la France, et celles de l'an VIII et de 1852 dès leur origine, ont donné la sanction législative au pouvoir exécutif, moins celle de 1791, qui ne conférait au roi que le veto suspensif pendant deux législatures. La constitution républicaine de l'an III refusait absolument la sanction et tout ce qui eût pu en tenir lieu au Directoire exécutif, mais l'attribuait au conseil des Anciens; la sanction des lois confiée à une assemblée perd son caractère rationnel, et ramène par la force des choses à la discussion et au vote par une seconde asserablée législative. La constitution de 1848 donnait au président de la République, non la sanction, mais le droit de provoquer une nouvelle délibération du pouvoir législatif [nos 37 et 511.

Il faut remarquer que, même dans les constitutions qui ont accordé la sanction au pouvoir exécutif, elle a une importance qui varie, moins grande dans celles (an VIII, 1802-1804, 1814, 1815, 1852) qui donnaient l'initiative au pouvoir exécutif seul, plus grande dans celles (1830, 1870) qui partageaient cette initiative entre le pouvoir exécutif et les chambres.

20. Il résulte de l'analyse que nous venons de faire des opérations multiples de la confection des lois, que la date des lois varie suivant les constitutions qui règlent ces opérations législatives. En effet, la loi doit toujours prendre date du jour où elle est complète. Dans les constitutions qui admettent la sanction, le projet, même voté, ne devient loi que par la sanction [no 19], et doit en prendre la date. Dans celles au contraire qui n'admettent pas la sanction, et dans lesquelles la loi est achevée par le vote, la loi prendra la date du jour du vote. Si ce vote appar

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