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DES LOIS DE 1871 ET 1884

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tion administrative et de l'unité dans ce qu'elles ont d'essentiel.

123.9e règle. L'augmentation de pouvoir des conseils électifs, et la suppression, atténuée comme il vient d'être dit, de l'autorisation pour les affaires départementales, ont été complétées dans la loi de 1871 par la publicité des séances du conseil général, et surtout par la création de la commission départementale, élue par chaque conseil général dans son sein, chargée, dans l'intervalle des sessions, de représenter le conseil général investi ainsi d'une quasi-permanence. C'est là l'œuvre capitale et vraiment nouvelle de la loi du 10 août 1871; c'est aussi le plus grand pas qui ait été fait depuis la loi du 28 pluviôse de l'an VIII dans la voie de la décentralisation en ce qui concerne l'administration départementale. Malgré de vives discussions, la défiance et l'opposition du gouvernement, et le vote contraire du ministre de l'intérieur, la commission départementale, née de l'initiative parlementaire, a été créée par la majorité de l'Assemblée nationale en 1871, jalouse sans doute, à sa première heure, de donner un démenti à cette parole de A. de Tocqueville: « La plupart de ceux << mêmes qui, en France, parlent contre la centralisation ne veu«<lent point, au fond, la détruire : les uns, parce qu'ils tiennent << le pouvoir; les autres, parce qu'ils comptent le posséder. »

124. 10me règle. Les hommes politiques qui, en 1882, ont introduit, et, dans la loi municipale du 5 avril 1884, ont consacré le principe de l'élection du maire par le conseil municipal, dans toutes les communes de France, ont certainement aussi tenu à donner un autre démenti à l'illustre écrivain que nous venons de citer. Il n'est pas douteux, en effet, que, ministres et législateurs républicains, ils ont fait perdre à la République l'administration municipale d'un grand nombre de chefs-lieux de cantons. Nous avons déjà dit que cette mesure de décentralisation était la plus considérable qui se pût imaginer, et c'est bien à tort que ce caractère lui a été contesté. Enlever au pouvoir central une de ses prérogatives, pour en doter les corps locaux électifs, c'est ce qui constitue au premier chef la décentralisation

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CENTRALISATION

ET DÉCENTRALISATION

Sans anticiper autrement sur l'étude de l'administration municipale, nous nous bornons à rappeler le principe, admis par la Convention, que les représentants des populations doivent être élus par elles et les représentants du gouvernement choisis par lui. Or nous verrons que le maire, d'après nos lois municipales, est l'agent et le représentant du gouvernement dans la commune, en même temps que le chef de l'association communale. Nous verrons aussi qu'il concentre dans sa main la plénitude de l'action administrative, répartie, dans les législations étrangères qui admettent l'élection, entre plusieurs administrateurs isolés ou collectifs.

La même loi du 5 avril 1884, en augmentant la durée des sessions des conseils municipaux et en leur donnant les plus grandes facilités pour se réunir en dehors des sessions ordinaires, leur a donné aussi, comme aux conseils généraux, mais par un autre moyen, une quasi-permanence, avec la publicité de leurs séances.

125. C'est par ces divers procédés, c'est par l'ensemble de ces règles multiples que les pouvoirs publics en France ont cherché successivement, dans le cours du XIXe siècle, à résoudre ce grave problème du maintien de la centralisation nécessaire, c'est-à-dire de l'unité administrative, voulue par l'ancienne Monarchie, rendue possible par l'Assemblée constituante, et réalisée par le Consulat avec des excès de centralisation successivement supprimés depuis la loi de l'an VIII. On a cherché à laisser à l'autorité locale et aux conseils électifs l'initiative et la gestion dans l'administration des affaires qui n'intéressent que la localité, et à maintenir dans les attributions du pouvoir central tout ce quiest du domaine des intérêts généraux du pays. On a voulu aussi réserver à l'autorité supérieure (centrale ou préfectorale) un droit de surveillance et de contrôle permettant de réprimer les excès de pouvoir, de faire respecter les lois et les règlements, d'empêcher l'oppression des individus et des minorités.

126. Toutes ces mesures de décentralisation qui sont l'œuvre d'un demi-siècle, les dispositions hautement libérales et décen

INTÉRÊTS GÉNÉRAUX ET INTÉRÊTS LOCAUX

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tralisatrices des deux grandes et sages lois départementales du 10 août 1871 et municipale du 5 avril 1884, permettent de considérer comme se trompant d'époque les attaques qui, au nom de la décentralisation administrative, se poursuivent toujours contre le régime actuel, comme s'il ne différait pas profondément de celui de l'an VIII. On oublie qu'il y a deux sortes d'intérêts auxquels l'administration d'un pays doit pourvoir: les intérêts généraux, dont la sauvegarde doit appartenir, sous tous les régimes, au pouvoir central, et les intérêts locaux, dont il convient en effet de laisser la gestion aux administrations locales électives, mais seulement lorsqu'ils ne sont pas rivés à des intérêts généraux. Il est des cas, en effet, dans lesquels l'intérêt général et l'intérêt local sont tellement unis que le premier peut être compromis par la gestion du second. Ces cas sont plus fréquents dans l'administration du département de la Seine et de la ville de Paris; il est impossible de méconnaître qu'il en existe aussi dans les autres départements et communes de France. Sans réveiller les souvenirs des communes de Paris de 1793 et de 1871, n'est-il pas à craindre que les campagnes trop retentissantes, dites de décentralisation, après les lois de 1871 et de 1884, fournissent surtout des armes aux partisans de l'autonomie communale?

Appeler décentralisation administrative de simples mesures de déconcentration ou de simplification des rouages administratifs, c'est créer une équivoque. Des réformes de cette nature sont tou jours à l'ordre du jour : ce ne sont pas des mesures de décentralisation. Nous avons établi déjà que la décentralisation véritable consiste à développer les pouvoirs des corps locaux électifs au détriment de ceux du pouvoir central ou de ses représentants. Nous ne disons certes pas qu'il n'y ait plus rien à faire en France, depuis les lois de 1871 et de 1884, dans le sens de cette véritable décentralisation. Mais nous estimons que les mesures de cet ordre qui peuvent encore être prises sont d'une importance secondaire. Nous en trouvons la preuve dans les conclusions d'un intéressant rapport approuvé par une très grande

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« Nous proposons de relever de 12 à 20 le nombre des centimes extraor

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IMPORTANCE SECONDAIRE DE NOUVELLES

commission de décentralisation instituée par décret du 16 février 1895. La suppression du nombre excessif des projets de loi d'intérêt local peut être avantageuse, sans constituer une mesure de décentralisation, ni de premier ordre, lorsque les conseils généraux ou municipaux statueront définitivement dans certains cas nouveaux, ni réelle lorsque des décrets rendus en conseil d'État remplaceront les lois d'autorisation. La suppression

dinaires que les départements peuvent s'imposer sans autorisation, et d'élever de quinze ans à trente ans, c'est-à-dire à un délai qui est rarement dépassé dans la pratique, la durée de remboursement des emprunts que les départements ont la liberté de contracter. Par cette double réforme, nous affranchissons en réalité de la tutelle financière de l'Etat les départements les moins imposés, et nous donnons aux autres la libre disposition des ressources nécessaires pour la moyenne normale de leurs besoins. Nous faisons disparaître de l'ordre du jour des Chambres cette innombrable quantité de projets de loi d'intérêt local ayant pour objet d'autoriser les départements à pourvoir à des dépenses qui sont en réalité des dépenses ordinaires, annuelles et même obligatoires, comme celles de l'assistance médicale gratuite. Le Parlement ne sera plus saisi que des dépenses départementales ayant vraiment un caractère extraordinaire. En autorisant l'exécution immédiate du budget de report, nous faisons bénéficier les départements du temps que prenait l'examen de ces budgets par le ministère. On ne sera plus obligé d'interrompre les travaux ni le mandatement des dépenses reportées. En matière communale, nos propositions sont plus touffues. Nous relevons d'abord la compétence financière des conseils municipaux. Nous portons à 10 centimes pendant dix ans, au lieu de 5 centimes pendant cinq ans, la quotité des centimes extraordinaires que les conseils municipaux peuvent voter sans autorisation. Nous donnons aux conseils municipaux le droit de voter sans autorisation 10 centimes pour insuffisance de revenus. Enfin, par la nouvelle rédaction de l'article 145 de la loi municipale, nous rendons maitresses de leur budget les communes, en très grand nombre, qui n'auront pas dépassé cette double limite. En matière communale, comme en matière départementale, nous réduisons l'intervention de l'Etat aux cas où il y a vraiment à prévenir une progression excessive des charges publiques et de l'appel fait au contribuable par les budgets locaux. Nous proposons de donner aux conseils municipaux le droit, qu'ils n'avaient pas et qui serait d'un usage continuel, de régler jusqu'à 1,000 fr. le mode d'exécution des travaux et fournitures. En remaniant l'article 68 de la loi municipale, nous remettons aux conseils municipaux le pouvoir de décision sur de nouvelles catégories d'affaires (baux, affectations d'immeubles, créations et suppressions de promenades, jardins, champs de foire, etc.). Nous supprimons la nécessité de l'autorisation de plaider. En même temps que nous augmentons dans une très large mesure le pouvoir propre des conseils municipaux, nous supprimons entièrement les lois d'intérêt local s'appliquant à la tutelle des communes; nous les remplaçons par des décrets en conseil d'Etat; dans le même esprit, nous transférons du gouvernement à son représentant, le préfet, non seulement le droit de nomination à certaines fonctions (personnel des prisons, officiers de sapeurs-pompiers, etc.), mais encore la plus grande partie des

MESURES DE DÉCENTRALISATION

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de l'autorisation de plaider aux communes n'est pas non plus une mesure capitale. On peut faire bon accueil aux projets de loi qui réaliseront ces mesures. L'annonce retentissante du début, donnant à croire que tout était à changer, sinon à refaire, dans l'organisation administrative de la France, à l'approche du xxe siècle, était-elle nécessaire pour arriver à ces résultats ? Nous ne leur

attributions de tutelle communale qui avaient été jusqu'à présent concentrees à Paris. Nous relevons de 20 à 30 le maximum des impositions extraordinaires à déterminer dans chaque département par le conseil général, et au delà duquel le vote des conseils municipaux doit être approuvé par le pouvoir central. Cette mesure réduira à un petit nombre les dossiers d'impositions extraordinaires qui devront être soumis à la sanction du président de la République. Nous attribuons compétence au préfet pour autoriser, dans tous les cas, au-dessus de 10 centimes, l'imposition pour insuffisance de revenus. Nous le chargeons de l'approbation des marchés dans les villes dont le revenu est de 3 millions, ce qui exonérerait les municipalités de ces villes de retards dont elles avaient à souffrir à tout propos. Le préfet statuerait également, mais en conseil de préfecture, sur les créations d'adjoints spéciaux, l'organisation des caisses de retraites communales, la taxe de balayage, les modifications aux règlements, au périmètre des octrois, l'assujettissement à la taxe d'objets non encore imposés au tarif d'octroi local. Mais, pour ces questions d'octroi, nous exigerions, avec l'avis du conseil de préfecture, l'avis conforme du directeur départemental. Enfin, nous donnerions compétence au conseil général pour la taxe des ebiens, dans les limites de la loi de 1855. Nous avons voulu définir et limiter le caractère du contrôle exercé par le préfet, en instituant, pour le cas de désaccord entre le préfet et la commune, une mesure nouvelle d'instruction contradictoire : l'audition du maire en conseil de préfecture. Nous réservons toujours à l'Etat, dans l'intérêt de la propriété privée, dont il ne faut pas diminuer les garanties, les décisions qui doivent entraîner l'expropriation. Mais nous proposons d'unifier la législation en cette matière. En proposant des mesures de simplification dans la comptabilité communale, nous rappelons qu'il y a des précautions à prendre contre les gestions occultes et qu'il convient d'ouvrir un regard à l'administration préfectorale sur les pièces justificatives des comptes de gestion, en même temps que de rendre plus effectif le contrôle des assemblées municipales, en donnant, même à un seul conseiller, le droit de réclamer la communication des pièces. Si nos propositions étaient accueillies et sanctionnées, - il suffirait pour cela de quelques circulaires, de quelques décrets, de deux articles dans la loi de finances et de la modification de trois ou quatre articles des lois de 1871 et de 1884, il n'y aurait aucune secousse dans le fonctionnement d'institutions auxquelles le pays est habitué; mais on aurait singulièrement allégé et facilité la marche des assemblées locales et on aurait mis nos deux chartes départementale et communale en harmonie avec le progrès dans l'éducation et dans les mœurs, qui se mesure au temps parcouru (Rapport sur l'administration départementale et communale, présenté au nom de la sous-commission administrative de décentralisation, par M. Alapetite, et approuvé par la Commission extraparlementaire de decentralisation, en séances plénières des 17 et 22 juillet 1896) ». Journal officiel du jeudi 20 août 1896.

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