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QUATRE AUTRES PÉRIODES DE DÉCENTRALISATION

Ainsi, dans la première période dont nous venons de caractériser la haute importance, de 1831 à 1838, on rend les conseils locaux électifs et on leur donne l'initiative.

Dans une seconde période, de 1848 à 1852, le législateur, sans toucher aux lois d'attributions, substitue le suffrage universel au suffrage restreint pour l'élection des conseils administratifs, et rend électifs par les conseils municipaux une partie des maires. La première de ces mesures devait rester une des bases fondamentales de notre droit public; la seconde devait disparaître en 1852 pour reparaître en 1871.

Dans la troisième période, en 1852, on décentralise moins qu'on ne déconcentre; le décret-loi du 25 mars 1852, le décret du 13 avril 1861, plusieurs autres décrets et quelques dispositions des lois ultérieures, s'inspirant de la même idée, reportent de l'administration centrale aux préfets la solution de très nombreuses affaires administratives.

Dans la quatrième, à partir de 1866, par les lois sur les conseils généraux du 18 juillet 1866 et du 10 août 1871, et, à un degré moindre, par celle du 24 juillet 1867 sur les conseils municipaux, par la loi du 5 avril 1884 et depuis, on décentralise en élargissant les pouvoirs des corps électifs et en les émancipant d'une façon plus ou moins complète de ce qu'on appelle à tort [n° 121] la tutelle administrative, c'est-à-dire en permettant l'exécution d'un grand nombre de leurs délibérations sans qu'elles soient soumises à la nécessité d'une autorisation.

Enfin, 5o par la même loi du 10 août 1871, et c'est là l'œuvre capitale qui lui est absolument propre, le législateur a créé ce nouvel organe, étranger à la loi du 28 pluviôse de l'an VIII, la commission départementale, élue par le conseil général, pour le remplacer dans l'intervalle des sessions; et par la loi municipale du 5 avril 1884, l'élection du maire dans toutes les communes a été consacrée, ce qui constitue, en l'état des attributions du maire et de sa situation d'après la loi française, la plus grave mesure de décentralisation que l'on puisse rencontrer dans aucune législation ns 265 à 267.

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117. Tous ces actes successifs intervenus depuis 1830 contien nent ainsi des mesures diverses de décentralisation administrative. Après avoir indiqué la large part qui appartient aux lois de 1831, 1833, 1837 et 1838 dans l'œuvre de décentralisation, après avoir indiqué l'œuvre propre à la législation de 1848, et ne nous occupant plus en ce moment que des dispositions relatives aux attributions contenues dans les décrets ou lois ultérieurs de 1852, 1861, 1866, 1867, 1871, 1884, nous allons en présenter une généralisation. On en peut déduire dix règles principales. L'énoncé de ces dix règles va préciser les caractères constitutifs de la décentralisation administrative, telle que ces textes successifs, par des procédés divers, l'ont réalisée.

118.fre règle. On décentralise tout en maintenant, ainsi que nous l'avons déjà constaté, l'institution départementale, ouvre fondamentale de la Révolution et deux des bases essentielles de la législation de l'an VIII. Il faut décentraliser en supprimant les exagérations de centralisation. Mais on maintient comme nécessaire à l'unité politique de la France et au bon ordre à l'intérieur, le principe d'unité administrative cherché sous l'ancienne Monarchie et voulu par la Révolution française. Le principe, proclamé en l'an VIII, de la séparation de l'action, de la délibération et de la juridiction administratives en des mains différentes, est aussi conservé. Tous les organes administratifs créés par la loi du 28 pluviôse de l'an VIII sont maintenus. Mais on crée un nouvel organe, la commission départementale, et l'on modifie la répartition des attributions entre quelques-uns de ceux créés au commencement du xixme siècle.

119.2 règle. - On place la déconcentration à côté de la véritable décentralisation, en enlevant à l'administration centrale la solution d'un grand nombre d'affaires remise à un agent du pouvoir central, le préfet, placé plus près des populations. Toutefois, l'on conserve aux pouvoirs exécutif ou législatif, la solution de certaines affaires locales, en raison de leur importance et comme se liant plus étroitement aux intérêts de l'État.

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DÉCONCENTRATION ADMINISTRATIVE

C'est l'application de l'idée reproduite dans le préambule du décret-loi du 25 mars 1852 en ces termes : « Considérant qu'on << peut gouverner de loin, mais qu'on n'administre bien que de << près; qu'en conséquence, autant il importe de centraliser « l'action gouvernementale de l'État, autant il est nécessaire de « décentraliser l'action purement administrative, etc. » En un mot, on enlève, en principe, à l'administration centrale, la solution des affaires locales, mais on lui laisse la solution de celles qui touchent aux intérêts de l'État.

On a donné d'abord (décrets de 1852 et 1861) la solution des affaires décentralisées aux préfets, et elle est restée entre leurs mains pour un nombre considérable d'affaires. Cette mesure de déconcentration, beaucoup plus que de décentralisation, a l'avantage d'abréger les délais et les formalités, en rapprochant l'autorité compétente des populations; elle eût été pleine d'inconvénients et de dangers sans le principe maintenu par la règle 5°; elle laissait surtout de véritables mesures de décentralisation à réaliser par les 6o, 7o et 9° règles.

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3e règle. Pour quelques affaires peu nombreuses et d'un intérêt secondaire, plutôt pour des formalités à remplir que pour des solutions à rendre, on a décentralisé ou mieux déconcentré par voie d'augmentation des attributions des sous-préfets (Décret du 13 avril 1861, art. 6 [no 229]), fonctionnaires encore plus rapprochés des populations que les préfets.

4 règle.

Toute une classe d'affaires est, en raison de sa nature, exceptée des mesures de déconcentration et de décentralisation. Ce sont les affaires religieuses [n° 146]. Il en doit être ainsi dans l'intérêt des familles, dans l'intérêt politique et dans l'intérêt économique de l'État, contraires à l'extension de la propriété de mainmorte, et parfois dans l'intérêt bien entendu de la religion elle-même. Des exceptions très restreintes ont été seules apportées à ce principe par les décrets du 13 avril 1861 et du 15 février 1862.

120.5 règle. On applique à toutes les affaires déconcentrées le principe fondamental du droit des parties lésées de

VÉRITABLE DÉCENTRALISATION

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recourir à l'autorité administrative supérieure et du droit de celle-ci de réformer ou d'annuler d'office; de sorte que l'administration centrale, en perdant le droit de décision directe, a conservé sur les actes de ses délégués le droit de contrôle qui représente le maintien de l'unité administrative dans ce qu'elle a de réellement protecteur pour les populations et d'indispensable aux intérêts généraux du pays (D. 1852, art. 6; D. 1861, art. 7 n° 149), sans parler de la puissante garantie qu'offre aux citoyens le recours toujours ouvert au conseil d'État pour excès de pouvoir et pour incompétence [nos 431 à 437].

121.6e et 7e règles. - Ce n'était pas assez, pour opérer une décentralisation effective, de rapprocher des populations, avec le droit de recours et de contrôle hiérarchique, l'autorité chargée d'autoriser l'exécution des délibérations des conseils électifs et d'exercer ainsi ce qu'on a appelé à tort la tutelle administrative des départements et des communes. Cette expression est fausse [ns 333 à 335]; toute tutelle suppose un mineur, sinon un interdit; d'après le droit civil, le tuteur gère scul et directement les affaires du mineur sans le consulter; tandis que, d'une part, même d'après la loi de l'an VIII, il fallait la délibération des conseils, bien que l'administration supérieure pût passer outre, et, que, d'autre part, d'après les lois de 1837 et de 1838, les départements et les communes, représentés par leurs conseils électifs, avaient déjà la plénitude de l'initiative, l'autorité supérieure n'ayant que le droit d'empêcher sans avoir celui de réaliser. Il pouvait convenir de diminuer, et même, dans quelques cas, de supprimer cette soi-disant tutelle, c'est-à-dire la nécessité de l'autorisation; avant les décrets de déconcentration, elle devait émaner généralement de l'administration centrale (pouvoir exécutif, conseil d'État, ministre, et parfois même du pouvoir législatif), et, depuis ces décrets, elle émanait le plus souvent des préfets. Cette substitution du préfet au pouvoir central était bien un moyen d'accélérer la marche des affaires, mais elle n'affranchissait dans aucun cas les conseils électifs de l'autorisation nécessaire pour l'exécution de leurs délibérations. Il fallait pour

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MESURES DE DÉCENTRALISATION

cela augmenter les attributions de ces conseils; déjà libres de ne pas faire, on pouvait les rendre libres pour faire : c'était le pas le plus considérable à réaliser dans la voie de la décentralisation administrative.

C'est (6 règle), en ce qui concerne les départements, l'œuvre largement commencée par la loi du 18 juillet 1866 sur les conseils généraux, continuée et complétée par la loi du 10 août 1871, qui a remplacé la précédente et supprimé, sauf certains cas, la mesure, dite de tutelle administrative, pour la réalisation des - actes de la vie civile des départements.

C'est (7° règle), en ce qui concerne les communes, l'œuvre bien plus délicate, timidement ébauchée par la loi du 24 juillet 1867 sur les conseils municipaux, et augmentée par la loi sur l'administration municipale du 5 avril 1884.

En outre, ces lois, dans quelques-unes de leurs dispositions qui maintiennent la nécessité de l'autorisation, continuent le procédé de décentralisation ou de déconcentration des décrets de 1852 et 1861, en confiant le droit d'autoriser, dans les cas où les lois municipales surtout l'ont maintenu, à des autorités plus rapprochées des populations que ne l'est l'autorité centrale.

122. 8 règle.

De même que les décrets de 1852 et de 1861 avaient stipulé (5e règle ci-dessus) le maintien du droit de contrôle et de réformation de l'administration centrale relativement aux attributions nouvelles des préfets, de même les lois du 18 juillet 1866 et du 10 août 1871 ont réservé le droit de contrôle du pouvoir exécutif sur toutes les délibérations des conseils généraux. C'est ainsi que la loi du 10 août 1871, en supprimant en principe, et sauf encore dans trois cas, la nécessité de l'autorisation administrative relativement aux délibérations des conseils généraux, a réservé au gouvernement, pour leurs délibérations non définitives, le droit de suspension (art. 49 [n° 184] ), et pour leurs délibérations définitives le droit d'annulation en raison de l'excès de pouvoir, de la violation d'une loi ou d'un règlement d'administration publique (art. 47 (n° 183] ). Ces réserves écrites dans les lois de décentralisation sont le maintien de la centralisa

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