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DIVISION DES FONCTIONS ADMINISTRATIVES

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partementale, le seul organe nouveau créé depuis l'an VIII, par la loi du 10 août 1871, et le conseil de préfecture dans les cas ou celui-ci fonctionne actuellement, non comme tribunal, mais comme conseil administratif. C'est un fait bien digne de remarque, que les bases résultant de ces dispositions de la loi du 28 pluviose de l'an VIII sont restées debout depuis 1800, dans un pays où les révolutions politiques ont, depuis cette même époque, renversé tant de régimes constitutionnels. Cette existence persistante sous les régimes politiques les plus variés est un hommage rendu par l'expérience à la supériorité du principe de division et de répartition des trois fonctions administratives (action, délibération, juridiction) par la loi de l'an VIII. C'est aussi l'hommage de tous les régimes politiques à cette grande idée de l'unité administrative, voulue par l'ancienne monarchie, voulue par l'Assemblée constituante et par la Convention, comme complément de l'unité politique de la France, et réalisée par cette loi.

111. Cette loi contenait toutefois, dans celles de ses dispositions qui conféraient au pouvoir exécutif ou aux préfets la nomination des conseils départementaux et communaux, et dans celles qui refusaient toute initiative à ces conseils, des exagérations de centralisation qui pouvaient s'expliquer historiquement, au lendemain des désordres de la période révolutionnaire, mais que l'avenir devait faire disparaître.

D'autre part, la portée de quelques autres dispositions de cette loi fut altérée, par des actes divers et successifs, au profit de l'administration centrale. Ainsi le préfet, en qualité de représentant du gouvernement, administrateur jure proprio du département, était investi, par le texte général et sans réserve de l'article 3 de la loi du 28 pluviôse de l'an VIII, d'attributions immenses, soit pour l'application des lois d'intérêt général, soit pour l'application des lois d'intérêt local. De nombreuses lois, des actes du pouvoir exécutif plus nombreux encore, dont il serait peu utile d'entreprendre la nomenclature, sont venus presque aussitôt après (quoi qu'on en ait dit) régler l'autorité préfectorale dans le nombre intini des matières administratives; leur ten

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TROIS PREMIERS SYSTÈMES D'ADMINISTRATION

dance était de resserrer cette autorité dans des limites plus étroites en réservant presque toujours à l'administration centrale la solution des affaires. L'on ne songeait pas assez, tant au point de vue de l'administration centrale que des préfets, à la distinction des intérêts généraux et des intérêts locaux, et à la part légitime revenant sous ce dernier rapport aux conseils locaux. Ce devait être l'œuvre des législations suivantes; mais la loi du 28 pluviose de l'an VIII est restée en vigueur dans toutes ses parties jusqu'après 1830.

112. Il résulte de ce rapide historique de l'administration provinciale et départementale de la France jusqu'au premier tiers du XIXe siècle, trois systèmes d'administration locale différents et successifs [nos 103 à 111].

Le 1er de ces régimes administratifs est celui de l'ancienne France, envisagé dans son dernier état, avec la distinction fondamentale des pays d'états et des pays d'élections, tempéré en partie par l'institution des assemblées provinciales de l'édit de 1787 [nos 102 à 104].

Le second système est, avec la division de la France en départements, celui des lois de 1790 et de l'an III [nos 105 à 109].

Le troisième est celui de la loi du 28 pluviôse de l'an VIII [nos 110 et 111]. Il résulte des dispositions de cette loi et de ce que nous venons d'en dire, que le système d'administration consacré par elle, et maintenu sans changement jusqu'après la révolution de 1830, présente quatre caractères principaux Le premier est la division et la répartition entre les agents, les conseils et les tribunaux, des trois fonctions administratives (action, délibération, juridiction), mêlées et confondues par le régime administratif des pays d'élections d'avant 1789 dans la main du pouvoir royal et de son représentant, et, pour toute la France, dans celles des administrations collectives élues de 1790 et de l'an III.

Le second caractère essentiel de ce régime administratif de l'an VIII est l'établissement du lien hiérarchique, déjà prescrit par la législation de l'an III,énergiquement réalisé entre tous les agents

QUATRIÈME SYSTÈME D'ADMINISTRATION

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du pouvoir exécutif dans le sens de l'unité administrative du pays. Ce sont ces deux sortes de dispositions de la loi du 28 pluviôse de l'an VIII, qui marquent un progrès notable sur les systèmes administratifs antérieurs, et qui ont été conservées par les régimes suivants.

Mais deux autres sortes de dispositions de la loi du 28 pluviose de l'an VIII dépassaient le but, et, en exagérant la somme de pouvoir dévolu à l'autorité centrale, constituaient une centralisation administrative excessive, cessant de correspondre à la saine notion de l'unité administrative du pays complément de son unité politique.

Ce troisième et ce quatrième caractères, gravement critiquables, de la loi de l'an VIII, sont, d'une part, l'exclusion presque absolue du principe électif dans la constitution des conseils locaux, et, en outre, d'autre part, l'affaiblissement systématique de ces mêmes conseils et des autorités locales au point de vue de leurs attributions et de leur indépendance.

C'est par de graves et successives réformes apportées sur ces deux derniers points que le législateur français, dans le courant du XIXe siècle, devait arriver à constituer l'administration intérieure de la France sur des données plus larges; elles forment en réalité un quatrième système d'administration.

113. Ce quatrième système d'administration, droit actuel de la France, emprunte, comme le précédent, au régime de 1790, l'institution départementale qui lui sert de base, et au régime de l'an VIII les deux points essentiels ci-dessus signalés, la division et la répartition des fonctions et les liens de la hiérarchie, conditions de l'unité administrative.

En outre, contrairement au système de l'an VIII, il applique à la formation des conseils administratifs chargés de la gestion des intérêts locaux le principe électif sur ses bases les plus larges, et il consacre l'indépendance des administrations locales dans la sphère des intérêts locaux.

Bien que nous traitions spécialement ici de l'administration. départementale, il est essentiel de remarquer que ces questions

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CENTRALISATION ET DÉCENTRALISATION

d'administration intérieure concernent à la fois les départements et les communes. Les lois de 1790 et de l'an III appliquaient le système des administrations collectives dans la commune, comme dans le département; il en fut de même en l'an III de la création des administrations municipales de canton, composées des agents municipaux de chaque commune de moins de 5,000 habitants, et qui faisaient du canton une unité administrative artificielle, au lieu de l'unité administrative naturelle, la commune. La loi de l'an VIII, qui replaçait partout l'administration municipale à sa véritable place, dans la commune, applique des règles contraires, mais communes, aux municipalités et aux départements. Les lois départementales et communales posté rieures vont faire de même, en s'inspirant des mêmes principes.

On peut dire que les plus importantes de ces lois, en raison même des deux points du système de l'an VIII qui provoquaient des réformes, sont des lois de décentralisation opérant par degrés.

114. La réaction s'est faite depuis longtemps; et, sous le nom de décentralisation administrative, il s'est produit, dans tout le cours du XIXe siècle, des théories réclamant un système départemental et communal électif et d'après lequel les administrations locales eussent la libre gestion de leurs intérêts, et fussent affranchies, de ce chef, de la surveillance et du contrôle de l'autorité supérieure.

Sous ce nom de décentralisation administrative, les idées les plus diverses se sont produites, les plus sages comme les plus menaçantes pour l'unité politique et administrative du pays. Entre les données extrêmes, celle de l'an VIII portant à son paroxysme la centralisation administrative et celle des publiciste, sacrifiant complètement le principe de l'unité administratives gardienne de l'unité politique du pays, le législateur a pris le sage parti d'introduire dans la loi un système intermédiaire ayant pour objet de faire disparaître les excès de la centralisation, tout en maintenant notre unité administrative et en conservant les deux premières règles de l'organisation de l'an VIII.

PREMIÈRE PÉRIODE DE DÉCENTRALISATION

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C'est cet ensemble de mesures de décentralisation, qui, combinées avec les parties sagement conservées des régimes antérieurs, constitue le quatrième régime administratif de la France régissant aujourd'hui les départements et les communes. Loin de se constituer tout d'une pièce, par une seule loi, comme celles de 1790 et de l'an VIII, il s'est formé de lois successives, par une lente évolution de plus d'un demi-siècle que nous allons décrire et dont les résultats sont pour la plupart consacrés par l'expérience.

115. Une injustice, contre laquelle nous avons toujours protesté, consiste à revendiquer d'une façon trop exclusive pour les diverses mesures intervenues, soit en 1852 et 1866, soit en 1871, 1884 et depuis, la qualification de lois ou décrets de décentrali sation administrative. Les premières mesures de décentralisation sont intervenues en 1833, 1837 et 1838, et quelques-unes d'entre elles étaient déjà discutées par les pouvoirs publics avant 1830.

La loi du 22 juin 1833 et celle du 21 mars 1831, qui a reçu également sa complète exécution en 1833, en rendant électifs les conseils généraux de département, les conseils d'arrondissement et les conseils municipaux, ont accompli la première et la plus importante mesure de décentralisation, bien qu'il s'agit du suffrage restreint, qui a fait place, en 1848, au suffrage universel. Les lois, du 10 mai 1838 sur les attributions des conseils généraux et des conseils d'arrondissement, et du 18 juillet 1837 sur l'organisation municipale, en donnant aux conseils électifs l'initiative des affaires locales, en les rendant libres d'empêcher les actes de la vie civile du département ou de la commune non consentis par eux, introduisaient aussi dans la législation et dans l'administration du pays un élément décisif de décentralisation.

L'ensemble de ces lois forme ainsi, de 1831 à 1838, une première période de décentralisation administrative dans l'histoire de l'administration française depuis 1830.

116. On peut diviser en quatre autres parties ou périodes les mesures de décentralisation ultérieures; ce qui fait en tout, depuis 1830, cinq périodes de décentralisation.

T. I.

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