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POUVOIR CONSTITUANT; POUVOIRS CONSTITUÉS

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<< droit et à la condition de la nature que le pouvoir; la famille, <«< la cité, la nation, le genre humain, la nature entière, le monde <«< lui-même ne peuvent subsister sans lui; car le monde obéit « à Dieu; à lui sont soumises et la terre et la mer; et la vie de << l'homme défère aux injonctions d'une loi suprême ».

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Montesquieu exprime ainsi la même vérité : « Une société ne << saurait subsister sans un gouvernement ». Il n'y a pas « de << nation acéphale », suivant le mot de d'Aguesseau 2.

Le pouvoir, considéré en soi, se subdivise en pouvoir constituant et en pouvoirs constitués.

10. Le pouvoir constituant est un. Il est l'expression complète et directe de la souveraineté. Il réside dans la nation qui l'exerce par voie de délégation ou de ratification, et parfois par ces deux procédés cumulativement employés. Il a pour objet de créer les pouvoirs constitués, auxquels il attribue l'exercice de la souveraineté, en fixant la forme politique du gouvernement, dans un acte généralement appelé Constitution, Charte, ou Loi constitutionnelle. Ce principe de la souveraineté nationale est la base du droit public des Français, consacrant le droit de la nation de choisir et d'organiser, par elle-même ou par ses représentants, son régime politique constitutionnel. La législation électorale est la mise en œuvre de ce principe [nos 687 à 702, et 862 à 879].

11. Les pouvoirs constitués, créés par le pouvoir constituant, au lieu d'être par leur nature soumis à la règle de l'unité, sont au contraire soumis à celle de la dualité ou de la pluralité. Tous les publicistes sont d'accord pour reconnaître l'existence de deux pouvoirs de cette nature; nous dirons plus loin pourquoi nous ne reconnaissons pas, contrairement à une théorie divergente sur ce point, l'existence d'un troisième pouvoir principal dans l'État, qui puisse, au point de vue rationnel, être considéré comme l'égal des deux autres [nos 33 à 36. Les deux pouvoirs constitués,

Deo paret, et huic obediunt maria terræque, et hominum vita jussis supremæ legis obtemperat (Cicero, De Legibus, lib. III, 1).

L'Esprit des lois, I. Ier, ch. m. 2 Institution au droit public, 2° partie.

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reconnus par tous, sont le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Le premier a pour mission de faire la loi, le second de l'appliquer. C'est cette diversité propre aux pouvoirs constitués qui exige leur répartition en des mains différentes et donne lieu au principe fondamental de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, distincts par la nature de leur mission, doivent être séparés par les lois positives et dans l'application, sous peine de laisser la place au pouvoir absolu ou dictature, soit d'un seul homme, soit de plusieurs, soit même d'une assemblée. Cette dictature s'est produite avec la forme républicaine aussi bien qu'avec la forme monarchique du gouvernement.

Le principe de la séparation des pouvoirs exige donc que le pouvoir chargé de l'exécution des lois n'ait pas mission de les faire, et que le pouvoir chargé de faire les lois ne soit pas cumulativement investi de la mission d'exécution. Mais ce principe n'impose pas une division tellement absolue qu'il fasse obstacle à une certaine participation du pouvoir exécutif dans l'œuvre législative, et du pouvoir législatif dans l'œuvre de l'exécutif; sauf à déterminer cette répartition, dans des conditions de nature à éviter la confusion des deux pouvoirs ou la domination de l'un par l'autre, et à maintenir chacun d'eux dans ses limites naturelles, en limitant, sans les paralyser, le pouvoir par le pouvoir.

12. Ce principe fondamental du nouveau droit public de la France date, comme ce droit lui-même, de 1789. La règle contraire de la concentration de tous les pouvoirs dans la main du roi formait l'un des traits essentiels de l'ancien régime. On avait bien vu jadis des réunions d'États généraux; mais leurs prérogatives n'étaient pas déterminées; leurs actes ne participaient pas de la souveraineté; ils étaient rarement convoqués, et depuis 1614, c'est-à-dire depuis cent soixante-quinze ans, ils avaient cessé de l'être.

C'est dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du 26 août 17891, dont le principe fut voté dans la nuit justement

1 Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation; nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émanc expres

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célèbre du 4 août, et qu'il faut bien se garder de confondre avec une autre déclaration de quatre ans postérieure, que l'Assemblée constituante a donné à la France son nouveau droit public, reposant sur le double principe de la souveraineté nationale et de la séparation des pouvoirs.

13. Onze Constitutions ou Chartes, tour à tour détruites, ont successivement organisé en France, depuis cette époque et jusqu'aux Lois constitutionnelles en vigueur qui forment la 12°, le principe de la séparation des pouvoirs législatif et exécutif, dans des conditions d'application bien différentes les unes des

autres.

Malgré le sentiment douloureux qu'éveille chez tous les cœurs dévoués à la patrie cette longue nomenclature de ruines successives et contraires, il faut la présenter ici, puisqu'elle offre à la fois l'histoire du principe de la séparation des pouvoirs dans notre pays, et le plus ample objet d'études pour la solution des vastes et périlleux problèmes que son application soulève.

Voici la nomenclature de ces Constitutions :

1° Constitution monarchique des 3-14 septembre 1791, votée par l'Assemblée constituante, faisait une application excessive par certains côtés, incomplète par d'autres, au détriment de l'exécutif, du principe de la séparation des pouvoirs, et plaçait entre les mains du Roi un pouvoir exécutif affaibli, en présence d'une Assemblée législative unique et toute-puissante.

2o Constitution républicaine du 24 juin 1793, semblait avoir la prétention d'organiser l'anarchie, et ne fut jamais mise à exécution par la Convention, surtout désireuse de répondre par elle au reproche d'usurpation.

3° Constitution directoriale du 5 fructidor an III (22 août 1795), votée par la Convention dans la dernière partie de son existence, organisait la forme républicaine en confiant le pouvoir exécutif

sément (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du 26 août 1789 servant de préambule à la Constitution de 1791, art. 3). Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution (art. 16).

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à cinq Directeurs, et le pouvoir législatif aux deux Conseils des Anciens et des Cinq-Cents.

4o Constitution consulaire du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), remettait la plénitude du pouvoir exécutif au Premier Consul, et répartissait la puissance législative entre ce premier magistrat de la République, assisté d'un conseil d'État et de ministres ne dépendant que de lui seul, le Tribunat chargé de la discussion des lois, le Corps législatif chargé de les voter, et le Sénat investi du droit de les annuler, ainsi que tous autres actes, pour cause d'inconstitutionnalité.

5 Sénatus-consulte organique du Consulat à vie des 14 et 16 thermidor an X (2 et 4 août 1802), et sénatus-consulte organique de l'Empire du 28 floréal an XII (18 mai 1804), l'un et l'autre modifiant la Constitution du 22 frimaire de l'an VIII en se combinant avec elle, ainsi que le sénatus-consulte du 19 août 1807 portant suppression du Tribunat.

6° Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, rattachée par son préambule au droit public antérieur et contraire à celui de 1789, faisait la répartition du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif entre le Roi et deux Chambres, l'une héréditaire, la Chambre des Pairs, l'autre élective par un suffrage très restreint, celle des Députés; cette Charte organisait en France le régime parlementaire et la monarchie constitutionnelle, avec la responsabilité ministérielle.

7° Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire du 22 avril 1815, organisait aussi le sytème parlementaire; son existence éphémère eut pour terme les désastres terminant la courte période dite des Cent-Jours et amenant le rétablissement de la Restauration et de la Charte de 1814.

8° Charte constitutionnelle du 14 août 1830, dégageait du mélange d'ancien régime introduit dans la Charte de 1814, le principe de la séparation des pouvoirs, le constituait sur des bases analogues à celles de la Charte précédente, mais avec des lois organiques proscrivant l'hérédité de la Chambre des Pairs, et formant un corps électoral plus étendu, bien qu'encore restreint à 200.000 électeurs.

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9 Constitution républicaine du 4 novembre 1848, qui avait investi un président de la République du pouvoir exécutif, et confié le pouvoir législatif à une Assemblée législative unique, l'un et l'autre directement issus du suffrage universel.

10° Constitution du 14 janvier 1852, d'abord modifiée par le sénatus-consulte organique de l'Empire du 7 novembre 1852, ratifié par le plébiscite des 21 et 22 novembre 1852, répartissait le pouvoir législatif entre l'Empereur, d'une part, assisté du conseil d'État et de ministres indépendants des chambres, et, d'autre part, le Sénat et le Corps législatif. Cette constitution ne donnait au Sénat que l'examen de la constitutionnalité des lois sans lui en attribuer ni la discussion ni le vote; mais elle lui réservait la législation constitutionnelle et la faculté d'intérpréter et de modifier la constitution par voie de sénatus-consultes. De là les sénatus-consultes des 2 février 1861, 31 décembre 1861, 18 juillet 1866, 14 mars 1867, qui ont apporté à cette constitution des modifications successives, et surtout celui du 8 septembre 1869, qui allait jusqu'à l'extrême limite des modifications qu'il était possible d'apporter à la Constitution de 1852, dans le sens du régime parlementaire, sans toucher à ses bases fondamentales, qu'un plébiscite pouvait seul transformer aux termes de son article 32.

11° Constitution du 21 mai 1870, promulguée en vertu du plébiscite du 8 mai, supprimait le pouvoir constituant du Sénat, en le transformant en chambre législative, comme les anciennes chambres des Pairs, organisait le régime parlementaire avec le partage de l'initiative législative entre l'Empereur, le Corps législatif et le Sénat, et la responsabilité des ministres. Cette constitution n'a duré que jusqu'à la révolution du 4 septembre 1870.

12o L'assemblée nationale élue en février 1871 a voté les Lois constitutionnelles de 1875 qui forment le droit constitutionnel actuel de la France avec les modifications qui leur ont été ultérieurement apportées (nos 38 à 54].

14. Le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose, par le motif que nous avons signalé [n° 11], à ce que le même homme

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