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PAYS D'ÉTATS ET PAYS D'ÉLECTIONS

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restés pour distinguer ces pays administrés par des officiers royaux, de ceux qui avaient conservé des assemblées provinciales; de sorte que les pays d'élections se sont trouvés ceux dans lesquels le principe électif n'avait plus d'application.

103. Les pays d'élections étaient les plus nombreux et formaient environ les deux tiers de la France; c'étaient les provinces de Normandie, Champagne, Ile-de-France, Maine et Touraine, Haut et Bas Poitou, Aunis et Saintonge, Angoumois, Limousin, Haute et Basse Guyenne, etc. Dans ces provinces, il y avait un système d'administration générale et centrale, aux mains de l'intendant, successivement devenu l'administrateur unique du pays au nom du roi. L'intendant des pays d'élections est le véritable ancêtre des préfets d'aujourd'hui, avec la plus grande somme d'attributions résultant pour lui de l'absence des principes de séparation des pouvoirs et des autorités. Dans chacune des élections dont sa généralité était composée, il avait pour agents des subdélégués, qui, aux termes de l'ordonnance du 15 avril 1704, et comme les sous-préfets de nos jours, « avaient le droit de référer et non « celui de décider »; ils étaient choisis par l'intendant et ne relevaient que de lui.

Dans les quatre grands pays d'états, qui avaient alors conservé leurs privilèges, Bretagne, Bourgogne, Languedoc, Provence, et dans les petits pays d'états, formant en tout l'autre tiers de la France, il y avait au contraire un système d'administration locale et provinciale, par les états de la province ou états provinciaux. C'était une assemblée d'évêques, de seigneurs et de représentants des villes, votant et faisant lever, sous leur propre autorité, l'impôt qui leur était demandé pour le roi, par l'intendant, réduit en droit, dans ces pays à certaines attributions de police, mais dont l'influence, en fait, ne laissait pas que d'être devenue très grande pendant le règne de Louis XIV et d'être restée telle.

104. L'uniformité et l'unité administratives ne purent non plus résulter de l'édit du roi du mois de juin 1787, complété par les règlements annoncés par son article 6 et dernier, qui établit

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CIRCONSCRIPTIONS ET UNITÉS ADMINISTRATIVES

dans tous les pays d'élections des assemblées provinciales, déjà essayées depuis 1778 dans le Berry et la haute Guyenne. D'après l'édit de 1787, la moitié des membres de l'assemblée provinciale était nommée par le roi, et cette première moitié choisissait l'autre. Ces assemblées provinciales ne se réunirent guère qu'une fois à la fin de 1787; et jusqu'à la division de la France en départements et l'établissement du régime départemental au milieu de 1790, on ne voit fonctionner, non sans beaucoup de désordres et de conflits avec les intendants, que les commissions intermédiaires, élues par les assemblées provinciales et destinées à les suppléer pendant l'intervalle des sessions.

105. Le territoire de la France est aujourd'hui divisé en 87 départements (en y comprenant le territoire de Belfort). 362 arrondissements, 2,899 cantons et 36,170 communes [nos 257 et 316.]

Ce mode de division est dû à l'Assemblée constituante. La création des départements substitués aux anciennes provinces est l'œuvre des lois du 22 décembre 1789-8 janvier 1790 et du 6 mars 1790, savamment conçue par Sieyès, justement appelé « l'auteur de toutes les circonscriptions de la France 2 ». Ainsi a disparu la division des pays d'états et des pays d'élections; l'uniformité de législation administrative a été réalisée, et l'unité administrative rendue possible. Le législateur de 1789, et, plus tard, celui de l'an VIII, firent de ces divisions du territoire la base de l'organisation administrative de la France.

Le département, l'arrondissement et la commune forment autant de circonscriptions administratives; le canton, circonscription judiciaire, est seulement utilisé par diverses lois administratives. Division fondamentale du territoire français depuis 1790, le département n'est pas seulement une circonscription. administrative générale, il est en outre la base de toutes les

1 « Il sera fait une nouvelle division du royaume en départements, tant pour la représentation que pour l'administration. Ces départements seront au nombre de 75 à 83 (Loi du 22 décembre 1789-8 janvier 1790, sur la constitution des Assemblées administratives, art. 1o) ».

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Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire, t. 1, p. 154.

CRÉATION DES DÉPARTEMENTS

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divisions spéciales provenant des diverses branches des services publics: commandements militaires, arrondissements maritimes, archevêchés et évêchés, ressorts judiciaires, académies, conservations forestières. Il se subdivise en arrondissements, et ceux-ci

en communes.

Comme l'élection d'avant 1789, et le district de 1790, l'arrondissement de l'an VIII n'est qu'une simple circonscription, dont l'administration est absorbée dans celle du département. Nous avons vu, en effet, qu'il n'y a que trois unités administratives ayant chacune leur administration propre : l'État, le département et la commune. Après avoir étudié dans l'État, première unité administrative, l'administration centrale, nous devons étudier dans le département, seconde unité administrative, l'administration départementale, avant de parler de la commune, troisième unité administrative, et de l'administration communale. Mais il résulte des principes que nous venons de poser que l'administration des arrondissements est comprise dans celle du département. La tradition historique que nous venons de rappeler prouve qu'entre la province ou le département, d'une part, et la commune, d'autre part, il n'y a pas place pour un organisme intermédiaire nanti d'une administration propre, qu'il se nomme l'élection, le district ou l'arrondissement, et nous ajoutons le canton.

106. La création du département, malgré les critiques dont elle a été l'objet, est une des grandes œuvres de l'Assemblée constituante. Mais nous ne saurions en dire autant de l'orga

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1 Voir la célèbre Introduction placée par de Cormenin en tête de son Droit administratif, pages in et iv: La division de la France en 86 départements effaça les démarcations des provinces... Il n'y eut plus de Normandie, de Languedoc, de Picardie, de Bretagne, d'Auvergne... Il n'y eut plus qu'une France. » — M. Mignet, dans son remarquable éloge de Sieyes, qui est mort membre de l'Académie des sciences morales et politiques, rend aussi un éclatant hommage à l'institution départementale, en même temps qu'à Sieyès: « Il remania la France de fond en comble en brisant les anciennes provinces qu'il fit diviser en départements. Ce changement contenait la révolution du territoire et de l'administration. Quoique cette mesure ait été présentée à l'Assemblée constituante par Thouret, elle était

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ORGANISATION DÉPARTEMENTALE DE 1790

nisation administrative qu'elle lui avait donnée. Cette organisation était entachée d'un double vice.

En premier lieu, elle confondait dans les mêmes mains les trois fonctions administratives, plus haut distinguées [nos 55 à 57] l'action, la délibération et la juridiction administratives. Elle n'aperçut pas le principe de distinction, qui triomphera plus tard, que si « délibérer est le fait de plusieurs, agir << est le fait d'un seul ».

En second lieu, l'Assemblée constituante faisait abus, dans l'organisation administrative comme ailleurs, du principe électif, en faisant élire tous les organes, sans distinction, de l'administration départementale. Bien que voulant énergiquement l'unité administrative de la France, le législateur de 1790 n'avait pas entrevu, comme le fit la Convention, que, s'il convient de faire nommer par les électeurs les représentants des intérêts locaux, les représentants du gouvernement dans les départements doivent y être nommés par lui seul.

107. D'après la loi du 22 décembre-8 janvier 1790, chaque administration de département, composée de 36 membres élus, se divisait << en deux sections (art. 20), l'une sous le titre de conseil de département, l'autre sous celui de directoire de département ». La première de ces sections correspondait en partie à nos conseils généraux, et la seconde, le directoire « toujours en activité pour l'expédition des affaires (art. 22) », avait presque entièrement les pouvoirs, non seulement de nos commissions départementales, mais aussi des préfets. C'est pourquoi on les a justement appelées des administrations collectives. Composés de

l'œuvre de Sieyès. Il y tenait comme à une propriété exclusive; et je me souviens que, lui ayant demandé, après 1830, s'il n'était pas le principal auteur de la division de la France en départements. << Le principal!

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«me répondit-il vivement et avec un juste orgueil, mieux que cela, le seul!» (Mémoires de l'Institut de France. Académie des sciences morales et politiques, p. XXXIX.) A la suite de Cormenin, Thiers et Mignet, nous sommes loin de ceux qui ont prétendu de nos jours que cette « idée de génie », celte « œuvre de Sieyes », « qui contenait la révolution du territoire et de l'administration, était l'idée de l'ancienne royauté!

D

1. Moniteur, année 1789, p. 79.

DIRECTOIRES ET PROCUREURS SYNDICS

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8 membres élus par l'assemblée de département et du président de cette assemblée qui avait le droit de les présider (art. 23), ces directoires réunissaient toutes les fonctions administratives: l'action, la délibération, la juridiction, mêlées et confondues dans leurs mains. Ce sont ces intendances ou ces préfectures à 8 et même 9 têtes, « délibérant perpétuellement et n'agissant jamais, » suivant le mot énergique de M. Thiers, qui avaient toute l'autorité dans le département. Les procureurs généraux syndics, dont nous allons parler, n'en avaient même pas les apparences, et encore moins la réalité.

De même, dans chaque district, il y avait une administration de 12 membres, élisant un directoire de 4 membres, les uns et les autres << entièrement subordonnés aux administrations et direc«toires de départements (art. 28) ».

108. La loi du 22 décembre 1789-8 janvier 1790, dans sa deuxième section, articles 14 à 18, instituait un procureur général syndic de département et des procureurs syndics de district. Ils étaient élus pour quatre ans, non immédiatement rééligibles. Ils avaient << séance aux assemblées générales des administrations sans voix délibérative »; mais, ajoutait l'article 17, « il ne pourra y être fait aucuns rapports sans qu'ils en aient eu communication, ni être pris aucune délibération sur ces rapports sans qu'ils aient été entendus ». L'article 18 dispose encore: «< Ils auront de même séance aux directoires, avec voix consultative, et seront, au surplus, chargés de la suite de toutes les affaires ».

La loi en forme d'instruction du 8 janvier 1790, sur la formation des assemblées représentatives et des corps administratifs, prend soin de dire que les procureurs syndics « auront séance en un bureau placé au milieu de la salle et en avant de celui du président (§ 5) »; la même disposition ajoute : « ils n'agiront d'ailleurs sur aucun objet relatif aux intérêts et à l'administration du département ou du district que de concert avec le directoire ». Enfin l'article 22 de la loi du 22 décembre 1789 dispose

Histoire du Consulat et de l'Empire, t. I, p. 150.

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