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d'en faire un puissant moyen d'instruction, non-seulement en coordonnant leurs richesses, mais en les augmentant, et surtout en les appropriant aux besoins spéciaux des populations. J'essaierai, en même temps, dans l'intérêt général de la science, de tirer de la poussière et de mettre en circulation les trésors inconnus qu'elles ne peuvent manquer de recéler.

Déjà, à diverses époques, le gouvernement a demandé à MM. les Prẻfets des renseignements sur les bibliothèques publiques de leurs départements. Tous n'ont pas répondu à cet appel, et ceux qui ont fourni des renseignements ne sont jamais entrés dans des détails assez circonstanciés. L'enquête a donc été incomplète, ou, pour mieux dire, elle n'a pas eu lieu; le moment est venu de l'accomplir, et ce sont les éléments de cette enquête que je réclame de vous, Monsieur le Préfet. Je vous prie, en me répondant dans le plus bref délai possible, de vous conformer aux instructions que je vais vous tracer.

Ainsi que je viens de vous le dire, mon but est à la fois d'améliorer la situation présente des bibliothèques, de les rendre utiles aux villes qui les possèdent, et de mettre au jour les richesses qui y sont enfouies. Je vous entretiendrai d'abord de ce qui est à faire pour l'amélioration des bibliothèques.

Un fait m'est signalé presque partout: c'est que la plupart des bibliothèques ne sont fréquentées que par un très petit nombre de lecteurs. Cette indifférence peut bien provenir en partie de l'indifférence pour l'étude elle-même; mais elle a encore une autre cause, savoir : le défaut d'harmonie entre les besoins, la direction d'esprit des lecteurs, et le genre d'ouvrages qu'on peut leur offrir en lecture. Dans telle ville où l'on étudie la médecine, la bibliothèque n'est riche qu'en théologie; dans telle autre où fleurissent les sciences exactes, on n'a que des livres de belles-lettres. On me cite des ports de mer qui ne possèdent pas un livre d'hydrographie, pas une carte marine, des villes manufacturières qui manquent totalement de traités de chimie et de mécanique.

La première chose à faire est de corriger, autant qu'il se pourra, par un système d'échange bien entendu, cette répartition vicieuse des richesses littéraires locales. Dans la plupart des bibliothèques, les mêmes ouvrages et souvent les mêmes éditions existent deux ou trois fois. Il y a plus: on trouve dans quelques-unes les premiers volumes d'ouvrages dont un autre dépôt possède les derniers. Enfin, il est certaines éditions de luxe, certaines raretés typographiques qui n'ont aucun prix dans telle bibliothèque obscure, tandis qu'elles seraient facilement échangées contre d'excellents ouvrages moins précieux sous le rapport typographique.

Les conseils municipaux, quelles que fussent leur intelligence et leur bonne volonté, ne pourraient accomplir seuls et par eux-mêmes ce diffi

cile travail; l'intervention de l'administration supérieure est indispensable pour rendre les échanges vraiment utiles, non-seulement parce que les communes ne sauraient consommer ces sortes d'aliénations sans y être dûment autorisées, mais parce que l'autorité centrale est seule en position d'imprimer à une telle opération l'unité de direction sans laquelle on n'obtiendrait aucun succès.

Lorsqu'une fois, par l'application de ce système d'échanges, le fonds actuel des bibliothèques aura été mieux réparti et approprié aux convenances des diverses localités, le gouvernement, bien instruit de leurs besoins, pourra distribuer utilement et sans hésitation les livres dont il fait don chaque année aux bibliothèques des départements. Aujourd'hui ne connaissant ni les livres qu'elles possèdent, ni ceux dont elles manquent, ni ceux qui leur attireraient des lecteurs, il risque de se tromper sans cesse dans cette distribution. La même mesure qui améliorera la situation présente des bibliothèques leur assurera dans l'avenir une amélioration progressive.

Voici, Monsieur le Préfet, quels documents sont necessaires à l'administration supérieure pour mener à bien, de concert avec l'autorité locale, cette utile opération.

Chaque bibliothécaire devra, dans le plus bref délai, m'adresser par votre entremise, une copie de son catalogue.

Vous savez, Monsieur le Préfet, que le décret du 8 pluviôse an II prescrit aux bibliothécaires de dresser un inventaire exact des livres qui leur sont confiés. Je dois donc supposer que cette formalité indispensable a été partout accomplie ; je le dois d'autant plus que des circulaires ministérielles ont, à plusieurs reprises, rappelé et recommandé les sages dispositions de ce décret.

Toutefois, je sais que dans plus d'une ville, s'il existe un catalogue, le bibliothécaire seul peut en avoir la clẻ, faute par lui de s'être conformé, dans la rédaction, aux divisions bibliographiques consacrées par l'usage. Il existe des catalogues faits par ordre de tablettes, d'autres par ordre alphabétique, d'autres par ordre d'entrée dans la bibliothèque. Tous ces modes sont généralement défectueux. Il est désirable que tous les catalogues soient dressés dans la forme généralement adoptée, c'est-à-dire par ordre de matières, et conformément aux cinq grandes divisions : Theologie, Jurisprudence, Sciences et Arts, Belles Lettres et Histoire. Vous comprendrez d'ailleurs aisément que, pour le travail général d'ẻchanges dont je viens de vous entretenir, il importe qu'il y ait, autant que cela se pourra, conformité dans les documents qui seront consultés. Veuillez donc, Monsieur le Préfet, si les catalogues de votre département n'étaient pas dressés selon la forme convenable, vous concerter avec les autorités municipales pour qu'ils soient refaits ou rectifiés. Mais

je ne me dissimule pas que ce travail entraînera nécessairement des lenteurs et probablement des frais auxquels certaines communes ne pourront suffire seules, du moins dans un court délai. En attendant donc que les catalogues soient complétés ou réformés, et que vous m'en ayez transmis des copies, je vous invite, Monsieur le Préfet, à m'envoyer provisoirement un état sommaire du nombre des volumes que possède chaque bibliothèque de votre département, et à m'indiquer de quelles espèces d'ouvrages elle est le plus abondamment pourvue.

Soit que vous m'envoyiez cet état, soit que vous m'adressiez la copie du catalogue même. vous voudrez bien ajouter à cet envoi :

1o La liste exacte de tous les ouvrages doubles ou triples;

2o La liste des ouvrages dépareillés ;

3o La liste des ouvrages donnés depuis vingt-cinq ans à la bibliothèque par le gouvernement. On notera particulièrement ceux qui, publiés par livraisons, sont demeurés incomplets, soit que l'ouvrage ait cessé de paraître, soit que l'envoi des livraisons ait été interrompu par un motif quelconque ;

4o La liste des raretės typographiques, éditions des XV et XVIe siècles, éditions sur vélin, ouvrages à figures et autres livres de prix;

5o Une note sur les dépenses et les ressources de chaque bibliothèque, sur les sommes affectées à la conservation et à l'achat des livres, sur les chances d'accroissement du fonds de la bibliothèque par donation, succession ou autre voie;

6o Des renseignements sur le nombre habituel des lecteurs, sur leur âge et leur profession, sur les ouvrages qu'ils demandent de préférence, et enfin, l'indication des livres qu'on présumerait devoir amener à la bibliothèque un plus grand nombre de lecteurs studieux.

Je vous prie, Monsieur le Préfet, de veiller par vous-même à ce que toutes ces indications me soient données.

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Je passe maintenant au second objet des instructions que je vous adresse, c'est-à dire à la recherche des richesses scientifiques ou littẻraires qui demeurent ignorées dans les bibliothèques ou les dépôts des départements,. et qu'il serait intéressant de mettre en lumière.

A très peu d'exceptions près, ce ne sera pas dans les livres imprimés que pourront être faites des découvertes de ce genre; sauf quelques pamphlets, quelques histoires locales, quelques éditions de province, il est très peu de livres imprimés qui ne soient connus de nos savants bibliographes, et, sous ce rapport, il n'y a pas de résultats importants à espérer.

Mais il n'en est pas de même des manuscrits. Jusqu'à présent aucun travail général et complet n'a été entrepris sur les manuscrits des bibliothèques des départements; il est urgent de s'y livrer.

Les manuscrits des bibliothèques des départements sont de plusieurs natures les uns purement ecclésiastiques; ce sont des bibles, des missels, des rituels, des psautiers, des évangiles, etc. Les manuscrits de cette sorte ne peuvent être précieux que par leur plus ou moins grande antiquité, par la beauté de l'écriture, la qualité du vélin, la richesse des enluminures; ils appartiennent à l'histoire de l'art comme les sculptures de nos vieilles cathédrales. Il peut être du plus haut intérêt de publier des fac-simile qui confirmeraient des exemples déjà connus, ou révéleraient des faits entièrement nouveaux.

Il est une seconde classe de manuscrits dont les bibliothèques des départements sont moins richement dotées, mais qu'il importe également d'étudier: ce sont les manuscrits d'ouvrages classiques, grecs ou romains. On me signale des manuscrits de Térence, de Quintilien, de Suétone, de Tite-Live, de Cicéron; des glossaires grecs, des manuscrits palimpsestes, etc. Ces manuscrits ont-ils été collationnés avec assez de soin et par des hommes assez habiles? ont-ils même jamais été collationnés? peut-on espérer d'y trouver quelques fragments inconnus des chefs-d'œuvre de l'antiquité? C'est ce dont il faudra s'assurer.

Vient enfin une troisième classe de manuscrits, la plus importante sans doute; je veux parler des manuscrits qui ont rapport à notre histoire nationale. Il n'est point de bibliothèque de département qui ne possède, sinon des volumes, au moins quelques pièces inédites, relatives, soit à l'histoire de la province, soit à celle de telle ou telle ville, de telle ou telle famille, de tel ou tel individu. Quelquefois ces manuscrits ne sont pas anciens; ce sont des copies de chartes, de journaux, des recueils d'anecdotes, écrits par quelque ecclésiastique, par quelque amateur patient et laborieux. Ces pièces, quelle que soit leur date, n'en ont pas moins leur prix. Tout est à consulter, tout est à recueillir en ce genre. Sans doute les bibliothèques de France ne nous fourniront pas toutes, comme celle de Besançon, l'immense et précieuse correspondance d'un cardinal Granvelle, ou comme celle de Poitiers, les recherches et les compilations d'un dom Fonteneau; mais partout il se trouvera quelques matériaux plus ou moins incomplets qu'il importera de réunir.

Un tel travail serait imparfait si l'on se bornait à faire des recherches dans les bibliothèques publiques; il est d'autres dépôts, savoir: les archives départementales et communales, qui sont peut-être encore plus riches en documents de ce genre. Rien n'est plus désirable qu'un dépouillement exact de ces archives. Je sais qu'il n'est peut-être pas quinze villes en France où ce dépouillement soit seulement ébauché; je sais que, pour mener à fin une telle entreprise, il faudra non-seulement faire quelques dépenses, mais attendre plusieurs années. Quoiqu'il en soit, il faut commencer et témoigner dès à présent le ferme dessein d'accomplir cette

œuvre.

Veuillez donc, Monsieur le Préfet, aviser aux mesures nécessaires pour faire déchiffrer et cataloguer les archives départementales et communales de votre département. Si vous n'avez pas sous la main des personnes capables, ou si tel autre obstacle vous arrête, vous voudrez bien m'en avertir; je m'appliquerai à vous transmettre promptement, ou du moins à préparer les moyens de vous seconder. En attendant, je vous prie de prescrire à tous les bibliothécaires de votre département de m'adresser un catalogue des manuscrits de tout genre confiés à leur garde. Ce catalogue ne devra pas être un simple inventaire, mais une revue, une liste raisonnée, contenant des indications sommaires sur les matières traitées dans les manuscrits, sur le nombre des feuilles, sur la conservation et la beauté des caractères, vignettes, etc., etc.

Tels sont, Monsieur le Préfet, les renseignements dont j'ai besoin pour atteindre le but que je me propose, et qui doit avoir, pour les villes en particulier, comme pour la science en général, de si précieux résultats. J'attache une grande importance à ce qu'ils me soient exactement et promptement adressés. Je ne doute pas que MM. les Maires et les conseils municipaux ne soient disposés à vous seconder: ne négligez rien pour leur faire apprécier tous les avantages que les localités retireront d'un semblable travail, et pour vous assurer de leur concours. De mon côté, convaincu qu'il est de l'intérêt général du pays que le zèle local soit encouragé et soutenu dans toutes les entreprises de ce genre, j'examinerai si quelques mesures législatives ne seraient pas nécessaires à cet effet, et j'espère que le Roi m'autorisera, s'il y a lieu, à les provoquer. Recevez, etc.

GUIZOT.

VI.

Instruction relative à l'établissement de la situation des bibliothèques communales.

31 juillet 1837.

Monsieur le Préfet, vous avez reçu en novembre 1833, une circulaire, émanée du Ministère de l'instruction publique, par laquelle vous étiez invité à transmettre au Ministère des renseignements détaillés sur la situation des bibliothèques communales du département que vous administrez.

Plusieurs questions exigeaient une réponse précise; et de l'ensemble des documents demandés sur tous les points du royaume, un travail géné

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