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Les ministres patriotes (c'était le nom qu'on leur donnait) voulurent justifier l'opinion qu'on avait d'eux en appuyant la formation du camp de Paris. Méprisés d'abord par la cour, ils finirent par lui devenir odieux.

C'est de ce moment que l'on vit paraître ces fameuses pétitions revêtues les unes de vingt mille signatures, les autres de huit mille (1), et qui toutes s'opposaient aux mesures prises par l'Assemblée nationale, l'avilissaient en employant tantôt les formes respectueuses, tantôt les élans de cette sotte vanité, fruit trop cru d'un vain espoir de succès. Ces pétitions, qui laissèrent une trace de ressentiment si profonde et si prolongée dans l'âme des patriotes, respiraient l'amour le plus ignoble de la monarchie, étaient remplies de basses adulations pour la personne du roi et semblaient plutôt les registres d'inscription d'une armée contre-révolutionnaire que l'expression du vœu des individus qui les présentaient.

La maison domestico-militaire du roi, composée en très grande majorité d'anciens gardes du corps, d'émigrés rentrés et de ces héros du 28 février 1791 connus sous le nom de chevaliers du poignard, indisposait le peuple par son insolence, insultait à la représentation nationale et annonçait hautement des dispositions liberticides. La découverte que fit le Comité de surveillance des complots de ces valets du prétoire provoqua leur dissolution. Le décret qui l'ordonnait fut sanctionné (2), mais le lendemain le roi fit afficher une proclamation injurieuse à l'Assemblée nationale, remplie de calomnies dégoûtantes contre elle,

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(1) Il y a ici une confusion de dates. La pétition dite des « huit mille », dirigée contre le décret du 8 juin, relatif à la formation d'un camp sous Paris fut présentée à l'Assemblée législative le 10 juin 1792. (Moniteur, XII, 632.) Mais la pétition dite des « vingt mille », qui était une protestation contre la journée du 20 juin, ne fut présentée à l'Assemblée que le 1er juillet. (Ib., XIII, 20. Cf. Mortimer Ternaux, Histoire de la Terreur, I, 117, et II, 6.) (2) Le 29 mai 1792, l'Assemblée législative licencia la garde soldée de Louis XVI, ordonna qu'elle serait renouvelée sans délai, conformément aux lois, et que, jusqu'à ce renouvellement, la garde nationale parisienne ferait le service auprès du roi. Louis XVI sanctionna ce décret le 31 mai.

d'éloges outrés aux plus zélés partisans du despotisme incorporés dans cette garde et de ces tours de phrases en usage parmi les traîtres adroits qui prétend à telle interprétation que veut donner le lecteur (1). Des ministres encroûtés de vices, couverts du mépris public, remplacèrent ceux en qui le peuple avait confiance (2). Leur conduite opposée à celle de leurs prédécesseurs, l'affectation qu'ils mettaient à servir le roi au détriment de la nation ne firent qu'aigrir les patriotes. L'état déplorable où se trouvait la patrie, livrée à ses plus cruels ennemis et n'ayant pour toute ressource qu'une Assemblée nationale sans force, sans considération, divisée en elle-même, s'avilissant aux yeux de l'Europe par des débats petits et haineux, humiliée par une cour impudente et ne répondant à ses mépris qu'en redoublant de bassesses auprès d'elle, sans énergie, sans puissance et sans volonté stable (3). L'Assemblée nationale enfin amena cet excès de maux qui effraye l'esprit par la perspective des plus grands désor

(1) Je n'ai pas retrouvé de proclamation de Louis XVI à cette date. (2) C'est le 13 juin que Louis XVI notifia à l'Assemblée le renvoi de Servan, de Roland et de Clavière. Dumouriez échangea le portefeuille des affaires étrangères contre celui de la guerre; mais il démissionna le 15 juin. Voici comment le ministère fut composé du 13 juin au 10 août 1792: Affaires étrangères : de Naillac (13 juin); de Chambonas (17 juin); Bigot de Sainte-Croix (1er août); Guerre : Dumouriez (13 juin); Lejard (16 juin); d'Abancourt (23 juillet); Contributions publiques : Beaulieu (18 juin); Delaville-Leroulx (30 juillet); Justice: Duranthon (23 avril); de Joly (3 juillet); Intérieur: Mourgue (13 juin); Terrier de Monciel (18 juin); Champion de Villeneuve (21 juillet); Marine: de Lacoste (15 mars); Du Bouchage (21 juillet 1792).

(3) Ce fut cette Assemblée qui consuma un temps précieux pour régler le cérémonial et l'étiquette entre elle et le roi, qui passa des séances entières pour décider si les députations au roi seraient composées de vingt, de trente ou de soixante membres, et qui n'a pas rougi d'avoir entretenu l'Europe de la porte aux deux battants, dont un seul s'ouvrait pour les députations. Ce fut cette Assemblée qui, au lieu de prendre des mesures de vigueur contre les ennemis de la liberté, passa niaisement son temps à entendre des rapports déclamatoires qui tous se terminaient par... des messages au roi. Enfin ce fut cette Assemblée qui n'osa pas punir un soldat insolent qui eut l'audace criminelle d'insulter à la représentation nationale dans le lieu de ses séances. O honte! ô crime! (Note de Chaumette.) On remarquera que la phrase à laquelle se rapporte cette note est inachevée.

dres, et voilà ce qui réveilla le courage abattu des amis de la liberté, ce qui provoqua de leur part une démarche éclatante (le 20 juin), démarche qui dans la suite servit de prétexte à de nouvelles trahisons de la part de la cour, trahisons si atroces et si ouvertement tramées qu'elles provoquèrent la chute d'un trône qui n'avait plus alors pour gardes que le crime, pour défense le crime, et pour soutien encore le crime!

II

JOURNÉE DU 20 JUIN

En ce temps-là, les patriotes formaient sur la terrasse des Feuillants une haie épaisse. Là, des hommes inspirés annonçaient les grandes destinées de la France. D'autres, plus dans le sens des événements, peignaient la cour et l'Assemblée nationale, l'armée des frontières et celle de Paris sous leurs véritables couleurs. Les esprits s'aigrissaient dejour en jour et les groupes populaires prenaient le caractère sérieux, sombre avant-coureur des mouvements et des agitations politiques. Le général La Fayette écrivait lettres sur lettres à l'Assemblée nationale au nom de son armée. Mille tripots étaient ouverts aux conspirateurs. Le département de Paris, composé de nobles ci-devant grands (1) et de leurs plats familiers, la municipalité, une grande partie des juges de paix, le dirai-je? la majorité de la garde nationale, tout son état-major, appartenaient à la cour, lui servaient de cortège et d'aboyeurs dans les fréquentes promenades qu'elle faisait alors et dans les diffé

(1) Chaumette pense évidemment à Talleyrand et à La Rochefoucauld. Mais, dans l'administration départementale de Paris, composée de trentesix membres, les nobles n'étaient qu'en très faible minorité. Cf. Étienne Charavay, Assemblée électorale de Paris, préface, p. xxx; et Adolphe Schmidt, Tableaux de la Révolution française, t. I, p. 10.

rents spectacles dont les directeurs étaient assez plats pour l'aduler par des allusions forcées que beuglaient leurs saltimbanques dans ces temples de la débauche et de l'immoralité. Un ministre que la cour avait conservé et qu'elle avait trouvé selon son cœur avait, à force d'intrigues, supplanté ses collègues, et, puisqu'il faut nommer les masques, Dumouriez était le traître (1), les supplantés étaient Roland, Clavière et Servan (2). Dumouriez, disje, étonné de la contenance des amis de la liberté, après s'être vendu à la cour voulut se vendre au peuple. Pour la cour, il culbuta les ministres appelés patriotes, et, pour le peuple, il prit le bonnet rouge aux Jacobins. Tout ce manège ne lui réussit pas. Les intrigues de La Fayette le chagrinèrent; les dispositions du peuple l'effrayèrent; les conseils de Brissot, Condorcet, Vergniaud, Guadet et Gensonné, le déterminèrent. Il donna sa démission, avec sans doute la promesse de la part de ses conseillers, qui furent aussi ceux de La Fayette (3), de lui

(1) Allusion au maintien de Dumouriez dans le ministère après le renvoi de ses trois collègues. Voir plus haut, p. 6, note 2.

(2) D'après cette conduite de Dumouriez envers les froides idoles Roland, Clavière et Servan, que faisaient parler et mouvoir Brissot et les députés de la Gironde, quel est celui qui ne sera pas étonné de l'intimité de ces quatres personnages lors de la révolution du 10 août et de l'invasion de la Belgique? Ceux qui croyaient au vertueux Petion, à l'intrépide Guadet, à l'éloquent Vergniaud, au dialecticien Gensonné, au plus que vertueux Roland, au pauvre et pur Clavière et au célèbre Brissot. (Note de Chaumette.) (3) M. Condorcet écrivait alors dans la Chronique, no 681, ces propres mots : « M. de La Fayette est-il l'ennemi de la liberté? Non, mais la préférence constante qu'il accorde aux intrigants sur les honnêtes gens, aux gens adroits sur les hommes éclairés, aux valets complaisants sur des amis même indulgents, mais fermes, lui a fait commettre bien des fautes, et celle-ci (sa lettre à l'Assemblée nationale) est la plus grave de toutes. Il lui reste un moyen de la réparer, c'est de rompre hautement, publiquement, sans aucune réserve avec les agents imbéciles ou fripons qui en ont été les complices. Cela ne veut-il pas dire en bon français : Si La Fayette veut se jeter dans notre parti, nous le sauverons, il nous servira et nous le servirons? Les mêmes hommes ont tenu depuis la même conduite avec Dumouriez ; et vous, hommes faibles et lâches qui ne croyez pas au parti de ces hommes-là, qu'avez-vous à répondre? (Note de Chaumette.) Ce n'est pas dans le no 681 de la Chronique de Paris, mais dans le no 172, p. 682 (19 juin 1792), que se trouve ce passage. La citation de Chaumette est d'ailleurs exacte, sauf deux ou trois mots, que nous avons rétablis.

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