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motion de M. de Volney, et qu'on ne verra plus dans l'assemblée des magistrats qui plaident la cause des parlemens, des nobles qui stipulent pour la noblesse, des prêtres qui ne se croient députés que du clergé, des membres des communes qui feignent de nous défendre pour que l'on nous trouve sans défense; enfin des hommes avides d'argent, qui font des journaux pour leurs motions, et des motions pour leurs journaux.

« Convaincu, disait Marat le 27, que l'assemblée nationale ne peut plus rien faire pour la nation dont elle a lâchement abandonné les intérêts..., je crois qu'elle ne saurait être trop tôt dissoute...; et afin que la nation ne soit pas exposée deux fois au malheur de remettre ses pouvoirs à des mains infidèles..., je nommerai, tout haut, ceux qui lui ont manqué de foi; je les peindrai par leurs œuvres; je les poursuivrai sans relâche jusqu'à ce que l'opinion publique les ait couverts d'opprobre, forcés de s'éloigner du maniement des affaires, et réduits à la honte de cacher leurs noms. › Sur le numéro où ces phrases étaient conte nues, Marat fut cité à comparaître devant les représentans de la commune. Il fut admis le 28 au soir, par l'ordre de l'assemblée, le maire lui posa la question suivante: Avait-il quelques griefs à articuler contre quelques membres, dans les différentes parties de l'administration? - On l'invita à signer sa réponse. Marat répondit en dénonçant un des représentans qui n'était pas même domicilié et logait en hôtel garni. Cependant il signa qu'il n'avait aucune inculpation à adresser à l'assemblée qui portât sur un de ses membres en particulier. Cette réponse ambiguë lui épargna l'arrestation dont il était menacé, et dont on lui avait donné un avant goût en le faisant attendre dans une salle à part, pendant qu'on délibérait sur son sort (procès-verbal de la commune). Quant au personnage dénoncé, il ne reparut plus à la

commune.

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Le même jour, les patrouilles saisissaient les numéros de l'Ami du peuple, et la garde nationale faisait, selon l'expression de Loustalot, sous le commandement de M. le duc d'Aumont, une campagne au Palais-Royal. «Le jardin était fort tranquille,

lorsque, vers les dix heures, des détachemens armés sont entrés de tous côtés et se sont jetés avec violence à travers les groupes de causeurs.... Le public a murmuré hautement, et des murmures il a passé aux huées et aux sifflets. Une patrouille arrête un citoyen qui ne disait rien : aussitôt on assure que c'était M. l'abbé Roben, écrivain distingué.... On se soulève en sa faveur, on repousse la patrouille, on résiste à l'oppression, et le citoyen est

relâché.

Le jardin ressemblait assez à un champ de bataille.... Le duc d'Aumont, assis vis-à-vis le café de foi; des aides-de-camp, courant d'une patrouille à l'autre.... Elles vont, elles viennent ; elles font, au milieu des groupes, des évolutions si précipitées, qu'elles en sont ridicules.... Une patrouille présente la baïonnette!... Un garde national qui n'était point de service arrête un causeur parce qu'il parlait mal d'une patrouille qui n'était point de son district. Jouissez, aristocrates! s'écrie Loustalot, en terminant, le moment de votre triomphe n'est pas éloigné. › Les promeneurs répondaient à ces mesures par une seule observation, mais menaçante. Nous méritons notre sort, disaient-ils; pourquoi avons-nous placé à notre tête des ducs, des comtes, des barons et des agens de change? Nous avons parmi nos chefs de divisions, jusqu'à l'auteur du mémoire des princes: il y a dans le corps des officiers, plus de soixante joueurs de l'Hôtel d'Angleterre. (Révolutions de Paris, XII, 25.)

A cette occasion, on fit une caricature avec cette épigraphe : Le patrouillotisme chassant le patriotisme du Palais-Royal. Les soldats étaient représentés marchant un bandeau sur les yeux et les baionnettes croisées. Ils étaient conduits par des monstres coiffés de mitres, et chargés de cordons et de croix.

Les mouvemens attaqués avec tant de brutalité, étaient cependant suffisamment justifiés par les bruits dont nous avons parlé. Déjà même on s'occupait des moyens de surveiller la cour. La chronique du 25 invitait le roi et la reine à venir passer l'hiver à Paris ; elle proposait que l'assemblée nationale tint ses séances au Louvre, dans le grand salon des tableaux.

On ne doit pas s'étonner, d'ailleurs, que ce bruit venu on ne sait d'où, et probablement répandu par le club breton, remuât à ce point les esprits. Il remettait en question tout ce qu'on avait fait depuis quelques mois, et effrayait les imaginations d'un avenir tout contraire à celui pour lequel on avait déjà couru tant de dangers. Alors, comme toujours, les hommes qui étaient les plus alarmés et les plus méfians, étaient ceux qui s'étaient le plus compromis dans les événemens révolutionnaires précédens. Voici au reste une partie de l'article du Moniteur, inscrit sous la date du 28.

Sur le projet d'évasion du roi.

[La terreur d'une guerre civile vint se mêler aux angoisses toujours croissantes de la faim. Un projet vaste, et digne de ses auteurs, avait été conçu par les chefs de l'aristocratie. Il ne s'agissait de rien moins que d'enlever le roi, de le transférer dans une place de guerre, où l'on aurait, en son nom, levé l'étendard de la révolte contre la nation, lancé des manifestes contre ses représentans, et rallié tous les anciens agens du despotisme, les ministres, les généraux, les parlemens, les autres cours souveraines, et ces légions d'esclaves de tous les ordres, également ligués contre le monarque qu'ils flattent et qu'ils volent, et contre le peuple qu'ils avilissent et qu'ils oppriment.

La ville de Metz fut choisie pour le chef-lieu de l'entreprise et le centre des opérations. Sa nombreuse garnison, l'avantage de sa position sur les frontières et ses imprenables remparts, le courage chevaleresque de son commandant et son attachement aux anciens principes, tout déterminait en sa faveur la préférence des conjurés. Une échelle de troupe fut disposée sur la route, ou très à portée, et des enrôlemens secrets dans Paris et les provinces augmentaient tous les jours les forces et l'audace de la ligue anti-patriotique.

Le 14 septembre, M. d'Estaing écrivait ce qui suit à la reine. Brouillon de lettre de M. d'Estaing à la reine.

Mon devoir et ma fidélité l'exigent....... Il faut que je mette aux pieds de la reine le compte du voyage que j'ai fait à Paris.

On me loue de bien dormir la veille d'un assaut ou d'un combat naval. J'ose assurer que je ne suis pas timide en affaires. Elevé auprès de M. le dauphin qui me distinguait, accoutumé à dire la vérité à Versailles dès mon enfance, soldat et marin, instruit des formes, je les respecte sans qu'elles puissent altérer ma franchise ni ma fermeté......... Eh bien! il faut que je l'avoue à votre majesté, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit.

> On m'a dit dans la société, dans la bonne compagnie ; et que serait-ce juste ciel, si cela se répandait dans le peuple! On m'a répété que l'on prend des signatures dans le clergé et dans la noblesse. Les uns prétendent que c'est d'accord avec le roi, d'autres croient que c'est à son insu. On assure qu'il y a un plan de formé; que c'est par la Champagne ou par Verdun que le roi se retirera ou sera enlevé; qu'il ira à Metz. M. de Bouillé est nommé. Et par qui? par M. de la Fayette, qui me l'a dit tout bas à table chez M. Jauge. J'ai frémi qu'un seul domestique ne l'entendit. Je lui ai observé qu'un mot de sa bouche pouvait devenir un signal de mort. Il est froidement positif M. de la Fayette..... Il m'a répondu qu'à Metz, comme ailleurs, les patriotes étaient les maîtres, et qu'il valait mieux qu'un seul homme mourût pour le salut de tous. M. de Breteuil, qui tarde à s'éloigner, conduit le projet. On accapare l'argent, et l'on promet de fournir un million et demi par mois. M. le comte de Mercy est malheureusement cité comme agissant de concert.

› Voilà les propos. S'ils se répandaient dans le peuple, leurs effets sont incalculables. Cela se dit encore tout bas. Les bons esprits m'ont paru épouvantés des suites; le seul doute de la réalité peut en produire de terribles. Je suis allé chez M. l'ambassadeur d'Espagne, et c'est là, je ne le cache point à la reine, où mon effroi a redoublé, M. de Fernand-Nunès a causé avec moi de ces faux bruits, de l'horreur qu'il y avait à supposer un plan impossible, qui entraînerait la plus désastreuse et la plus humiliante des guerres civiles, qui occasionnerait la séparation ou la perte totale de la monarchie, devenue la proie de la rage intérieure, de

l'ambition étrangère, qui ferait le malheur irréparable des personnes les plus chères à la France.

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Après avoir parlé de la cour errante, poursuivie, trompée par ceux qui ne l'ont pas soutenue lorsqu'ils le pouvaient, et qui voudraient (1) encóre, qui veulent actuellement l'entraîner dans leur chute par-là, et m'ètre affligé d'une banqueroute générale, devenue dès-lors indispensable et de toute épouvantable (2), je me suis écrié que du moins il n'y aurait d'autre mal que celui que produirait cette fausse nouvelle, si elle se répandait, parce qu'elle était une idée sans aucun fondement. M. l'ambassadeur d'Espagne a baissé les yeux à cette dernière phrase. Je suis devenu pressant, et il est enfin convenu que quelqu'un de considérable et de croyable lui avait appris qu'on lui avait proposé de signer une association. Il n'a jamais voulu me le nommer. Mais soit par inattention, soit pour le bien de la chose, il n'a point heureusement exigé une parole qu'il m'aurait fallu tenir.

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› Je n'ai pas promis de ne dire à personne ce fait; il m'inspire une grande terreur que je n'ai jamais connue : ce n'est pas pour moi que je l'éprouve. Je supplie la reine de calculer dans sa sagesse tout ce qui pourrait arriver d'une fausse démarche : la pre mière coûte assez cher. J'ai vu le bon cœur de sa majesté donner des larmes au sort des victimes immolées. Actuellement, ce serait des flots d'un sang versé inutilement qu'on aurait à regretter. Une simple indécision peut être sans remède. Ce n'est qu'en allant au-devant du torrent, ce n'est qu'en le caressant, qu'on peut parvenir à le diriger en partie.

› Rien n'est perdu. La reine peut reconquérir au roi son royaume; la nature lui en a prodigué les moyens : ils sont seuls possibles. Elle peut imiter son auguste mère : sinon je me tais.

(1) H y a en marge de l'original ces autres mots tuellement l'entraîner par (dans) leur chute, et qui s'ôteraient à eux<< Qui voudraient acmêmes, dans leur aveuglement ou par leur fureur, toutes les grandes espérances qui leur restent. Après m'être affligé d'une banqueroute gé nérale, devenue dès-lors.....»

(2) Il y a ici quelque chose d'omis, mais on doit se rappeler que ce n'est qu'un brouillon de lettre.

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