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On n'oserait le soutenir. A qui donc s'en prendre, sinon à ceux qui parlent et écrivent pour elle? Il faut le dire, la presse est coupable de tous les maux qui affligent notre patrie. Les prévilégiés à qui la publicité appartient n'auraient apporté à l'examen et à la discussion des affaires nationales que le dégré de réflexion et de probité qu'on ne refuse pas, sans se déshonorer, à la plus mince décision en affaires privées, que la révolution serait finie parmi nous. Ce n'est point avec des mots vagues, ni avec des phrases pompeuses que l'on détermine un peuple à agir. La croyance de chacun étant l'unique moyen pour les autres de comprendre la langue qu'il parle, quiconque ne déclare pas clairement le principe général au nom duquel il affirme ou il nie dans les questions secondaires, ne peut engendrer que doute et confusion. Une position nette, en fait de doctrine, expose, il est vrai, à des inconvéniens qu'on ne brave pas sans un certain courage. Lorsqu'on prend un parti, des ruptures, des séparations, et même souvent des scandales en sont la conséquence; mais aussi il se fait alors un discernement qui nous montre nos véritables amis, et nos véritables ennemis. A quoi sert d'ailleurs cette fausse sagesse, cette habileté à ne pas se compromettre, par laquelle, en évitant de se prononcer sur le point principal, et en se bornant à des opinions de détail, on semble réunir un plus grand nombre de partisans? Ou ne réfléchit pas que cet accord est une vaine apparence, et, que les plus petites affirmations des hommes tirant toute leur valeur de la certitude absolue à laquelle ils se rangent, on n'est réellement ensemble qu'à la condition d'une certitude commune. L'enseignement de la presse sera funeste ou stérile tant que ses divers organes ne formuleront pas en termes clairs et précis le symbole de leurs croyances respectives. Professez donc franchement le matérialisme, ou le panthéisme, vous qui y croyez; aussi franchement que nous professons le spiritualisme. Que votre dogme soit la lumière même de vos écrits, que le peuple puisse voir et toucher le lien qui unit vos conclusions de pratique sociale à vos axiomes primordiaux. Que lui font des disputes et des controverses sur la multitude des cas particuliers dont se compose l'histoire politique de chaque jour, puisque vous ne placez pas d'abord sous ses yeux la mesure fixe et immuable dont vos raisonnemens et vos jugemens sont l'application fidèle ? Ce que le peuple attend de vous, ce sont les articles de la loi souveraine où la règle et la sanction des actes soient nettement exprimées. Donnezlui donc, avant toutes choses, le principe de certitude qui vous dirige vous-mêmes, et dans lequel vous devez lui enseigner à se connaître‚à connaître son passé, son présent et son avenir.

L'Europe ne sortira du cercle des révolutions que lorsqu'on aura popularisé, dans les nations modernes, la marque infaillible dont elles ont besoin pour distinguer le vrai d'avec le faux, le bien d'avec le mal. C'est parce que nous sommes persuadés qu'il faut un criterium, que ce criterium est la parole la plus simple à la fois et la plus fondamentale de l'Evangile, que nous appelons de tous nos vœux l'instant où

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chacun proposera dogmatiquement le sien, quel qu'il soit, certains que nous sommes du triomphe du christianisme sur les affirmations contraires. Pour faire cesser la lutte entre ceux qui gouvernent les nations, et ceux qui veulent les gouverner, et ceux qui veulent qu'elles se gouvernent elles-mêmes, il ne s'agit que de rappeler celles-ci au principe moral qui les a engendrées et les anime. Or, ce principe est la loi de Jésus-Christ dans ce qui la constitue essentiellement, dans ce qui en assure l'indéfectibilité. A quoi bon, en effet, la loi, si elle n'eût été revêtue d'un signe certain et immuable qui servît à la connaître ellemême, à connaître le but qu'elle assigne, le chemin qui y conduit, les directeurs qui le prennent? Ce signe permanent, devant lequel une nation d'origine chrétienne peut à chaque heure juger son gouvernement, renverser le mauvais, trouver le bon, juger ses institutions et se juger elle-même, est contenu dans ces deux mots : fraternité et dévouement. Partout où cette légende sera de nouveau invoquée, partout où la pensée d'un devoir commun expliquera ce que l'on doit entendre par la souveraineté du peuple, là on rentrera aussitôt dans les voies civilisatrices. Avant ce temps, les nations laisseront s'agiter des passions et des prétentions rivales, mais elles ne s'y mêleront pas. L'Espagne nous offre en ce moment un triste exemple de ce que fait un peuple lorsqu'il assiste à des dissensions civiles sans posséder une vérité nationale incontestable, pour lui aider à distinguer le bon parti d'avec le mauvais. La cause révolutionnaire servie par les intérêts bourgeois, combattue par les intérêts carlistes, ni hautement condamnée, ni hautement approuvée par le clergé, qui du reste a perdu, dans ce pays, le droit de rien condamner et de rien absoudre, cette cause est un fait inintelligible pour la grande majorité des Espagnols. Spectateurs complétement désintéressés, ils font place aux combattans, et ne voient pas plus de moralité dans la guerre actuelle que dans une course au taureau. Afin que ce peuple se lève et décide la victoire, n'est-il pas mille fois évident qu'il lui faut un but, un but écrit dans la loi où réside à ses yeux le précepte et la sanction des actes, et selon laquelle il jugera ceux du clergé, ceux des nobles, ceux des bourgeois et les siens propres? N'est-ce pas le comble du ridicule que de conseiller à un peuple d'agir avant d'avoir fait un appel à la certitude d'où toutes ses convictions émanent, avant d'avoir démontré que c'est elle qui prescrit les efforts et les sacrifices demandés ?

Chose bizarre! nos publicistes de toute espèce répètent, depuis six ans, que nous sommes à une époque de doute et d'incrédulité, ce qui fait visiblement, de la nécessité d'une certitude, la grande question contemporaine; et pas un d'eux cependant n'aborde encore cette question. Discuter sans poser authentiquement un principe, se permettre d'avancer une opinion sur quoi que se soit, avant d'en avoir et d'en manifester une à l'égard du problème qui domine toute polémique; prétendre, en un mot, se diriger soi-même et diriger les autres, sans critérium, nous parait caractériser une excessive ignorance, ou une

ne

excessive mauvaise foi. On se trompe d'ailleurs en disant d'une manière absolue que nous sommes à une époque de dovte et d'incrédulité. Il est au contraire absolument vrai que personne ne doute et que tout le monde croit, car tout le monde vit et agit, ce qui serait impossible dans l'hypothèse d'une incrédulité réelle. Ni la classe gouvernante, ni les hommes de plume et de parole qui l'attaquent ou la défendent, doutent de leurs intérêts. L'égoïsme est le dogme commun de tous les prétendants au pouvoir qui luttent en première ligne. Là, de quelque nom `qu'on s'appelle, on appartient à la théorie du droit; seulement chacun travaille à faire prévaloir sa conséquence particulière, et cette conséquence c'est sa passion, ses appétits, sa vanité ou même sa fantaisie; cette conséquence, c'est lui. Bien différente en cela des gouvernants et de leurs compétiteurs immédiats, la classe gouvernée, le peuple, croit à ses obligations et doute de ses droits. On a eu beau lui dire qu'il était souverain, on n'a pas réussi à l'en convaincre, parce que la souveraineté qu'on lui a enseignée et qu'on lui enseigne, étant antérieure et supérieure à tout devoir, l'instinct social repousse invinciblement une telle énormité. Le peuple ne connaît qu'une seule loi digne de ce nom, celle qui définit le bien et le mal, et il sait qu'il ne J'a pas faite. Il sait que la morale est la base et la source de toutes les obligations humaines, et que si Dieu n'en était pas l'auteur, s'il n'était pas en cela le législateur suprême des hommes et leur juge en dernier ressort, la morale ne serait qu'un vain mot. Au reste, la doctrine de la souveraineté du peuple formulée par Rousseau, appliquée par la Convention, et continuée de nos jours par tous les révolutionnaires qui se tiennent en dehors de notre école, n'est pas la seule qui place le pouvoir humain au dessus de la loi divine. Il n'y a pas une explication de la souveraineté, et nous n'en exceptons pas même celle du clergé catholique, qui ne soit fondée sur une aussi monstrueuse erreur. Ainsi les éclectiques proclament la souveraineté de la raison de chacun, ce qui exclut toute loi morale antérieure et supérieure au moi spirituel de l'homme; les matérialistes la font consister dans la fatalité des instincts, des besoins et des appétits, ce qui renverse toute notion de morale.

Le droit divin professé par le clergé catholique implique le même vice, car cette théorie ne fait pas résider essentiellement la souveraineté dans le devoir d'obéir à la loi de Dieu, mais dans le droit d'interpréter cette loi. Or, il est facile de voir que, si le droit d'interprétation était illimité, la révélation directe de Dieu serait parfaitement illusoire. L'interprétation a pour limites infranchissables les fondemens mêmes de la foi, qui sont d'une part, l'incarnation du fils de Dieu et tout ce qui s'y rapporte directement, et que l'église primitive a reconnu inaccessible à l'interprétation, en le réservant sous le nom de mystère; et d'autre part, les préceptes formels et immuables que Jésus-Christ a tracés lui-même, non point pour qu'ils fussent interprétés, mais pour qu'ils fussent affirmés et obéis. Ces préceptes étant imposés à tous les hommes, sans distinction de savant ni d'ignorant, il fallait que tous

pussent également les comprendre, comme tous devaient également les pratiquer. C'est en cela que Jésus-Christ est la parole qui éclaire tout homme venant dans ce monde. Si, en effet, en tant qu'elle nous fait connaître Dieu, la société, nous-mêmes, et nos devoirs, la parole de Jésus-Christ n'était pas aussi universelle dans la lettre qu'elle est universelle dans le sens, aussi claire dans l'une qu'impérative dans l'autre, il s'ensuivrait que le révélateur serait seulement la lumière des interprètes, et que les interprètes seraient la lumière du genre humain; il s'ensuivrait que, pour tous ceux qui ne sont ni le pape, ni les évêques, l'interprétation, et non point la révélation, serait le verbe de Dieu. Comment alors servirions-nous Dieu en esprit et en vérité, puisqu'il nous serait personnellement impossible de le comprendre? Comment notre obéissance à sa loi serait-elle intelligente et libre, c'est-à-dire morale, puisqu'elle serait forcément aveugle et passive, c'est à-dire un fait de l'ordre brut? Qu'on ne s'y trompe pas; le principe de l'autorité fondée sur la prérogative de l'interprétation ne diffère point du principe de la force, et voilà pourquoi le clergé catholique, en adoptant ce système, s'est trouvé naturellement l'allié de tous les pouvoirs temporels absolus. Mais, indépendamment de l'absurdité grossière que recèle une doctrine si manifestement anti-chrétienne, il suffira toujours de citer les affirmations de Jésus-Christ, dont l'évidence est incontestable, pour obliger la hiérarchie ecclésiastique à reconnaître qu'au-dessus du successeur de Pierre, qu'au-dessus des successeurs des apôtres, comme au-dessus du plus humble fidèle, brille un incorruptible et identique soleil, la même origine, le même commandement et la mêrne justice. Dieu a dit aux hommes par la bouche de son fils je suis votre père commun; je ne fais acception de personne; vous êtes tous frères; le mal, c'est l'égoïsme; le bien, c'est l'abnégation de soi-même; le plus grand, dans une société de frères, doit être le serviteur de tous; chacun recevra selon ses œuvres. Et voilà l'origine, le commandement et la justice, la réponse entière et catégorique, aux trois grandes questions qui doivent être résolues pour l'homme d'une façon ou d'une autre, parce qu'elles renferment la loi de ses actes, lesquelles questions sont : d'où venons-nous? que sommes-nous? que deviendrons-nous? Par la clarté et par la rigueur dont elle a exprimé la loi des actes, la parole de Dieu est donc absolument et directement souveraine. Quiconque l'affirme est organe de la souveraineté; quiconque la pratique est agent de la souveraineté; et parce que tous doivent affirmer et pratiquer la loi, tous doivent être les organes et les agens de la souveraineté. Ainsi pas un seul droit qui n'ait șa légitimité dans le devoir commun d'obéissance à Dieu, de telle sorte que la mesure de l'obéissance soit la mesure des droits. Ainsi l'autorité de la hiérarchic catholique, le pouvoir spirituel, le plus grand pouvoir dans la société chrétienne, procède nécessairement de la plénitude d'obéissance; et son droit d'interpréter lá foi dans ce qui peut s'y rencontrer de vague, d'équivoque ou d'implicite, lui vient de ce qu'il en affirme et en pratique mieux que

personne les commandemens arrêtés, simples, explicites. Ce fat à ceux de ses disciples qui remplissaient ces conditions que Jésus-Christ conféra l'apostolat, et ceux-ci le transmirent à d'autres de la même manière, si bien que le titre primitif de ce pouvoir étant l'accomplissement du devoir, toutes les fois qu'il est mis en question, le titre, qu'il lui faut nécessairement produire afin de se prouver lui-même contre ceux qui le nient, est le même qui servit à le créer, qui servit à le transmettre, et qui seul peut le maintenir efficacement lorsqu'il est contesté. En un mot, lorsque des chrétiens accusent le pape et les évêques de n'être que des intrus sans qualité pour enseigner et pour diriger, et refusent de leur obéir, le pape et les évêques doivent établir d'abord et avant tout qu'ils sont parfaits chrétiens, leur droit étant une conséquenee inniable de ce caractère.

La civilisation moderne à été précipitée dans les voies révolutionnaires parce que les pouvoirs mis en question ont constamment résisté, en montrant leur droit et en l'appuyant par la force, à ceux qui leur reprochaient de ne pas accomplir le devoir commun, c'est-à-dire de ne pas avoir de titre, Les chefs catholiques ont donné cet exemple. Attaqués les premiers, ils ont faussé la discussion, et ont égaré les peuples à leur suite dans un sophisme où ils périraient indubitablement s'ils n'en étaient bientôt retirés. Au droit d'interprétation, invoqué par la hiérarchie cléricale, on a répondu par le droit de libre examen, ce qui suppose, en effet, en principe, que le droit d'interprétation est le terrain de la souveraineté, et que ce qu'il s'agit de savoir, c'est si tous ont ce droit, ou bien s'il est la prérogative de quelques-uns. De cette controverse radicalement sophistique, attendu que la question était ma posée, sont sorties toutes les mauvaises théories sociales qui nous font obstacle aujourd'hui. Ce dont il s'agissait, c'était ce que chaque chrétien était tenu d'affirmer et de faire, sans la moindre interprétation, sans le moindre examen. Ce dont il s'agissait, c'était le devoir commun par lequel on était ensemble; car, du moment où la personne du pouvoir était rejetée, restait uniquement le lien social lui-même entre les hommes qui demandaient la réforme, et la hiérarchie qu'ils condamnaient. Il n'y avait alors, en effet, pour les accusateurs et pour les accusés, d'autre loi que la parole souveraine du Christ, et d'autre juge que la société des fidèles. Jean Hus et Jérôme de Prague, ainsi que nous l'avons souvent démontré dans nos préfaces antérieures, se conformèrent à cette logique. On détourna la question, et on les brûla vifs. Luther prit la question telle que Rome la posait, et voilà trois siècles que le criterium moral est absent de la grande discussion, qui concluera fatalement, si l'on n'y prend garde, à courber l'Europe sous le despotisme russe, ou à la dissoudre dans l'anarchie absolue. Pendant la durée de cette discussion, un seul acte vraiment social a été accompli dans le monde chrétien. En 1795, la France, se sauvant elle-même, au nom de la fraternité universelle, contre les ennemis de ce principe, fut le seul organe et le seul agent de la souve

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