Page images
PDF
EPUB

› dit Labédoyère, les Français vont tout faire pour votre ma» jesté; mais il faut aussi que votre majesté fasse tout pour eux.

Plus d'ambition, plus de despotisme; nous voulons être libres › et heureux. Il faut abjurer, sire, le système de conquête et de » puissance qui a fait le malheur de la France et le vôtre. Si je réussis, répond Napoléon, je ferai tout ce qu'il faudra faire pour remplir l'attente de la nation: son bonheur m'est >> plus cher que le mien. C'est pour la rendre libre et heureuse › que je me suis jeté dans une entreprise qui pouvait ne pas

[ocr errors]

avoir de succès, et me coûter la vie; mais nous aurions eu la › consolation de mourir sur le sol de la patrie. » Cependant le général Marchand, commandant pour le roi, se disposait à soutenir le siége de Grenoble. L'armée impériale se répand sous les murs de la ville : les soldats ont l'arme renversée; ils marchent gaiement, et sans ordre militaire, chantant des refrains nationaux, criant vive la France! vive Napoléon! vive Grenoble! Cependant la garnison ne se prononçait pas; mais elle fut bientôt entraînée par la population, qui du haut des remparts répétait les cris de joie et de fraternité des assiégeans. Les habitans se sont précipités aux portes de la place; ils les brisent, en relèvent quelques débris, et, au bruit des fanfares, les apportent à Napoléon: A défaut des clefs de la bonne ville de Grenoble, di› sent-ils, voilà les portes! C'est ainsi que Napoléon fit son entrée le 7 à Grenoble. Il trouvait là de nombreux renforts, des armes, de l'artillerie et des munitions. Il y séjourna le 8, reçut les autorités civiles, militaires et religieuses. « J'ai su, leur dit> il, que la France était malheureuse; j'ai entendu ses gémisse› mens et ses reproches je suis venu avec les fidèles compa›gnons de mon exil pour la délivrer du joug... Mes droits à moi » m'ont été déférés par la nation, par la volonté unanime des › Français; ils ne sont autres que les droits du peuple. Je viens » les reprendre, non pour régner, le trône n'est rien pour moi ; › non pour me venger, je veux oublier tout ce qui a été dit, fait, › écrit depuis la capitulation de Paris; mais pour vous restituer >> les droits que les Bourbons vous ont ôtés, et vous arracher à la

› glèbe, au servage et au régime féodal, dont ils vous mena› cent....... J'ai trop aimé la guerre; je ne la ferai plus; je laisserai » mes voisins en repos : nous devons oublier que nous avons été les maîtres du monde. Je veux régner pour rendre notre belle › France libre, heureuse et indépendante, et pour asseoir son i bonheur sur des bases inébranlables. Je veux être moins son souverain que le premier et le meilleur de ses citoyens. Le même jour il passa la garnison en revue; elle était de six mille hommes; les soldats avaient repris leur cocarde tricolore: C'est là même, répétaient-ils en passant devant Napoléon, c'est la même que nous portions à Marengo, à Austerlitz! « C'est parmi » võus, leur disait l'empereur, que j'ai fait mes premières » armes. Je vous aime tous comme d'anciens camarades: je vous.

ai suivis sur le champ de bataille, et j'ai toujours été content › de yous. Mais j'espère que nous n'aurons pas besoin de vos › canons; il faut à la France de la modération et du repos. L'ar

mée jouira dans le sein de la paix du bien que je lui ai déjà » fait, et que je lui ferai encore. Les soldats ont retrouvé en moi leur père; ils peuvent compter sur les récompenses qu'ils ont » méritées. › Le 9, Napoléon partit de Grenoble, à là tête de huit mille hommes, pour se rendre à Lyon. Ah! s'écriait-il en › voyant toujours la foule se grossir sous les enseignes tricolores,

je retrouve les sentimens qui, il y a vingt ans, me firent saluer » la France du nom de la grande nation! Oui, vous êtes encore ⚫ la grande nation, et vous le serez toujours! Napoléon he pouvait plus douter de la réussite de son entreprise; dans la même journée du 9 il reprit d'une manière officielle l'exercice du pouvoir en proclamant trois décrets impériaux : l'un ordonnait d'intituler les actes publics et de rendre la justice en son nom à dater du 15 mars; les deux autres appelaient et organisaient les gardes nationales des cinq départemens qui protégeaient son retour. Il adressa au département de l'Isère l'adresse qui suit:

NAPOLEON, PAR LA GRACE DE DIEU ET LES CONSTITUTIONS DE L'EMPIRE, EMPEREUR DES FRANÇAIS, etc., etc., etc.

» Aux habitans du département de l'Isère.

» Citoyens, lorsque, dans mon exil, j'appris tous les malheurs qui pesaient sur la nation, que tous les droits du peuple étaient méconnus, et qu'il me reprochait le repos dans lequel je vivais, je ne perdis pas un moment. Je m'embarquai sur un frêle navire; je traversai les mers au milieu des vaisseaux de guerre de différentes nations; je débarquai sur le sol de la patrie, et je n'eus en vue que d'arriver avec la rapidité de l'aigle dans cette bonne ville de Grenoble, dont le patriotisme et l'attachement à ma personne m'étaient particulièrement connus. » Dauphinois ! vous avez rempli mon attente.

J'ai supporté, non sans déchirement de cœur, mais sans abattement, les malheurs auxquels j'ai été en profe il y a un an; le spectacle que m'a offert le peuple sur mon passage m'a vivement ému. Si quelques nuages avaient pu arrêter la grande opinion que j'avais du peuple français, ce que j'ai vu m'a convaincu qu'il était toujours digne de ce nom de grand peuple dont je le saluai il y a plus de vingt ans.

[ocr errors]

Dauphinois! sur le point de quitter vos contrées pour me rendre dans ma bonne ville de Lyon, j'ai senti le besoin de vous exprimer toute l'estime que m'ont inspirée vos sentimens élevés. Mon cœur est tout plein des émotions que vous y avez fait naître; j'en conserverai toujours le souvenir.-Signė NAPOLEON.» Relation des événemens qui se sont passés à Grenoble depuis le 4 mars, insérée dans le Moniteur du 21 mars.

[ocr errors]

Une estafette qui avait traversé la ville dans la nuit du 3 au 4 mars, avait attiré et occupé l'attention publique. Un courrier arrivé du 4 ne fit que l'exciter plus vivement encore, et le lendemain 5 il fut connu de tout le monde que l'empereur avait débarqué le 1er mars au soir dans le voisinage de Fréjus ; qu'il était accompagné de sa fidèle garde; qu'il avait d'abord occupé Grasse, et qu'il s'était dirigé, dès le 2, vers les Hautes-Alpes. Des avis successifs ne permirent plus de douter que S. M. ne dût faire de notre ville le lieu de son premier séjour. Une garnison nombreuse y était requise. Des braves, qui devaient trouver des compagnons de gloire dans cette même garde qui ramenait Napoléon, hésitèrent d'abord à y reconnaître des ennemis, et cette première pensée de leurs cœurs devint la règle de leur conduite. Quelques tentatives pour engager dans une entreprise à laquelle ceux qui étaient chargés de donner des ordres ne s'associaient peut-être qu'à regret furent inutiles, et ne parurent point obtenir de succès. La garnison fut augmentée; le 7e et le 11e régimens de ligne arrivèrent le 7 de Chambéry; le 4e des hussards entra peu de temps après dans la ville, quittant sa garnison de Vienne, La population entière se porta sur les remparts et dans les lieux publics, entraînée par ses vœux et par ses espérances.

L'empereur était à la Mure dès le 6 au soir; le 7, ses avant-postes occupaient Vizille de bonne heure : ce dernier bourg n'étant qu'à trois lieues de Grenoble, on ne douta pas que l'entrée de S. M. n'eût lieu ce même jour.

Elle tardait trop au gré de ses soldats, et ses soldats coururent au-devant d'elle; à quatre heures après midi, le 7e régiment sortit de la ville, ayant à sa tête le colonei Henri de Labédoyère, qui courut offrir à l'empereur sa personne ⚫ et son régiment.

[graphic]
[ocr errors]

Une partie du 5o avait déjà rejoint S. M. dans la même journée, à cinq lieues

en avant de la ville, et le reste de la garnison ne tenait plus : la nuit arriva, et le résultat de ces événemens paraissait devoir encore être attendu jusqu'au lendemain, lorsqu'à huit heures et demie une avant-garde de lanciers polonais se présente à la porte de Bonne, qui était fermée, et demande qu'elle soit ouverte. Les troupes qui occupaient le rempart répondent par les cris de vive l'empereur! la porte s'ouvre; l'avant-garde entre; tous les citoyens accourent à la lueur des flambeaux, et presque aussitôt l'empereur paraît, seul, à la tête et en avant de son armée..

Une foule immense se précipite sur son passage; tout se mêle, soldats et citoyens, et tous confondent leurs cris et leurs sentimens dans l'enthousiasme qu'inspire la présence du souverain. S. M. alla occuper l'hôtel des Trois-Dauphins, que la foule n'a cessé d'entourer, en faisant retentir l'air des cris de son allégresse.

M. le maire de la ville et plusieurs autres fonctionnaires se présentent aussitôt à S. M. Au même instant, on distribua des proclamations de S. M., qui furent répandues dans tous les quartiers de la ville.

Paris. Du 9.-Les nouvelles parvenaient à Paris d'heure en heure; la vérité était connue du gouvernement; elle transpirait dans le peuple, et pénétrait jusque dans les places de guerre situées au nord de la France. Les citoyens contenaient difficilement leur joie; l'armée n'attendait qu'un signal. Par un concours singulier de circonstances, une conjuration militaire, dont le but était d'obtenir justice du roi contre le ministère et contre les émigrés, allait éclater au moment de l'arrivée de Napoléon, et il est certain que cette conjuration était indépendante de son entreprise. Le gouvernement laissait proclamer des mensonges, comme s'il eût voulu se tromper lui-même sur l'imminence du danger. Les premiers succès des troupes impériales étaient constans, et l'on publiait: Bonaparte et ses bandes ne méritent pas le déploiement des forces extraordinaires qui se portent de toutes parts contre eux; partout les troupes les ont reçus avec horreur. En butte au juste mépris des hommes, ils se cachent dans les montagnes, manquent de tout, et déjà la défection les divise et les disperse; les hommes égarés reviennent; le reste ne tardera pas à expier une tentative aussi follement criminelle... > On continuait de publier des adresses au roi, sans se rappeler que depuis long-temps ces protestations plus ou moins franches n'étaient que de forme et sans conséquence. On simulait le dévouement afin de l'exciter. Des groupes de vieillards, de femmes et d'enfans, d'autres soldés par la police, parcouraient du ma

[ocr errors]
[graphic]

tin au soir la circonférence du palais des Tuileries, criant vive le roi! vivent les princes! Les mousquetaires et tous les officiers de la maison du roi se donnaient beaucoup de mouvement; mais leur empressement et leur étalage militaire, loin de provoquer l'imitation, excitaient des répugnances ou des rires. Toutes les démarches de ces hommes nouveaux semblaient de ridicules parades. Cependant les membres des deux chambres qui se trouvaient à Paris s'étaient réunis. Il n'y avait que soixante-neuf députés. On décida néanmoins de rédiger des adresses. Elles furent présentées au roi le 8. Dans celle de la Chambre des Députés on remarquait cette phrase: « Quelles que soient les fautes commises, ce n'est pas le moment de les examiner. Nous devons tous nous réunir contre l'ennemi commun, et chercher à rendre cette crise profitable à la sûreté du trône et à la liberté publique. Dans l'adresse de la Chambre des Pairs, on remarquait cette autre : « Vous assemblez autour de vous vos fidèles Chambres. La nation n'a point oublié qu'avant votre heureux retour - l'orgueil en délire osait les dissoudre, et les forcer au silence dès qu'il craignait leur sincérité. Telle est la différence du pouvoir légitime et du pouvoir tyrannique. » L'adresse commençait bien, mais elle finissait mal. La Chambre offrait de concourir à l'établissement de lois plus sévères si la gravité des circonstances et la sûreté du peuple français l'exigeaient,

Le 9, le roi rendit deux ordonnances, dont les considérans méritent d'être connus:

• Louis, etc.

10- «Nous avons fait connaître à la France entière l'entreprise formée sur un des points de notre royaume par un homme dont le nom seul rappelle les malheurs de la patrie.-- Nous comptons sur les sentimens patriotiques de tous les Français, sur leur attachement inviolable au trône, à leur souverain légitime, à cette Charte constitutionnelle qui fixe à jamais leur destinée; nous comptons sur le dévouement d'une armée dont la gloire a retenti dans toute l'Europe; et si, par suite de la paix, cette armée a subi une réduction qui ne nous a pas permis d'employer activement tous les braves officiers qui en font partie, et dont l'existence a été l'objet constant de notre sollicitude', le moment est venu où, laissant un libre cours aux sentimens d'honneur et de courage qui les animent, nous les appelons à en donner de nouvelles preuves. A ces causes, sur le rapport de notre ministre secrétaire d'état de la guerre (Soult), nous avons ordonné, etc.— Art. 1or. Tous les militaires en semestre et en congé limité,

[ocr errors]
« PreviousContinue »