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DU 1er AU 20 MARS.

Le 5 mars, on apprit aux Tuileries la nouvelle du débarquement de Bonaparte au golfe Juan. Ce fut M. de Blacas qui en instruisit le roi; il ne voyait dans cette tentative qu'un essai désespéré, une entreprise folle qui allait perdre pour toujours un compétiteur redoutable; Louis XVIII en jugea autrement. Il assembla aussitôt son conseil; l'on reconnut unanimement que danger était immense, qu'il fallait recourir de suite aux mesures extrêmes, et enfin, tenter, par tous les moyens, de ramener l'opinion, seule force, avec laquelle on pût combattre Napoléon ; la seule sur laquelle sans doute il comptait lui-même. Nous ferons connaître ces mesures à leur date; nous allons, nous transportant tantôt de Paris sur la route de Napoléon, et tantôt des bivouacs impériaux aux Tuileries, donner un journal des événemens rapides qui signalèrent le commencement du mois de mars. Il nous a semblé que cette méthode était la plus convenable pour tout recueillir jusqu'aux anecdotes.

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Le 25 février il y eut bal à Porto-Ferrajo dans l'ile d'Elbe. Le 26 (1), à une heure après midi, la garde impériale et les officiers de la suite de Napoléon reçoivent l'ordre de se tenir prêts à partir les dispositions nécessaires avaient été prises à l'avance dans le port. A cinq heures on se rend sur le rivage au cri de vive l'empereur; à huit, un coup de canon donne le signal du départ; à neuf, l'empereur et sa suite ont quitté l'ile d'Elbe. Le sort en est jeté! s'était écrié Napoléon en mettant le pied sur son navire. Il montait le brick de guerre l'Insconstant, de vingt-six canons; il avait avec lui Drouot, Cambronne, Bertrand, et quatre

(1) Nous suivrons le plus souvent, dans ce journal, la narration qui est insérée dans le tome IV de la collection de Lallement. Elle est empreinte des sentimens de l'époque même. C'est un caractère que nous désirons conserver jusqu'à un certain point, d'autant plus que nous donnerons ensuite la relation qui fut insérée dans le Moniteur de Gand.

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cents grenadiers: trois autres bâtimens légers portaient environ deux cents hommes d'infanterie, autant de chasseurs corses, cent chevau-légers polonais, un bataillon de flanqueurs : en tout onze cents hommes. Jusque-là Napoléon avait gardé son secret : Grenadiers, dit-il alors, nous allons en France, nous allons à Paris!-Vive la France! vive l'empereur! répondirent les soldats. La traversée ne fut pas sans difficultés. La petite flotte, tourmentée par les vents, resta quatre jours en mer, au milieu des croisières anglaises et françaises. A chaque moment on craignait d'être surpris et arrêtés. Napoléon, qui ne voyait là qu'une chance comme une autre, profita de ce temps pour dicter ses proclamations à l'armée et aux Français: ce fut également lui qui cta, sur son brick, l'adresse de la garde impériale à l'armée. Officiers, soldats, tambours et gens d'équipage prenaient la plume pour multiplier ces pièces.

Le 1er mars. A trois heures de l'après midi, la flottille de l'ile d'Elbe entre dans le golfe de Juan, quitte le pavillon blanc parsemé d'abeilles, et reprend la cocarde tricolore aux cris de vive la France! vive les Français! A cinq heures Napoléon met pied à terre, et son bivouac est établi dans un champ d'oliviers: Voilà › un heureux présage, dit-il; puisse t-il se réaliser!... Je vois > d'ici l'embarras dans lequel vont se trouver ceux qui m'ont » tourné le dos..., leurs efforts pour sauver les apparences, et attendre prudemment le moment de se déclarer pour le parti » du plus fort... Mais que vont devenir les patriotes jusqu'à mon >> arrivée à Paris! Je tremble que les Vendéens et les émigrés ne

les massacrent. Malheur à eux s'ils y touchent! Je serai sans ✔ pitié. » — Aussitôt le débarquement Napoléon avait chargé un capitaine et vingt-cinq hommes de s'introduire dans Antibes: ils devaient se présenter comme des déserteurs de l'île d'Elbe, reconnaître les dispositions de la garnison, et chercher à se la rendre favorable. Un zèle imprudent fit échouer cette tentative. Le général Corsin, commandant pour le roi à Antibes, fit lever le pont, et retint prisonniers le capitaine et les vingt-cinq hommes. Napoléon, fâché de ce contre-temps, mais n'en redoutant

pas les conséquences, se met en marche avec sa troupe à onze heures du soir, et se rend à Cannes, où il reçoit du peuple un accueil qui le console d'Antibes.

Du 2 au 6 mars.- De Cannes, Napoléon se porte à Grasse, à Barême, à Digne; le 5 il entre à Gap, et ne garde plus auprès de sa personne que dix hommes à cheval et quarante grenadiers. Parmi les autorités, quelques unes tentent de résister, d'autres restent incertaines, ou se retirent; mais partout le peuple se donne avec enthousiasme à l'empereur. A Saint-Bonnel les habitans, voyant le petit nombre de sa troupe, eurent des craintes, et lui proposèrent de faire sonner le tocsin pour réunir les villages, et l'accompagner en masse. Non, répondit-il, vos senti> mens me font connaître que je ne me suis point trompé; ils » sont pour moi un sûr garant des sentimens de mes soldats : > ceux que je rencontrerai se rangeront de mon côté; plus ils › seront, plus mon succès sera assuré. Restez donc tranquilles › chez vous. C'est à Gap que les proclamations dictées sur le brick furent imprimées pour la première fois, avec une autre adressée aux habitans des départemens des Hautes et BassesAlpes.

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Proclamations.

« Au Golfe-Juan, du 1er mars 1815.

NAPOLEON, PAR LA GRACE DE DIEU ET LES CONSTITUTIONS de L'empire, EMPEREUR DES FRANÇAIS, etc., etc., etc.

A l'armée,

» Soldats! nous n'avons pas été vaincus. Deux hommes. sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur pays, leur prince, leur bienfaiteur.

» Ceux que nous avons vus pendant vingt-cinq ans parcourir toute l'Europe pour nous susciter des ennemis, qui ont passé leur vie à combattre contre nous dans les rangs des armées étrangères en maudissant notre belle France, prétendraient-ils commander et enchaîner nos aigles, eux qui n'ont jamais pu en soutenir les regards? Souffrirons-nous qu'ils héritent du fruit de nos glorieux travaux? qu'ils s'emparent de nos honneurs, de nos biens, qu'ils calomnient notre gloire? Si leur règne durait, tout serait perdu, même le souvenir de ces immortelles journées.

» Avec quel acharnement ils les dénaturent! ils cherchent à empoisonner ce que le monde admire, et s'il reste encore des défenseurs de notre gloire, c'est parmi ces mêmes ennemis que nous avons combattus sur le champ de bataille.

» Soldats! dans mon exil j'ai entendu votre voix, je suis arrivé à travers tous les obstacles et tous les périls.

» Votre général, appelé au tròné par le choix du peuple et élevé sur vos pavois, vous est rendu : venez le joindre.

» Arrachez ces couleurs que la nation a proscrites, et qui, pendant vingt-cinq ans, servirent de ralliement à tous les ennemis de la France. Arborez cette cocarde tricolore; vous la portiez dans nos grandes journées!

» Nous devons oublier que nous avons été les maitres des nations, mais nous ne devons pas souffrir qu'aucune se mêle à nos affaires. Qui prétendrait être maître chez nous? Qui en aurait le pouvoir? Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, à Austerlitz, à Jena, à Eylau, à Friedland, à Tudella, à Eckmülh, à Essling, à Wagram, à Smolensk, à la Moscowa, à Lutzen, à Wurtchen, à Montmirail. Pensez-vous que cette poignée de Français, aujourd'hui si arrogans, puissent en soutenir la vue? Ils retourneront d'où ils viennent, et là, s'ils le veulent, ils règneront comme ils prétendent avoir régné depuis dix-neuf ans. » Vos biens, vos rangs, votre gloire, les biens, les rangs et la gloire de vos enfans, n'ont pas de plus grands ennemis que ces princes que les étrangers nous ont imposés; ils sont les ennemis de notre gloire, puisque le récit de tant d'actions héroïques qui ont illustré le peuple français combattant contre eux pour se soustraire à leur joug, est leur condamnation.

» Les vétérans des armées de Sambre-et-Meuse, du Rhin, d'Italie, d'Égypte, de l'Ouest, de la grande armée, sont humiliés : leurs honorables cicatrices sont flétries, leurs succès seraient des crimes, ces braves seraient des rebelles, si, comme le prétendent les ennemis du peuple, des souverains légitimes étaient au milieu des armées étrangères. Les honneurs, les récompenses, les affections sont pour ceux qui les ont servis contre la patrie et nous.

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Soldats venez vous ranger sous les drapeaux de votre chef. Son existence ne se compose que de la vôtre, ses droits ne sont que ceux du peuple et les vôtres; son intérêt, son honneur, sa gloire, ne sont autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge, l'aigle avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices; alors vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez fait; vous serez les libérateurs de la patrie.

» Dans votre vieillesse, entourés et considérés de vos concitoyens, ils vous entendront avec respect raconter vos hauts faits, vous pourrez dire avec orgueil : Et moi aussi je faisais partie de cette grande armée qui est entrée deux fois dans les murs de Vienne, dans ceux de Rome, de Berlin, de Madrid, de Moscou, qui a délivré Paris de la souillure que la trahison et la présence de l'ennemi y ont empreinte. Honneur à ces braves soldats, la gloire de la patrie, et honte éternelle aux Français criminels, dans quelque rang que la fortune les ait fait naître, qui combattirent vingt-cinq ans avec l'étranger pour déchirer le sein de la patrie ! Signe NAPOLEON. Par l'empereur le grand-maréchal faisant fonctions de major général de la grande armée .— Signė BERTRAND.

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« Au Golfe-Juan, le 1er mars 1815.

» NAPOLÉON, PAR LA GRACE DE DIEU ET LES CONSTITUTIONS DE L'ÉTAT, EMPEREUR DES FRANÇAIS, etc., etc., etc.

Au peuple français,

» Français, la défection du duc de Castiglionne livra Lyon sans défense à nos ennemis; l'armée dont je lui avais confié le commandement était, par le

nombre de ses bataillons, la bravoure et le patriotisme des troupes qui la composaient, à même de battre le corps d'armée autrichien qui lui était opposé, et d'arriver sur les derrières du flanc, gauche de l'armée ennemie qui menaçait Paris.

Les victoires de Champ-Aubert, de Montmirail, de Château-Thierry, de Vanchamp, de Mormans, de Montereau, de Craonne, de Reims, d'Arcy-surAube et de Saint-Dizier, l'insurrection des braves paysans de la Lorraine, de la Champagne, de l'Alsace, de la Franche-Comté et de la Bourgogue, et la position que j'avais prise sur les derrières de l'armée ennemie en la séparent de ses magasins, de ses parcs de réserve, de ses convois et de tous ses équipages, l'avaient placée dans une situation désespérée. Les Français ne furent jamais sur le point d'être plus puissans, et l'élite de l'armée ennemie était perdue sans ressource; elle eût trouvé son tombeau dans ces vastes contrées qu'elle avait si impitoyablement saccagées, lorsque la trahison du duc de Raguse livra la capitale et desorganisa l'armée. La conduite inattendue de ces deux généraux qui trahirent à la fois leur patrie, leur prince et leur bienfaiteur, changea le destin de la guerre. La situation désastreuse de l'ennemi était telle, qu'à la fin de l'affaire qui eut lieu devant Paris, il était sans munitions, par la séparation de ses parcs de réserve.

» Dans ces nouvelles et grandes circonstances, mon cœur fut déchiré : mais mon ame resta inébranlable. Je ne consultai que l'intérêt de la patrie: je m'exilai sur un rocher au milieu des mers: ma vie vous était et devait encore vous être utile, je ne permis pas que le grand nombre de citoyens qui voulaient m'accompagner partageassent mon sort; je crus leur présence utile à la France, et je n'emmenai avec moi qu'une poignée de braves, nécessaires à ma garde.

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» Elevé au trône par votre choix, tout ce qui a été fait sans vous est illégitime. Depuis vingt-cinq ans la France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institutions, une nouvelle gloire qui ne peuvent être garantis que par un gouvernement national et par une dynastie née dans ces nouvelles circonstances. Un prince qui règnerait sur vous, qui serait assis sur mon trône par la forcé des mêmes armées qui ont ravagé notre territoire, chercherajt en vain à s'étayer des principes du droit féodal, il ne pourrait assurer l'honneur et les droits que d'un petit nombre d'individus ennemis du peuple qui depuis vingt-cinq ans les a condamnés dans toutes nos assemblées nationales. Votre tranquillité inté rieure et votre considération extérieure seraient perdues à jamais.

» Français ! dans mon exil, j'ai entendu yos plaintes et vos vœux; vous réctamiez ce gouvernement de votre choix qui seul est lég time. Vous accusiez mon sommeil, vous me reprochiez de sacrifier à mon repos les grands intérêts de la patrie.

J'ai traversé les mers au milieu des périls de toute espèce; j'arrive parmi vous reprendre mes droits qui sont les vôtres. Tout ce que des individus ont fait, écrit ou dit depuis la prise de Paris, je l'ignorerai toujours; cela n'influera en rien sur le souvenir que je conserve des services importans qu'ils ont rendus, car il est des événemens d'une telle nature qu'ils sont au dessus de l'organisation bumaine.

. Français! il n'est aucune nation, quelque petite qu'elle soit, qui n'ait eu le droit et ne se soit soustraite au déshonneur d'obéir à un prince imposé par un ennemi momentanément victorieux, Lorsque Charles VII rentra à Paris et renversa le trône éphémère de Henri VI, il reconnut tenir son trône de la vaillance de ses braves et non d'un prince régent d'Angleterre...

■ C'est aussi à vous seuls, et aux braves de l'armée, que je fais et ferai tou»

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