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Dans l'hypothèse véritable d'une même origine, on trouve que les variétés des hommes ne sont qu'un résultat de leur existence en nations séparées, et à ce point les différences de races sont la conséquence des différences de nationalité au lieu d'en être la cause. Mais les faits prouvent avec évidence que la race ne constitue pas la nationalité. Est-il une nationalité mieux constituée que la France? Et cependant combien de races sont entrées comme éléments dans cette unité? Celtes, Grecs, Romains, Germains, Scandinaves! D'autre part, ces mêmes éléments sont entrés dans la formation de la nation anglaise, et pourtant cette nationalité diffère essentiellement de la nôtre.

La même observation s'applique à la langue et au territoire. Au sein d'une même nation il peut se faire qu'on parle des langues différentes sans que le lien national en soit moins solide, ainsi que cela a lieu encore dans diverses parties de la France; il peut se faire aussi que des peuples de même langue constituent des nationalités très-diverses, comme l'Angleterre et les EtatsUnis. L'unité de territoire ne suppose nullement l'unité des nationalités; car en général l'unité du territoire est factice et aéterminée par le peuple même qui l'habite; et des territoires qui peuvent présenter une unité naturelle très-réelle sont souvent habités par deux ou plusieurs nations différentes. La religion a constitué sans doute dans l'antiquité un des caractères essentiels des nationalités; mais c'est quand les religions étaient elles-mêmes nationales. Le même fait pourrait encore se présenter sous le règne du christianisme chez les peuples protestants. Mais au point de vue du christianisme véritable, du catholicisme, cette hypothèse n'est pas admissible. Le cathoticisme suppose que tous les hommes soient réunis dans une foi commune malgré les diversités politiques, malgré la distinction des nationalités; ce n'est donc pas la religion qui peut constituer celles-ci. Et de fait l'histoire nous montre plusieurs peuples parfaitement distincts entre eux, la France, Espagne, l'Italie, etc., bien qu'ils professent la niême religion.

Les écoles panthéistes de l'Allemagne ont supposé que de même qu'il existait un génie ou esprit général de l'hutuanité entière, il en existait un pour chaque peuple, et que c'était la différence de ces génies, sortes de substances confuses, qui constituait la différence des nationalités. Nous ne nous arrêterons pas à réfuter cette hypothèse qui ne peut être admise que par les partisans du panthéisme, doctrine contradictoire à tous les fondements de la raison humaine, mais que nous n'avons pas à combattre ici. Reste entin la doctrine du but commun d'activité. Cette doctrine a été émise par M. Buchez, et nous la croyons parfaitement fondée en fait. Elle suppose que les hommes ne se réunissent en société que pour agir en commun, et que pour agir en commun il

leur faut nécessairement un but commun. Les sociétés nationales se forment donc de la même manière que les sociétés de moindre importance, les sociétés scientifiques, littéraires, commerciales. Seulement leur but est en proportion de la masse des hommes et de la suite des générations qui doivent y concourir; il ne peut se fonder luimême que sur la morale religieuse et doit supposer une série d'actes qui exigent le travail de quelques siècles au moins. Voici comment nous avons exposé cette doctrine dans un article publié dans l'Européen, en 1837 :

Pour qu'une formule puisse devenir un but commun d'activité pour un grand nombre d'hommes, et constituer une nationalité, il faut qu'elle remplisse elle-même certaines conditions, hors desquelles elle ne peut acquérir cette valeur; il faut qu'elle inspire une foi assez profonde pour faire des martyrs, et pour que ceux qui l'accep- . tent ne craignent pas de mourir pour elle; il faut aussi qu'elle propose une œuvre grande et difficile, qui demande une action Jongue et puissante, un effort soutenu de plusieurs siècles. Cette dernière condition surtout est indispensable pour que la nation ait une durée, et pour que les générations successives se sentent unies dans la même pensée et dans la même œuvre.

« La religion seule peut donner une formule pareille; il n'y a qu'elle qui puisse poser un devoir absolu, car seule elle parle au nom de Dieu, qui seul est souverain absolu il n'y a qu'elle qui puisse imposer une œuvre longue et difficile, car seule eile enseigne la fonction de l'humanité, dont toutes les fonctions nationales ne sont que des instruments: il n'y a qu'elle enfin qui puisse inspirer une foi profonde à l'individu, et le pousser au dévouement et au martyre, car seule elle lui apprend son rapport avec l'univers, et lui enseigne qu'il n'existe que comme fonction d'un but universel, auquel il doit se sacrifier saus

cesse.

« Il est déjà évident que l'égoïsme individuel ne peut être posé comme le but commun d'activité d'une société, car l'égoïsme n'inspire aucune foi commune, car il place pour chaque individu son but en lui-même, car il ne peut engendrer que des luttes, car il ne pose aucune œuvre à réaliser, car il n'institue aucun lien entre les générations successives, car il finit avec la mort ou la volonté de chaque individu.

« Une société ne peut donc se former que lorsque la religion a offert aux hommes un but commun d'activité, tel que nous venons de le décrire, et que ce but a été librement accepté par eux: lorsque cela a eu lieu, lorsqu'une formule religieuse a été acceptée, et qu'elle a constitué une nationalité, elle devient le principe et la fin de la nation nouvelle, elle devient sa morale, elle sépare ses actes et ceux des individus qui la composent en actes bons et mauvais; elle ordonne un système de fonctions pro

pres à accomplir le but accepté; elle assigne à chaque individu son devoir et son droit; elle devient la certitude absolue de la société, son criterium, son pouvoir, sa souveraineté.

« Des nationalités peuvent pourtant se former autrement que par l'acceptation d'une religion nouvelle, lorsque, par suite de révolutions arrivées dans le sein d'une société, un fragment de cette société se détache et va fonder une nouvelle unité. Dans ce cas, ce fragment emporte avec lui, soit le but même de la société ancienne, et alors il constitue une société semblable; soit au moins une partie de ce but, une fonction spéciale qui y était appropriée, et alors il prend un caractère qui diffère suivant la spécialité à laquelle il s'est livré.

Lorsque le but d'activité d'une société est atteint, ou lorsque la société y renonce au milieu de son action et abandonne l'œuvre commencée, sa force vitale est rompue et sa perte est prochaine. La renonciation au but commun se fait par un protestantisme: on nie la religion, et, par suite, le devoir qu'elle seule avait institué et qu'elle seule sanctifiait. L'effet immédiat de cette négation est l'immobilisation de la société : celleci toutefois subsiste encore au moyen des formes de conservation acquises dans les temps d'activité; mais bientôt ces formes elles-mêmes, dépourvues de l'esprit qui les vivifiait, perdent leur valeur et deviennent incapables de conserver la société plus long temps. Alors celle-ci marche plus rapidement vers sa décadence, et le moindre choc l'anéantit. I en est absolument de même pour les sociétés dont le but est atteint. Le résultat définitif est la destruction de la société, à moins pourtant qu'elle n'ait accepté un but nouveau, et qu'elle ne forme ainsi une nation nouvelle.»

Si nous jetons un coup-d'œil sur l'histoire universelle, nous y trouverons la confirmation de la théorie que nous venons d'exposer.

Les cités, fondées sur le sol de la Grèce, furent nombreuses et durent presque toutes leur origine à des guerriers étrangers, dont la plupart venaient de l'Egypte, d'Asie, ou qui au moins connaissaient la morale égyptienne, et qui se mêlèrent aux populations indigènes de la Grèce, et rallièrent autour d'eux ces débris épars d'une civilisation plus grande. Le but que posa chaque fondateur à la cité qu'il établissait était l'accroissement de la cité, de la race qui y vivait, et sa domination sur les races euvironnantes. L'organisation générale correspondait parfaitement à ce but, et se trouve nexplicable si on ne l'admet pas. En effet e devoir le plus général de tout citoyen était celui des armes; la fonction militaire était la seule qu'un citoyen pût remplir avec honneur, et toutes les fonctions industrielles étaient abandonnées aux esclaves et aux affranchis. Le droit individuel était en rapport avec ce but; l'individu était toujours considéré comme une partie d'un

tout, et n'était rien par lui-même. L'éducation tendait sans cesse à détruire l'esprit d'individualité et à établir le sentiment du but commun, en se formant partout dans les écoles publiques et communes, et en ne devenant individuelle qu'au temps de la décadence des cités.

Les principales cités furent Athènes, Sparte, Corinthe, Thèbes, Argos, etc. Toutes eurent le même but d activité, mais toutes ne parvinrent pas à le développer au même degré; et, à la fin elles succombèrent toutes sous les efforts d'une cité plus heu

reuse.

Athènes reçut son but égoïste et guerrier d'un chef militaire sorti⚫ d'Egypte. Ce chef et ses successeurs, et les individus de la caste militaire qui les accompagnaient, tout en instituant le but commun d'activité guer rier et conquérant, donnèrent en même temps une impulsion intellectuelle et industrielle assez grande à la nation nouvelle. Du temps des rois, Athènes agit déjà contre les peuples environnants; après ceux-ci, des troubles intérieurs la forcèrent pendant quelque temps au repos; mais lorsque la guerre entre les riches et les pauvres eut été terminée par Solon et Pisistrate, elle se livra avec ardeur à son but. Elle attaqua d'abord le roi de Perse et attira la guerre médique sur le sol de la Grèce. Depuis ce temps, eile fut en guerre avec les autres cités, et celle guerre n'avait d'autre but que son accroissement égoïste. Ce but, du reste est bien évident dans toute la constitution d'Athènes; car l'individu était absolument nul devant le peuple qui représentait matériellement la souveraineté; et l'on connaît la manière dont agissaient envers les cités étrangères les hommes les plus vertueux d'Athènes. Athènes parvint, de cette manière, à un haut degré de puissance intellectuelle et matérielle; et si, nalgré ses efforts continus, eile ne parvint pas à subjuguer les autres cités par la force des armes, elle les subjugua du moins par sa supériorité dans les travaux de l'esprit et dans la science qu'elle fit du point de vue de son but.

Sparte fut fondée par une race guerrière de Doriens et d'Héraclides. Chez ceux-ci, le but guerrier et conquérant était enraciné depuis longtemps; Lycurgue ne l'institual pas, il ne fit que lui donner une forme avec la science qu'il avait apprise en Egypte. Cette forme était parfaitement appropriée à ce but, et elle en est la démonstration la plus évidente. En fet, cette communauté étroite où l'individu est toujours sacrifié et dans laquelle il peut se mouvoir à peine, cette morale sévère qui s'étend sur les plus minutieux détails de la vie individuelle; la communauté des femmes et des enfants; le jugement rigoureux porté contre l'enfant mal constitué; l'éducation commune qui enseigne continuellement le sacritice de soi-même; l'instruction exclusivement militaire; tous ces faits prouvent, sans réplique, la vérité de nos assertion..

On sait, du reste, quels furent les actes de la cité spartiate: on sait comment elle accomplit son but en asservissant Athènes; comment elle s'annula bientôt elle-même, en abandonnant sa morale; comment, dans les derniers temps de la Grèce, elle brilla encore d'un dernier éclat, en ressaisissant le but d'activité et la forme qui y était appropriée, et comment elle succomba de nouveau, en l'abandonnant une seconde fois.

Nous n'examinerons pas en détail les autres cités de la Grèce. Toutes, comme Athènes et Sparte, eurent pour principe leur propre extension aux dépens des autres cités; et toutes ne vécurent qu'en mettant ce principe en action. Nous en avons assez dit pour que cela soit compréhensible pour tous. L'histoire de la Grèce est la vérification complète de la doctrine du but commun d'activité. C'est cette doctrine seule qui peut expliquer ces rivalités actives eutre les cités grecques, ces guerres intérieures non interrompues entre toutes les nationalités, qui avaient chacune un but exclusif à celui des autres; c'est cette doctrine seule qui peut nous faire comprendre cette relation des citoyens avec leur cité, celle activité passionnée dans les affaires politiques, ce grand dévouement, cette abnégation absolue de l'individualité, qui animaient chez les Grecs les soldats et les généraux.

absolue; voilà pourquoi chacune de ces cités fut constituée au point de vue individuel, voilà pourquoi la guerre fut le seul rapport possible entre elles: et cette morale el ces rapports durent nécessairement exister jusqu'à ce qu'une parole nouvelle vint dire au monde : il n'y a pas de races supérieures ou inférieures, car tous les hommes sout frères et fils d'un même père qui est au ciel.

L'histoire de Rome nous offre encore une confirmation de la doctrine du but commun d'activité. Cette cité se forma de l'accession de deux races différentes au même but, la guerre et la conquête. Ces deux races étaient de naissance différente, et la cité romaine était divisée dès le commencement en patriciens et plebéiens. Les travaux qui ont été faits sur les origines de l'histoire romaine, qui détruisent en partie les légendes tirées des anciennes traditions, loin de mettre ces faits en doute ne font que les confirmer. Il s'établit à Rome dès sa fondation un double mouvement: l'un qui tendait à élever la classe plébéienne, et à la mettre de niveau avec ia classe patricienne; le second, auquel le premier était subordonné, tendait à la conquête de toutes les populations environnantes. Nous connaissons la plupart des actes auxquels donnaient lieu ces principes de mouvement, et nous en voyons parfaitement le développement.

D'abord, à l'extérieur, Rome s'attaque aux petits peuples qui l'environnent et parvient à les soumettre après une lutte longue et acharnée. Lorsqu'elle a acquis une force assez grande pour braver tous les petite Etats de l'Italie, elle marche rapidenient; elle soumet en peu de temps l'Italie méridionale, et arrive enfin au contact de natiorénalités plus grandes. Elle s'attaque d'abord à Carthage, qu'elle brise après une lutte terrible alors elle ne connaît plus de bornes ; elle veut avoir le monde entier, et se met à l'œuvre pour le conquérir.

La Grèce fut conquise par la Macédoine; par la Macédoine qui, comme la Grèce, avait pour but unique d'activité la guerre et la conquête. Mais chez cette nation, le pouvoir et la souveraineté qui naissent du but, étaient aux mains d'un seul chef héréditaire; et cette constitution politique du pouvoir donna à la Macédoine une puissance d'expansion énorme, qui lui permit de réaliser la conquête de l'Asie. Là gnait une seule race qui avait asservi toutes les autres, mais qui ne formait plus ellemême une nationalité; car dans le grand empire perse, il n'existait qu'une seule unité, celle de l'esclavage et de l'exploitation. I fut remplacé par le grand empire macédonien, auquel Alexandre le Grand proposa pour but la conquête du monde; mais il inourut avant d'avoir accompli son œuvre, et nul ne lui succéda.

Avant d'aller plus loin, nous devons dire la raison de ces buts uationaux égoïstes et exploiteurs. Nous la trouvons dans la religion même de l'Egypte d'où sortirent tous ces buts; là on enseignait, comme nous l'avons dit ailleurs, que la nation égyptienne seule était agréable à Dieu; que les étrangers étaient de la race des esclaves; qu'il fallait les asservir, et chaque fragment qui se séparait de l'Egypte devait commenter cette idée. Il faut remarquer en outre que la plupart des fragments qui se détachaient du centre social étaient exclusivement composés de guerriers; de ceux-là même auxquels le devoir militaire et la loi d'extermination à l'égard de l'étranger avaient été enseignés de la manière la plus

A l'intérieur, le peuple avait acquis peu à peu tous les droits des pa.riciens; et il devait en être ainsi, car il prenait la même part à l'activité commune, et versait son sang pour toutes les conquêtes. Pourtant, il ne parvenait à ce résultat qu'après des efforts nombreux et une lutte acharnée. Aussi, l'inimitié des patriciens et des plé. béiens était-elle devenue très grande, et il n'y eut que le but commun d'activité qui put conserver l'unité entre eux. C'est ce que sentirent très-bien les patriciens; car un de leurs moyens de combattre les plébéiens était de susciter une guerre extérieure et de tourner leur activité contre l'ennemi; et ils établirent le principe de ne jamais laisser la cité sans guerre. Le peuple, de son côté, ne refusa janiais de se mettre en campagne, et souvent sa rivalité se formula par une activité plus grande en vue du but commun, c'est-à-dire par des propositions de guerre que faisaient coup sur coup les tribuns et les patriciens.

Le but d'activité de Rome était du resle empreint dans la vie la plus intime de cette cité. Ainsi, le républicanisme tant vanté des Romains n'était autre chose que la haine contre les étrangers, et le sentiment d'un but commun devant lequel tous ceux qui l'accomplissaient étaient égaux. La morale de ce but était la morale suprême, et, pour l'accomplir, tous les moyens étaient bons. Aussi n'y en eut-il pas un seul qu'ils ne tentèrent, la violence, la ruse, la perfidie, la trahison. On peut lire là-dessus le chapitre de la grandeur et de la décadence. des Romains, par Montesquieu. Le droit contre les vaincus était de les tuer, et si on les conservait, c'était pour les rendre esclaves. C'était la guerre et l'esclavage qui constituaient, pour les Romains tout le droit des gens, car ils ne connaissaient pas de droit de paix. Les mœurs et l'éducation étaient toutes militaires, et tout autre genre de développement, soit intellectuel, soit industriel, était banni du sein de la cité.

Lorsque Rome eut conquis le monde connu, la corruption, l'immoralité, avaient déjà attaqué son but commun d'activité, et le temps arrivait où elle ne pourrait plus aller plus loin. Alors, elle fit un dernier acte; elle abolit toutes les distinctions entre les hommes libres; elle anéantit le reste de cette aristocratie égoïste. Ce fut par les mains des empereurs que le peuple opéra cet acte, qui fut le dernier; car le but était atteint, et la loi morale accomplie.

Ici, nous trouvons un nouvel enseignement, et une démonstration nouvelle de notre doctrine: c'est l'empire romain qui nous offre l'exemple d'une société dont le but commun d'activité est atteint. La société commence alors à s'immobiliser dans la conservation; mais en même temps la morale disparaît chacun se livre à ses passions égoïstes; les forces acquises ne suffisent plus, et la société succombe. Ainsi, nous voyons l'empire romain en proie à une exploitation infâme, se dépeupler par l'immoralité, par la famine, par la guerre cette décadence dure 300 ans; et bientôt attaquée de tous côtés par les peuplades dont la soumission eut été un jeu pour la Rome antérieure aux guerres puniques, l'empire ne leur offre plus de résistance et se trouve enfin divisé et rompu.

Un nouveau but d'activité avait pourtant paru sur la terre; ce but devait sauver le monde de la destruction; il eût sauvé l'empire romain si celui-ci l'eût voulu. C'était la parole de Jésus-Christ qui proclamait la fraternité entre les hommes, et posait à tous. pour devoir d'accomplir l'unité humaine par le dévouement. Lorsque la majorité des hommes fut convertie au christianisme, Constantin essaya d'en faire le but d'activité nouveau de l'empire romain; mais, différents obstacles empêchaient la réalisation de cette œuvre; l'unité spirituelle n'était pas encore organisée une hérésie abominable, celle des ariens, divisait les chré

liens, et avait envahi plus de la moitié de l'empire: plusieurs des successeurs de Constantin furent ariens eux-mêmes, et presque tous furent des égoïstes; aussi la régénération de l'empire romain devint-elle impossible, et l'empire lui-même périt sous les invasions des barbares. Alors, une nationalité nouvelle surgit et sauva le monde : ce fut la nationalité française. Cette nationalité résulta de la réunion des cités catholiques de la Gaule, de plusieurs camps militaires des Romains, el de l'armée barbare des Francs, dans le but commun de vaincre l'hérésie arienne, et de faire triompher le catholicisme sur le sol d'Occident. Cette alliance s'accomplit sous les auspices des évêques gaulois, qui, en convertissant les guerriers francs, acquirent une milice brave et dévouée. Nous ne nous étendrons pas sur ces faits. M. Buchez a traité l'histoire de la formation de la nationalité française d'une manière qui ne laisse rien à désirer. Il a prouvé que la Gaule ne fut pas conquise par les Francs; que Clovis ne put avoir le commandement suprême qu'en acceptant le but de la confédération des cités gauloises, et en s'en faisant l'instrument; qu'à cette condition il fut librement accepté pour chef par ces cités et mis à la tête de l'armée catholique. Ces faits répondent parfaitement aux principes que nous avons En effet, il n'y a qu'un but commun qui posés au commencement de notre travail. puisse réunir ces éléments bétérogènes de notre nationalité. Ce but est institué par les prêtres, c'est la religion même, la défense du catholicisme; tous ceux qui s'y dévouent sont capables d'en devenir les martyrs; l'accomplissement de ce but est long et difficile, car l'hérésie et le paganisme occupent une grande partie de l'Europe, et, après la victoire des ennemis du dehors, il offrira une modification profonde et fondainentale à accomplir dans le sein même de la société.

A coté de la France n'existait alors aucune autre nationalité. Une moitié de l'empire romain s'était emparée de ce qu'il y avait de commun dans le christianisme, sans comprendre l'activité renfermée dans la parole nouvelle, et l'empire d'Orient ne se conserva que par sa lutte avec les peuples de l'Asie, qui devint de force un but d'activité pour lui; dans cette lutte, il fut plutôt résistant qu'actif, et, ce n'est qu'à la faiblesse même des populations qui l'attaquèrent, qu'il faut attribuer sa longue exis

tence.

Les autres royaumes fondés en Europo sur les débris de l'Occident ne furent pas des nationalités; aucun d'eux ne survécut au but de brigandage qui réunissait ces barbares ariens; et tous succombèrent à la première attaque que leur firent les peuples croyants et dévoués: Ainsi en fut-il des Wisigoths, des Bourguignons, des Thuringiens, des Ostrogoths, des Lombards. La France ne cessa d'agir avec vigueur sur toutes ces populations, tant par les armes que

par les missionnaires et l'enseignement; elle les conquit lentement à la nationalité française. Ce fut Charlemagne qui eut la gloire d'étendre cette nationalité à toute 'Europe et de rallier au même but d'activité un empire aussi étendu que celui d'Occident. Charlemagne constitua aussi l'unité spirituelle; et si son œuvre eût été continuée, cerles aujourd'hui nous serions plus rapprochés de la fraternité universelle que nous ne le sommes; et si l'un des peuples de l'Europe se dévouait à réaliser cette parole de Dieu, les autres ne voudraient pas lui porter la guerre et la désolation au nom des puissants de la terre. On sait comment l'égoïsme des gouvernants détruisit l'œuvre de Charlemagne : Son fils Louis plaça ses intérêts de famille au-dessus des intérêts du christianisme l'unité temporelle de l'Europe fut brisée; chaque fragment de l'empire de Charlemagne marcha séparément à son but avec une activité plus où moins grande, suivant les circonstances ou il se trouvait. Ainsi l'Europe se trouva divisée en plusieurs peuples différents, qui, par suite de leurs différences initiales, prirent dans le cours de leur développement un caractère de plus en plus spécial.

Au moyen âge cependant, les différences entre les peuples de l'Europe étaient bien moins grandes qu'aujourd'hui. En effet, le but d'activité de toutes ces nations était le même; elles n'étaient différenciées entre elles que par l'intelligence, l'énergie et le dévouement qu'elles apportaient à l'accomplissement de ce but. A ce point de vue la France se trouvait évidemment la première des nations c'était elle qui la première avait accepté le catholicisme et avait combattu pour lui; c'était elle qui l'avait répandu partout, et qui avait civilisé l'Europe; ce fut elle aussi qui commença la première l'œuvre de la réalisation, en donnant aux bourgeois des communes le devoir et le droit des armes, en affranchissant les serfs, en créant l'Université de Paris. Il y avait du reste entre les divers peuples de 'Europe un pouvoir unitaire, représentant direct du but commun d'activité, et qui veillait avec énergie à la réalisation de ce but: c'était la puissance spirituelle du pape et du clergé il y avait un juge entre le prince égoiste et le peuple opprimé : il y avait une Joi spirituelle qui réglait les relations dest peuples entre eux, c'est-à-dire un droit des gens chrétien; il y avait enfin la possibilité pour les peuples de l'Europe d'accomplir des actes communs.

Malheureusement cet accord fut rompu à la fin du moyen âge, et l'égoïsme en profita pour nier l'autorité de la religion et l'unité de l'Eglise. L'enseignement protestant fit changer la face de l'Europe, et donua lieu à une relation toute nouvelle entre les gouvernants et les gouvernés: chaque prince se crut maître et seigneur du pays qu'il gouvernait, et l'on s'accoutuma à l'idée de voir la souveraineté dans des familles héréditaires, au lieu de la voir dans le but d'activité

qui constituait les nations. Celles-ci prirent alors un caractère différent, suivant la part qu'elles eurent au protestantisme. Le peuple français resta fidèle à son but commun d'activité; il persista dans la réalisation de la religion chrétienne; il repoussa le protestantisme, en sacrifiant encore une fois le plus pur de son sang. L'Allemagne accepta la négation: elle se condamna à l'immobilité, et il lui fut impossible de résister à l'égoïsme des grands qui la fédéralisèrent : depuis, elle a cherché à reprendre son unité sans pouvoir y parvenir, et cela lui sera impossible en effet, car le but commun d'activité, qui seul peut constituer cette unité, lui manque. La direction que prit l'Angleterre à cette époque est remarquable. L Angleterre se fit un protestantisme à part, qui la sépara complétement du reste de l'Europe et mit entre elle et les peuples dont elle était sortie une barrière spirituelle plus grande que ne l'était la barrière matérielle de l'Océan. Cet égoïsme national la rejeta bien loin de la fraternité chrétienne et il ne lui restait pour vivre activement qu'à se vouer à la fonction de conservation matérielle, au commerce et à l'industrie; c'est l'accomplissement de ce but qui fait vivre l'Angleterre aujourd'hui ; c'est au nom de ce but qu'elle a répandu ses colonies au loin et conquis l'Inde et l'Amérique. Nous de vons faire remarquer combien la colonisation en vertu de ce but matériel a été différente de celle des Espagnols catholiques. Les Espagnols convertirent les indigènes et leur donnèrent l'éducation chrétienne : ceux-ci aujourd'hui sout en majorité dans les Etats espagnols de l'Amérique; iis constituent la véritable nation, et les nègres mêmes remplissent les fonctions les plus hautes dans le but national. Les Anglais chassaient les indigènes et les massacraient, ils n'en convertirent aucun, et les chrétiens qui vivent aujourd'hui dans leurs colonies sont tous d'origine européenne,

En dehors de la grande unité catholique, fondée par Charlemagne, se formèrent plus tard quelques autres nationalités, qui durent aussi leur origine au catholicisme et n'eurent pas d'autre but commun d'activité que lui. D'abord ce fut l'Espagne, qui se constitua par sa lutte contre les Arabes. Le royaume de Léon se forma, parce que Pélage se mit à la tête des hommes d'armes qui vivaient dans les Asturies, et gagna avec eux une bataille sur les Arabes. Des centres pareils devinrent plus tard les comtés de Castille, d'Aragon, de Barcelone, qui tous se réunirent bientôt au royaume de Navarre. L'activité catholique de ces populations était très-grande, mais le centre unique qui s'était formé d'abord, se divisa de nouveau par suite d'arrangements de famille, et l'action dépourvue d'unité fut moins efficace. Plus tard, lorsque les Maures furent chassés du sol de l'Europe, celle-ci dirigea son activité vers les déconvertes et la colonisation; mais l'égoïsme de Charles Quint la détourna de ce but.

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