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342 HISTOIRE DE LOUIS XVI. 1790.

fiscations ratifiées par le temps, l'assemblée consacrait un principe dangereux, et pouvait nuire à la vente des domaines qu'elle avait déclarés nationaux.

Les séditieux qui, le 14 juillet, avaient assiégé la Bastille, auraient été, sous un gouvernement régulier, trop heureux d'être oubliés. Leur révolte méritait un châtiment exemplaire; mais comme les meneurs de l'assemblée connaissaient parfaitement ce principe, qu'un gouvernement qui ne sait pas récompenser ses amis et punir ses ennemis ne saurait se maintenir; ils firent rendre, le 19 décembre, un décret qui accordait des gratifications et des pensions à tous ces mutins, que l'on décorait du nom de vainqueurs de la Bastille. Le malheureux monarque, en sanctionnant ce décret, se vit forcé de récompenser des hommes qui l'avaient détrôné.

CHAPITRE XVII.

Coup-d'œil sur l'Europe à la fin de 1790.

Avant de passer aux événements de 1791, nous examinerons la situation de l'Europe.

ANGLETERRE.

Le gouvernement britannique considérait les Français comme un peuple déchu dé son pouvoir et de son importance politique.

Les plus fameux publicistes anglais semblaient désespérer du salut de la France et du bon sens des Français. «Si jamais, disait le célèbre Burke, une armée étrangère met le pied en France, elle devra y entrer comme dans un pays de sauvages. On n'y aura aucun égard aux procédés que les nations policées ont entre elles en se faisant la guerre... Toute action, tout combat, dégénéreront en exécution militaire. Vous serez obligé de rendre la pareille; la peine du talion allumera de nouvelles fureurs; de toutes parts les furies de l'enfer sont déchaînées; elles triompheront dans le sang et dans les larmes.» Burke a été prophète, mais il n'a prévu qu'une

partie des calamités que la révolution française a déversées sur toute l'Europe.

L'Angleterre, devenue plus forte par la nullité de la Franee, eût désiré la guerre, si elle n'eût craint de perdre les avantages immenses que lui procurait le traité de commerce de 1786. Presque tout le numéraire français passait en Angleterre par mille canaux diffé rents'; il ne restait à la France que les assignats et la misère.

Le ministère anglais, craignant de perdre cette mine d'or, dirigeait alors ses intentions hostiles contre l'Espagne. Il eût voulu la punir des secours qu'elle avait donnés, lors de la dernière guerre, aux insurgents et aux Français, et lui ravir une partie de ses colonies d'Amérique, pour compenser la perte de tant de riches domaines que la paix de 1783 avait enlevés à l'Angleterre. Il lui fallait un prétexte pour colorer sa rupture; il ne tarda pas à le faire naître.

Le capitaine Cook, dans ses divers voyages autour du monde, n'avait jamais perdu de

* Tel avait été le motif qui porta Mirabeau à s'opposer à la fonte de la vaisselle du roi, en 1789. «Si vous la

fondez demain, disait-il, je vous soutiens que dans cinq jours, les écus que vous en retirerez seront à Londres ».

vue les intérêts de sa patrie; il avait remarqué que, sur les côtes occidentales de l'Amérique, on pouvait faire, avec les sauvages du pays, un commerce lucratif de pelleteries, dont on trouverait un débouché avantageux à Macao et dans les ports de la Chine. D'après ses vues et ses plans, le gouvernement anglais avait établi quelques factoreries qui, sous le prétexte de commerce, étendaient leurs relations bien avant dans le continent.

Après des représentations mal accueillies à Londres, l'Espagne avait envoyé deux vaisseaux de ligne qui avaient détruit les établissements anglais dans cette partie du monde, et conduit les marchands et les facteurs prisonniers à Saint-Blas.

L'orgueil britannique frémit en apprenant cet acte de fermeté. On arme aussitôt deux escadres, sous les ordres de l'amiral Howe, on rassemble des troupes, et l'on ne se propose rien moins que la conquête du Mexique. L'Espagne jette le cri d'alarme, toute l'Europe s'intéresse pour elle, l'affaire se civilise; par un traité rédigé à Londres, le 15 novembre 1790, les marchands anglais sont indemnisés, la navigation de la mer pacifique est libre, la pêche des baleines et le commerca

des pelleteries sont déclarés licites, mais les Anglais consentent à ne faire aucun établissement sur les côtes'.

POLOGNE.

La Pologne se débattait toujours vainement sous le poids des chaînes qui l'accablaient. Lasse de présenter à l'Europe ses justes mais inutiles réclamations, elle venait d'appeler l'anarchie à son secours. Sa diète venait d'adhérer à la fameuse déclaration des droits de l'homme, que l'assemblée nationale avait publiée en France. Par une inconséquence qui révolta tous les gens sensés, un corps de nobles arbora l'étendard de l'égalité, et vint se placer sous son niveau, sans craindre de soulever en masse un peuple entier, accablé depuis vingt siècles des fers du plus rigoureux esclavage. Une pareille mesure remplit d'épouvante l'impératrice Catherine; elle craignit que les serfs sur lesquels elle régnait ne vinssent, par une révolte générale, lui arra

Ce qui rendit les Anglais plus dociles, et leur fit prêter l'oreille à des propositions pacifiques, fut une nouvelle qu'ils reçurent de Calcutta. Tippoo-Saïb, à la tête d'une armée formidable, menaçait dans l'Inde les établissements anglais; il avait même déjà fait deux tentatives sur Bimlipatam et sur Tellicheri.

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