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et d'un soldat qui étant blessé alla languir dans une vigne, sans pouvoir suivre le gros, jusques à ce qu'un citoyen l'ayant ouï se plaindre, termina ses maux avec un coup de fusil à trois balles dans le corps.

Cet accident qui manifesta notre foiblesse, et le peu de prévoyance de nos supérieurs, en augmenta le mépris. Nous avions déclaré la guerre à la France comme l'Espagne avoit fait partout, et nous n'avions point de poudre. Massiet s'étoit vanté de vouloir aller faire prisonniers les conseillers aux portes de Dijon, et ceux de Dijon venoient jusqu'à celles de Besançon ; nous voulions faire contribuer la France jusqu'à Troyes en Champagne, et au lieu de cela les François firent contribuer par billets les cent villages du ressort nouveau de Besançon, qui font une couronne autour de cette cité, et dans le centre du pays. Toutes les déclarations que j'ai rapportées ne parloient que de verser jusques à la dernière goutte de sang pour la défense de la province, et à même temps les François dominoient impunément, ruinant jusques au fond les pauvres sujets du roi, emmenant leur bétail, violant leurs femmes et leurs filles, et brûlant leurs maisons. A ces plaintes les réponses de notre gouverneur étoient uniformes par ces deux monosyllabes, bian, bian, nos gens de guerre gardoient les villes comme les malades gardent la chambre, et les François faisant raillerie de cette maxime, les appeloient des troupes invisibles. Ils buvoient à la santé de notre gouverneur et à celle de sa sœur, vieille d'environ quatre-vingts ans. Ils semoient ainsi le mépris, et le marquis de Listenois s'insinuant doucement parmi les paysans de la cam

pagne, leur disoit qu'il savoit assez combien ils avoient souffert pour lui, leur faisant rendre leur bétail, et faisant observer un bon ordre à son régiment de dragons qui étoit fort leste, et bien équippé : et le mal fut depuis que grand nombre de jeunes gens se joignirent à lui qui rentra dans Scey-sur-Saône, et dans le château de son père abandonné par ordre de M. d'Alvelda hors de temps et sans y laisser bonne garde.

Tandis qu'il prenoit cette route M. de Navailles campa pendant quelques jours à Champvans près de Gray, couvant un dessein plus considérable que celui de Pesme : mais avant que de s'approcher de Gray il voulut réduire le château d'Ougney (1), qui est assez bon, de forme carrée, avec quatre bonnes tours qui flanquent ses courtines. Un jeune homme bien intentionné et courageux y commandoit une quarantaine de paysans. Dès les approches des Francois devant Pesme ils firent plusieurs tours aux environs de cette place, mais lui au lieu d'avoir peur envoya demander de la poudre à notre gouverneur, qui ne pouvant lui en fournir beaucoup lui en fit seulement envoyer quinze livres. Enfin M. de Navailles s'approcha avec un gros, et des pièces de batterie, il souffrit douze volées de canons, et les paysans sortant pour capituler, les soldats entrèrent pêle-mêle; de sorte que ce

(1) Il appartenait au marquis de Varembon. Nous n'avons pu retrouver le nom du commandant. On voit que ce château ne se rendit pas à discrétion, comme l'a prétendu TARUELLE dans une lettre à Louvois, du 21 février 1674. On peut la lire dans Deux Epoques militaires, de M. ORDINAIRE, t. 1, p. 321. De ce château il ne reste plus qu'une tour tronquée.

commandant fut obligé de sortir aussi comme il fit avec son épée au côté. Balançon suivit, et fut réduit sans peine et Chantonnay de même.

Voilà où en étoit notre campagne qui s'alloit réduisant au dernier point de la misère, le mépris de nos gens étant si grand parmi nos ennemis que le dix-huitième du mois il parut jusques dans une lettre ouverte et non signée, qui fut jetée de nuit en la maison de M. de Beveuge venant apparemment des malcontens du pays qui étoient en France, et commençant par ces paroles « C'est à vous M. de Beveuge, gouverneur de la confrérie de St.-George que je m'adresse, pour vous dire que ceux que vous blâmez ne sont pas les traîtres, mais bien ceux qui en l'an 1668 livrèrent les places, et qu'il y vient un roi qui rétablira les priviléges de la province pour laquelle nous avons pris les armes contre ce tyran qui domine à Besançon. » Voilà en substance ce que portoit cette lettre hormis qu'elle étoit plus étendue sur la mauvaise conduite de ceux de l'Etat, et sur le peu d'estime qu'ils faisoient de la chambre de justice. Le sieur de Beveuge la porta à notre gouverneur espagnol, et on vit clairement que par le terme de tyran il désignoit le baron de Soye. Comme par un surcroît de déplaisir arriva aussi le même jour un tambour envoyé par le sieur de Roche, chef des François dans Belfort. Il apporta une lettre à notre gouverneur où il étoit traité d'Excellence, et lui représentoit que la conduite des voisins du Pont-deRoide avoit été si cruelle qu'ils avoient violé le droit des gens et de la guerre, qu'il en avoit donné avis au roi son maître, et qu'il en attendoit la réponse, que

cependant il avoit envoyé ce tambour pour apprendre de lui s'il avoit approuvé cette action et s'il en avoit eu part on dit que M. d'Alvelda répondit que non.

CHAPITRE XLII.

Attaque de la ville de Gray. M. d'Alvelda envoya cinq cents hommes pour recouvrer Marnay et le brûler, ce qui ne réussit pas.

La facilité que les François rencontrèrent en l'exécution de tous leurs desseins porta M. de Navailles à aller investir Gray. Les vivres et les munitions ne pouvoient leur manquer à cause des ordres qui étoient de leur part en tous les villages à deux et trois lieues la ronde de fournir ce qui leur étoit en charge (1). Le commandant de Gray écrivit à notre gouverneur que s'il avoit trois cents hommes de plus la ville seroit imprenable. On n'augura pas bien de cette lettre; parce que lorsqu'un gouverneur de place écrit de la sorte, c'est à dire qu'il y a foiblesse. Il avoit fraisé les mines des murailles selon la première enceinte, et tous étoient résolus de bien faire, d'autant plus qu'on fit entendre aux assiégés que les François brûleroient la ville après l'avoir prise.

(1) Cela paraît peu exact. Navailles dit : «Comme j'en approchois, je trouvai toute la cavalerie des ennemis qui venoit brûler les villages où je prétendois m'établir pour faire le siége. Il y eut une grande escarmouche et les ennemis furent poussés dans leurs postes. Je reçus en cette occasion un coup de mousqueton qui perça mon chapeau en trois endroits, et m'emporta une partie de ma perruque.» (Mémoires, p. 298.)

Les François rappelèrent les troupes qui avoient avancé devers la Saône tirant à Vesoul, à la réserve de quelques gens qu'ils laissèrent à Scey-sur-Saône, même ils ne continuèrent pas de presser le château d'Oiselay, mais ils laissèrent le sieur de Chantrans à Scey-surSaône pour mettre en contribution jusques aux portes de Vesoul.

Le gouverneur crut qu'il feroit un grand coup de recouvrer Marnay comme une étape principale des ennemis, voire d'en brûler le bourg et le château comme appartenant à un seigneur totalement engagé dans le parti de France, et qui dès longues années n'avoit rendu aucun devoir de fidèle vassal à l'Espagne. Aucuns condamnèrent ce dessein de brûler parce que sa mère qui étoit la dernière fille descendante de Baudouin (1) bâtard de Bourgogne, et en son temps dame

(1) Charles-Emmanuel de Gorrevod, gentilhomme de la chambre de l'archiduc Albert, le défendit courageusement à la bataille de Nieuport. Le 4 mai 1609, Albert avait érigé sa baronnie de Marnay en marquisat. Il lui fit obtenir le collier de la Toison-d'Or et donner le gouvernement du Luxembourg. Le marquis de Marnay devint amoureux d'Isabelle de Bourgogne, fille d'Herman de Bourgogne, comte de Jallais, issu de Baudouin, bâtard de Philippe-le-Bon et d'lolande de Longuevale. Pour obtenir sa faveur, car elle lui préférait le duc d'Aumale, de la maison de Lorraine, quoiqu'il fût vieux, parce qu'il était duc et qu'elle aurait le carreau devant l'infante, comme les grandes d'Espagne, le marquis de Marnay obtint du roi de France l'érection de sa terre de Pont-de-Vaux en duché. Le 8 février 1621, il épousa Isabelle. Il se retira à Marnay après la mort de l'archiduc, et y décéda le 4 novembre 1625. Il eut quatre enfants; celui dont parle CHIFFLET est Philippe-Eugène de Gorrevod, prince du Saint-Empire, duc de Pont-de-Vaux, vicomte de Salins, qui eut pour parrain Philippe IV et pour marraine l'infante Isabelle. Dès son jeune âge il fut pourvu de la charge de bailli d'Amont. La guerre étant survenue et ses biens de Bresse confisqués et donnés

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