Page images
PDF
EPUB

d'autre part d'aller à la garde des châteaux et maisons fortes selon les ordonnances du pays, et à même temps de fournir à la contribution pour la subsistance des troupes du roi et à celle accordée aux ennemis, qu'ils étoient obligés de porter bien loin, comme à l'intendant de France en Alsace, et dans Brissac même.

Les François ayant ramassé quelques gens jusques à cent chevaux, y compris cinquante dragons et vingtcinq fantassins sous les ordres du sieur de Bigny, natif de Lille en Flandre, étoient venus piller le château de Mandeure ce qui obligea le prince de Montbéliard d'échapper de dire que le comte de Monterey étoit un enfant, et que jamais il ne feroit plus grande imprudence que celle d'avoir sollicité la rupture entre les couronnes. Ce petit prince ressentoit avec raison le déplaisir de voir abattre ses châteaux, et saccager et brûler ses sujets comme étoient ceux de Mandeure et d'Arcey.

Quant à la cavalerie du pays qui consiste et dépend de la levée du rière-ban composée de la noblesse possédant des fiefs, M. d'Alvelda donna l'ordre nécessaire pour la faire venir à Besançon auprès de lui, à dessein d'en reconnoître le nombre et la qualité. Il appela tous ceux qui portent le nom de quelque seigneurie, quoique en effet leurs fiefs ne fussent pas obligés à fournir un homme, et il en usa ainsi pour voir leurs personnes, et juger de la portée d'un chacun. Toute la faute qu'il fit fut de ne les pas caresser et appeler quelquefois à sa table, ainsi qu'un autre gouverneur plus politique et plus généreux eût fait.

Plusieurs de cette noblesse se lassant du séjour de

Besançon, lui demandèrent congé pour faire un tour jusques en leurs maisons: il accorda cette grâce à aucuns et la refusa à d'autres, et du nombre de ceuxci fut le sieur de Grandmont-Vellechevreux (1), auquel non-seulement il ne voulut pas permettre d'aller en sa maison pour quelques jours, et quoique peu éloignée, mais même il ajouta des paroles choquantes et do mépris à ce gentilhomme, qui lui repartit hardiment que sans sa charge de gouverneur de la province, il tireroit raison d'un pareil traitement. Cela rebutoit la noblesse, et à même qu'on en attendoit du service on en aliénoit les cœurs. Ce qui passa si avant dans l'esprit de tous qu'ils attribuoient entre eux cette rigueur à un dessein formel, et à une maxime de les ruiner, comme si elle étoit à craindre en une occasion nouvelle de mieux faire que l'autre fois.

CHAPITRE XXXVII.

Exemple mémorable d'un père dont le fils s'étoit attaché au marquis de Listenois qui étoit le nommé Clément fait prisonnier en campagne les armes à la main.

Le malheur qui advint en ce temps à un homme de bien et greffier au bailliage de Vesoul, a été si peu commun que mon dessein requiert que j'en fasse ici un honorable récit du combat intérieur qui se rencontra en ce vieillard, de l'affection paternelle d'un côté et de la fidélité au roi d'autre. Dieu lui avoit donné

(1) Claude-François de Plaine dit de Grammont, seigneur de Vellechevreux, marié à N. de Berbis.

cinq fils dont l'un se fit capucin, l'autre suivit une honnête profession, le troisième ne valut jamais rien, le quatrième tout au contraire fit état de l'honneur, et un cinquième étoit encore jeune.

Celui qui mit la famille dans l'affliction fut le troisième de ces frères, homme meurtrier, et qui pour échapper la peine due à ses crimes s'attacha au parti de plusieurs volontaires qui suivirent le marquis de Listenois en ses entreprises, et il étoit en France dans le régiment de dragons levé par ce jeune seigneur pour entrer hostilement en ce pays. J'ai déjà raconté les devoirs que son pauvre père fit pour le retirer du lieu où il étoit par l'envoi du quatrième, et comme celui-ci fut longtemps en prison, voire qu'à son occasion s'éleva un tumulte à Besançon la veille de la Fête-Dieu de l'année passée. Or, ce mauvais frère, soit que Dieu voulût sauver son âme, soit qu'il voulut éprouver la vertu du père, fut fait prisonnier au village de Chauxlez-Boult, voisin de Conflandey, en compagnie de quatre autres natifs de Scey-sur-Saône sujets du marquis de Meximieux. Ils étoient en tout une douzaine de soldats, et les autres étoient François de nation : tous se rencontrèrent en une maison appartenant au père de Clément.

Le capitaine de Conflandey nommé Corcol, ayant été averti de cette partie qui étoit à Chaux, sortit avec une trentaine tant de soldats que de paysans pour aller attaquer ces téméraires et imprudens, jusques à tel point que ce n'étoit pas la première fois que Clément étoit venu au même lieu, et que le cadet son frère l'y étoit allé chercher, pour le ramener à son devoir par

amour ou par force, mais toujours en vain. A cette dernière fois encore le pauvre père l'avoit envoyé à Chaux avec ordre très-pressant de tuer de sa main son mauvais frère, et il n'avoit pas tenu à lui de l'exécuter: la seule présence des soldats ennemis l'en ayant empêché. L'aveuglement du criminel, et son malheureux sort le destinoient à un châtiment plus exemplaire.

A l'arrivée du capitaine Corcol, la terreur saisit Clément, et l'appréhension lui fit user de courage pour finir moins honteusement, mais ses compagnons François considérant que la rigueur ne seroit pratiquée qu'envers ceux de ce pays qui seroient pris les armes à la main refusèrent de se défendre, et les Bourguignons indignes de ce nom soutenant l'effort furent blessés grièvement, et surtout Clément. De là ils furent conduits prisonniers à Vesoul, et amenés à Besançon le 24 de janvier.

Cet accident fâcha beaucoup de gens, parce qu'ils étoient Bourguignons, et que les ministres flamands, voire le gouverneur de la province, quand la nouvelle en vint en témoignèrent plus de joie que d'étonnement, parce qu'ils avoient prise, et pouvoient dire que tous les Bourguignons n'avoient pas l'âme également fidèle à leur prince, ne considérant pas que telles gens passent pour des monstres, et que souvent le dépit et le désespoir changent les plus beaux et les meilleurs naturels. Ces ministres entrèrent en une si grande défiance d'un enlèvement des mêmes prisonniers par les chemins et dans Besançon même, qu'ils les firent fortement escorter, et coucher au château de Sorans puis entrer à Besançon en des bateaux, avec un ba

taillon sur le bord de l'eau, et ainsi jusques dans la citadelle, sans les conduire à travers des grandes rues de la cité. Le cadet Clément étoit du nombre des prisonniers, parce que lorsqu'il avoit été mis en liberté l'an passé ce ne fut que jusques à rappel, et tout à coup on vint dire au père qu'on emmenoit aussi son dernier fils, lequel il savoit être innocent, voire plus digne de récompense que de châtiment. Ce coup le réduisit au lit jusques à l'extrême-onction, qu'il avoit déjà reçue quand il envoya une sienne fille, sœur du criminel, à Besançon, pour tâcher par tout moyen de parler à ses deux frères, et leur inspirer les désirs d'une sainte fin. Cette bonne fille ayant laissé son père en tel état vint pour obéir à ses derniers commandemens, et trouva d'abord le cadet en liberté, parce qu'il étoit sorti honorablement de prison, et renvoyé à pur et à plein sur la déclaration par lui faite fort naïvement de son envoi à Chaux par son père pour tuer son frère. Le criminel même en dit autant, et les soldats indifférens qui avoient été témoins des opprobres et injures qu'il lui avoit dites pour le faire retourner, le confirmèrent, et que sans eux il est certain qu'il l'eût tué. Restoit donc de voir le criminel, et de se couler auprès de lui en quelque équipage qui ne causât point de défiance aux gardes, et elle se déguisa en habit de pauvre fille qui portoit vendre un fardeau de bois en la citadelle. Ce bois fut destiné au feu qui étoit en la prison de son frère, elle y entra et y vit ce malheureux prisonnier, et les deux se reconnurent : mais la présence des personnes qui s'y rencontrèrent réduisirent tout l'artifice à elles inconnu, à de grands ressentimens naturels

« PreviousContinue »