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être payés, nous sert de beaucoup à persuader que s'ils firent effort d'entrer dans une place, il seroit bien difficile de les faire sortir d'une autre en laquelle ils seroient déjà, et pour même sujet.

Ce qui étoit merveilleux pendant telle négociation étoit que les nouveaux ministres n'appeloient pas M. de Quiñones en leurs jontes, et qu'ils se tinrent fort couverts, pendant tout le temps qu'il demeura dans Besançon. Mais il ne perdoit pas son temps, et il parut bien, quand un matin il mit en mains de son successeur le compte de toute sa recette et dépense des deniers du roi et de la province, fort exactement dressé, et que de sa main il écrivit au bas, qu'encore qu'il ne fût obligé de le rendre qu'à Espagne, et à la reine, il le faisoit sur ordre du comte de Monterey, avec proteste de recouvrer à Madrid vingt et un mille francs que le roi lui devoit outre ce dont il avoit ici été payé. Il ne se trouva pas avec beaucoup plus d'argent qu'il lui en falloit pour son voyage; et il paya le comte de Saint-Amour, chez qui il avoit logé avec partie de sa vaisselle, en valeur de huit cents écus blancs. Il avoit cela de bon entre autres qu'il n'étoit pas intéressé, ni avaricieux; et au contraire le malheur d'être tenu pour tel, quoiqu'il ne le fût pas.

Le regret que les honnêtes gens en eurent ne fut pas petit, et chacun loua son beau naturel, et la voie de douceur qu'il avoit prise dès le commencement. Il vint nous dire adieu céans, et nous assura qu'il ser

retirer. Les Suisses canonnèrent pendant six jours cette place sans défense. Louis de la Trémouille périt glorieusement à la bataille de Pavie en 1525.

viroit utilement cette province quand il seroit à la cour. Sa sortie de Besançon fut accompagnée de modestie, et il la céla tant qu'il put, tellement qu'il sortit sur les trois heures du soir, et évita l'accompagnement des députés de la ville, nommés pour lui rendre cet honneur. Cela même fut cause qu'un insolent savetier s'avança jusques à une portière de son carrosse impunément, et lui fit quelque insulte, dont le magistrat fut fort indigné, et lui en fit excuse par lettre, avec résolution de châtier cet insolent rigoureusement, ce que pourtant il évita par un bannissement qu'il prévint. C'étoit celui même qui en fit autant au comte de Saint-Amour, et qui en effet fit connoître qu'il étoit propre à commencer une sédition.

M. de Quiñones alla coucher à Torpes, il passa à Dole, où il fut très-bien reçu par le marquis de SaintMartin, et par toute la bourgeoisie qui lui rendit les honneurs possibles, et même on y fit poser ses armes relevées en pierre dès la veille de son passage sur le boulevard appelé de Mont-Roland, pour mémoire de ce qu'il avoit contribué à redresser leurs murailles, et que Mont-Roland étoit le lieu du voisinage, où il avoit fait sa première dévotion entrant en ce pays.

Il se mit sur l'eau à Auxonne, le dixième jour de mai, veille de l'Ascension; peu de jours auparavant le marquis de Meximieux s'étoit aussi embarqué, qui résolut de l'attendre à Lyon pour aller ensemble vers Madrid, mais tous ne crurent pas qu'ils se dussent joindre; parce que M. de Quiñones, pour vérifier sa conduite en l'affaire du marquis de Listenois, et donner relief à la dissipation de ce trouble d'Etat, avoit fait

faire et portoit avec lui une information, par laquelle il constoit que son père, le marquis de Meximieux, avoit fomenté les jeunesses du marquis de Listenois; et que par prudence il ferma les yeux aux adresses du père, de peur d'allumer un plus grand feu, lequel on eût eu peine d'éteindre; car les troupes du roi ne suffisoient pas en ce pays, pour tenir à un temps en bride le fils au bailliage d'Aval, et le père en celui d'Amont. Il est véritable qu'il eût perdu tout le pays, car le mal étoit bien plus grand qu'il ne semble, et la prudence que M. de Quiñones y apporta le fit paroître petit.

Nous vîmes aussi en cette cité l'internonce qui retournoit de Bruxelles à Rome, pour de là passer à Florence y être nonce; il s'appeloit Don Charles Ayroldo, comte de Lecco, fils de Marcellin Ayroldo, banquier, et depuis trésorier au duché de Milan. Il étoit grand courtisan, et avoit vécu plusieurs années en Espagne; il avoit été grand ami du comte de Monterey, tant que celui-ci ne gouverna pas, mais dès qu'il succéda au connétable, le comte se retira de son amitié, afin que ce ministre du Saint-Siége ne s'en voulût prévaloir en choses de conséquence. Ceux qui ne pénètrent pas dans les mystères, crurent qu'il mettroit ordre aux confusions de notre Eglise, comme si le Saint-Siége eût voulu s'abaisser jusques à nous rechercher, au lieu que le chapitre métropolitain étoit obligé, par résolution prise sous Alexandre VII, d'envoyer à Rome des députés pour aller demander pardon à Sa Sainteté. Mgr. Ayroldo donc passa, et reçut des mémoires du chapitre, visita, et fut visité par le prince de Vaudemont, et conversa familière

ment avec un citoyen de cette ville nommé Gabriel Enneman, chirurgien de profession, qu'il avoit connu en Barbarie, lors que tous deux s'étoient rencontrés captifs à Tunis, cet internonce ayant été pris des corsaires, et fait captif sur le vaisseau où Mgr. Don Juan d'Autriche étoit en personne, et se défendit vaillamment, et Gabriel Enneman étant tombé dans le même malheur en un trajet de Naples à Gênes. Ils avoient été bons amis à Tunis, la profession de chirurgien ayant donné grand accès à Enneman partout, même auprès du roi de Tunis, qui étoit un viel soldat élu à la dignité royale, et lequel fut sauvé par lui, à l'occasion d'un poison qu'on lui avoit donné. Ainsi paroît véritable que les montagnes ne se rencontrent pas, mais bien les hommes; Dieu ayant permis que l'internonce rencontrât ce sien ami à Besançon au bout de plusieurs années, et dont la conversation lui fut agréable plus que d'aucune autre personne. Ce prélat vint voir mon frère, qui alors étoit président, et me fit l'honneur de me demander aussi. Je le vis chez lui dans un tel accablement que notre entretien fut fort court. Je l'avois vu à Bruxelles, et il me connoissoit plus pour avoir ouï parler de moi que pour l'avoir hanté. Etant à Rome, il fut sacré archevêque d'Edesse, qui étoit le titre porté par le père Nidhart avant qu'il fût cardinal, et en effet il mit en termes la réunion de notre corps métropolitain, mais il ne poussa pas cette matière fort avant.

CHAPITRE IV.

Des faussetés et impertinences couchées en ce temps dans les gazettes de Paris, de Bruxelles et de Hollande. Considérations s'il est plus utile d'en imprimer que de ne le faire pas.

J'ai déjà dit quelque chose au temps de la révolution même, sur l'ambition d'aucuns qui se firent préconiser dans les gazettes, l'un pour avoir fait un sermon dans une église de Paris, l'autre pour avoir porté des saints suaires; et depuis comme cette petite défaite près Saint-Lothain en ce pays, fut enchérie au delà de la vérité, en faveur de quelques particuliers.

M. de Quiñones étoit à peine hors de cette province en la forme que j'ai racontée, et néanmoins l'Europe au moyen des gazettes fut abreuvée de l'envoi de Don François Salzedo en ce pays, venu, à ce qu'elles portèrent, pour faire prisonnier le même gouverneur selon que le bruit en étoit à Bruxelles. La commission de Salzedo et d'un sien camarade n'avoit été autre que de reconnoître l'état des esprits et des places de la province. Le premier de ces deux fut le seul qui sortit du logis, et l'autre n'en sortit pas, et même ne reçut aucune visite. Et finalement ils s'en retournèrent fort mal satisfaits de la construction de la citadelle de Besançon, disant clairement qu'il eût mieux valu employer ces sommes immenses à fortifier la cité; toute cette dépense ayant été faite à fermer un trou audessus d'un rocher, sans lequel toute la province pouvoit être prise, et demeurer au pouvoir des ennemis.

Cette imposture parut grande au lieu même d'où

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