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s'être attachée à elle, à ce que les Hollandois mêmes publioient; enfin on découvrit que ce décret de la reine sur le silence des affaires de Bourgogne pendant quatre mois procédoit de l'avis qu'on eut du voyage du marquis de Listenois qui arriva cinq jours après à Madrid, et ce ne fut qu'à dessein de lui fermer la bouche sur les intérêts de son père, duquel il parut bien que j'avois eu raison de dire qu'il feroit beaucoup mieux de se tenir paisible en sa maison de Scey, au lieu de passer pour un factieux, ce qui lui étoit fort nuisible en un temps que les plus sages ne menoient aucun bruit.

Le gouverneur de ce pays, par ordre du comte de Monterey donna argent à ceux de Dole jusqu'à cent et quarante mille francs pour continuer leurs fortifications, et Besançon demeura là sans qu'on y remuât plus la terre. Les quatre compagnies de cette cité résolurent de laisser le gouverneur sans plus lui rien dire, et révoquèrent tout pouvoir donné par ci-devant à leur agent de Madrid, par une lettre qu'il eut encore ordre de montrer, et une jointe pour la reine même, en laquelle la cité lui témoignoit avec regrets un grand mécontentement et ses ressentimens du mépris qu'on faisoit d'elle et de ses intérêts, quoique cette ville venant à se perdre, tout le pays dût se perdre aussi.

Les grands désordres de la monarchie et les malheurs de ses confédérés faisoient juger que ceux qui en manient le timon n'étoient plus à eux-mêmes. Notre gouverneur tomboit dans le mépris parmi les moins sages, qui sont partout en plus grand nombre que les autres; et en un mot le rebut étoit fort considérable en toute cette province.

CHAPITRE XXIX.

Abouchement de M. de Quiñones avec le comte d'Hona, et voyage du premier à Salins et à Saint-Anne. Etat et embrouilles de la cour d'Espagne dans les conseils et dehors.

Le comte d'Hona (1), gouverneur d'Orange il y a quelques années, et depuis retiré au voisinage de Genève, manqua d'être enlevé par les François en son château de Copet sur le bord du lac, à cause qu'il s'étoit chargé de lever quatre mille Suisses pour le service des Hollandois. Il étoit fort bien avec eux et avec le prince d'Orange, comme parent de son aïeule de la maison de Solms qui vivoit encore. Notre gouverneur désira savoir s'il y auroit moyen de se défaire des troupes de Lorraine, et autres étrangers qu'il avoit en ce pays, les joignant à ses levées pour la Hollande. Le comte qui dès son enlèvement prétendu s'étoit retiré à Berne vint donc s'aboucher avec lui au château de Joux mais il trouva si peu de disposition à l'exécution de sa pensée que le comte n'avoit pas encore l'argent d'Hollande pour faire sa levée laquelle il lui dit ne pouvoir être prête qu'au printemps prochain; et la chose en demeura là.

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A la vue de cette conduite chez nous il est bien difficile de ne se pas réfléchir sur celle des cours desquelles

(1) Le comte Dona était déjà gouverneur de cette ville en 1649. Le prince d'Orange lui donna ordre, le 24 février, « de ne rendre ladite place entre les mains de personne après sa mort, mais de suivre les ordres de la princesse royale son épouse. » L'ordre est daté de La Haye.

nous dépendions, afin de découvrir de plus en plus les malheureuses dispositions de toutes choses, dont nous ressentions en même temps les tristes effets. Notre bonne reine régente sur les épaules de laquelle tomboit tout le fardeau sembloit n'avoir autre soin que d'élever le père Nithard au cardinalat pour faire déplaisir à Don Jean d'Autriche qui étoit toujours retiré à Sarragosse, toutes ses pensées tendoient à cette seule fin et au bout elle en réussit, ensuite de quoi ce nouveau cardinal donna part de sa promotion au même prince par une lettre mystérieuse, dont voici la teneur en notre langue :

« Sérénissime Seigneur,

» Encore que la dignité de cardinal en laquelle Sa Sainteté m'a constitué, sur instances de la reine notre maîtresse au consistoire qu'il lui plût tenir lundi, est accompagnée de si grand honneur, comme il est à penser, je l'estime d'autant plus qu'elle me donne sujet de baiser la main à Votre Altesse, et lui faire de nouveau mes offres de service, avec la pourpre sacrée, c'est de quoi je m'acquitte comme d'un devoir principal de mon attention: priant Votre Altesse de recevoir cette soumission de mon affection et bonne volonté et qu'il lui plaise de me fournir des occasions à elle agréables pour lui en donner des preuves. Dieu conserve la sérénissime personne de V. A. avec les bonheurs que je lui souhaite.

» A Rome le 18 de mai de l'an 1672.

» Son plus grand serviteur,

» EVERARD Cardinal NITHARD. »

Monsieur Don Jean, prince très-capable et qui n'avoit rien dit de tous les devoirs que faisoit la reine, pour élever son confesseur dût être surpris de recevoir cette lettre, et dans la créance que cette promotion étoit un acheminement au retour du nouveau cardinal en Espagne, il lui répondit en la forme suivante :

« Eminentissime et Révérendissime Seigneur, » La franchise avec laquelle Votre Eminence a voulu me faire part de sa promotion à la pourpre, m'oblige de lui répondre avec une entière sincérité. Si Votre Eminence est cardinal au gré et bon plaisir de Dieu, et pour son plus grand honneur et plus grande gloire, elle peut se réputer pour fort accompagnée de bonheur, et je lui en donne la bonne heure avec un cœur fort naïf. >>

Ces deux lettres furent incontinent imprimées et divulguées partout en ce pays voire envoyées, et on inféra que la reine et Son Altesse n'étoient pas plus d'intelligence qu'auparavant : mais bien au contraire, que la discorde duroit toujours, et s'échauffoit encore plus. Cette vérité parut encore mieux par l'envoi que fit ce prince de ces deux lettres à Don Diego de Velasco son maître d'hôtel et agent à Madrid, avec ces paroles: « Il semble qu'il convient que vous les fassiez voir aux ministres de la jonte afin qu'ils fassent état de la réalité de mon procédé, et qu'ils reconnoissent que tout ainsi que jusques à présent j'ai continué sans voix et sans action ayant le service de Dieu et du roi devant les yeux; pour les mêmes raisons si le malheur commun vient à être tel qu'il m'oblige de parler et d'agir

je ne tarderai point à me laisser voir au monde pour la seconde fois avec autant de résolution et de fermeté que jamais, et avec non moindre confiance que Dieu favorisera ma bonne intention. >>

Il ne falloit pas être grand devin pour juger qu'il y avoit du feu sous cette cendre, et qu'il étoit fort à craindre que le tout éclatât plus que devant, au grand préjudice de l'Etat, surtout notre petit roi n'ayant pas alors une santé fort ferme, même étant tombé malade de là à peu de temps et au mois de juillet, tellement qu'il avoit été saigné plusieurs fois. Le plus grand mal étoit que la reine vouloit que le cardinal Nithard retournat en Espagne; et Don Jean considéroit ce point comme très-dangereux au repos public, et à la tranquillité des peuples. A cette fin la reine employoit tous ses soins n'en gardant aucun ou bien peu pour le reste des affaires, desquelles néanmoins dépendoit la secousse et l'ébranlement derniers des couronnes du roi son fils. Grand argent sortit de ses coffres pour les voyages, pour l'entretien et pour les frais de la promotion de ce cardinal, et les Etats du roi étant apauvris partout, gémissoient faute de secours pécuniaires en tous les endroits où la guerre étoit effective; ou ailleurs en apparence d'y être allumée.

Quant au ministère de Madrid la division continuoit, et étoit si grande que rien plus entre le connétable de Castille et le marquis de Castel-Rodrigo; le premier attribuant toujours la perte des Pays-Bas au dernier : partant le marquis voyant cette grande opposition étoit retiré en sa floride, et il n'étoit pas possible de l'aborder. Le connétable au contraire tenoit le dais en la jonte de

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