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le marquis, comme plus âgé, et passant soixante ans, maintenoit que le comte, qui à peine en avoit vingtdeux, pouvoit bien le prévenir en cette courtoisie.

CHAPITRE XXVII.

Le gouverneur passant à Dole y appelle l'archevêque et ceux de l'Etat, pour conférer sur les forces ou foiblesse où se retrouvoit le pays.

Je n'ai pas dit ce qui avoit été traité en cette convocation d'aucunes personnes qualifiées à Besançon, à laquelle M. d'Andelot m'étoit venu appeler de la part du gouverneur. En effet, je l'ignorois et n'en voulus témoigner aucune curiosité, parce que ce cavalier m'avoit fort requis de ne faire aucun semblant. En cette assemblée de Besançon, se rencontrèrent le marquis de Meximieux, le sieur d'Andelot-Tromarey, le conseiller Philippe, Pellissonnier, le procureur général, le baron de Saint-Moris, et quelques autres jusques au nombre de treize. La difficulté consistant au refus que firent les commis à l'également, et les députés extraordinaires de payer plus de deux mille francs par jour. On y proposa si lesdits treize seroient pas d'avis que la province étoit encore assez forte pour continuer les trois mille francs, et tous conclurent qu'oui, et signèrent un acte.

Notre gouverneur donc après avoir couru la campagne en la forme que j'ai racontée, passa à Dole pour y reconnoître les ouvrages faits et à faire, et à même conférer avec ceux de l'Etat qui y étoient appelés à

certain jour; l'archevêque de Besançon y fut en personne, et notre gouverneur y avoit aussi convoqué ceux qui avoient signé : du nombre desquels fut choisi le conseiller Philippe pour aller haranguer messieurs les dix-huit. Ils firent voir à ce prélat l'acte signé en la forme avant dite; mais cela n'opéra rien, sinon autant de fermeté que devant et plus, car ceux de l'Etat députèrent au gouverneur les sieurs d'Orival, chanoine de Besançon, M. de Beveuge, et le sieur Bonnefoy, pour lui refuser de leur part ces trois mille francs, et lui dire que ceux mêmes qui avoient signé l'acte les avoient sollicités au refus (1).

Monsieur de Quiñones, bien étonné de cette réponse ne voulut point coucher à Dole, et ne fut point à repos qu'il ne refût à Besançon, soit pour y voir sa maîtresse, soit de dépit d'apprendre la manière d'agir d'aucuns de par-deçà, parmi lesquels on mettoit les principaux de ces conseillers signans. Le marquis de Meximieux n'avoit pas voulu aller à Dole, et il s'en retourna à Scey-sur-Saône avec sa famille, pour ne pas tenir le bassin, dit-il, quand on saigneroit son pays. M. d'Andelot y fut, mais à la séparation il s'en alla chez lui. Et tous s'en retournèrent mal édifiés de cette assemblée et en un mot fort rebutés. Ils faisoient leur compte apparemment que leur signature ne seroit pas mani

(1) Séance du 13 juin 1672. On consentit à ce que le gouverneur prit 60,000 fr. de l'argent de la milice pour suppléer pendant les deux mois prochains aux 2,000 fr. par jour accordés par l'Etat ; «mais que si Son Excellence ne vouloit pas accepter les 2,000 fr. par jour, la résolution de l'Etat de ne plus rien donner tiendroit, et que les billets envoyés à ce sujet auroient lieu.» Le gouverneur les accepta le 18 juin 1672. (Voir la séance du 1er juillet 1672.)

festée par deçà, et que le gouverneur ne les feroit pas tomber en la haine de tout le peuple. Mon opinion particulière dans ma retraite fut que le gouverneur, qui avoit des ordres fort pressans du comte de Monterey, voulut faire voir l'état de la portée de ce pays, lui remettant les sentimens qu'il y avoit de part et d'autre, et pour témoigner à notre nation que ce n'étoit pas lui qui étoit porté à cette exécution si onéreuse. Nous verrons ensuite ce que cela opéra et comme le comte de Monterey s'en servit pour l'établissement du pied de cette contribution.

CHAPITRE XXVIII.

Mariage de notre gouverneur espagnol avec la fille ainée du baron de Saint-Moris; aliénation de ses deux fils, et les discours qu'on en tint, aussi bien que de l'acroche du règlement de ce pays, et des conquêtes des François en Hollande.

M. de Quiñones, pensant être affermi en la continuation de ce gouvernement, dut avoir des raisons de conscience pour vouloir se remarier. Les intérêts de ses deux fils et l'âge auquel il étoit lui-même ne le détournèrent pas d'épouser une fille âgée seulement de dix-sept ans. Don Gabriel, qui en étoit inconsolable, se retira de Besançon, et Don Sylverio en versa bien des larmes. Il avoit deux filles en Espagne, dont l'une étoit mariée à un gentilhomme des Canaries, et l'autre étoit religieuse. On vit en lui la pratique fort commune des Espagnols, qui se marient sans avoir soin de l'avenir, et s'informent peu de ce que leurs enfans deviendront.

Les conseillers Philippe et Jobelot couchèrent le traité de mariage comme bons amis du baron de Saint-Moris et leurs voisins de campagne au village de Virey, peu éloigné de Choye. Il donna à son épouse 50,000 francs en joyaux et 500 écus de douaire par an, et écrivit à la reine pour avoir congé de se marier et en fit de même au suprême conseil de guerre duquel il étoit, au conseil d'Etat, et à celui des Ordres, parce qu'il étoit chevalier de celui de Saint-Jacques.

Cette affaire fut la plus grande qui occupât son esprit après son retour de Dole; car l'élection annuelle de la Saint-Jean s'étant passée à Besançon, il ne fit faire aucun compliment au président, et un soin fit oublier l'autre, sans prendre garde que les amis s'aliénoient peu à peu, comme il avoit pu reconnoître par la réponse que ceux de Besançon lui envoyèrent à Dole.

Mais la cité eut encore un bien plus grand sujet de mécontentement par le silence incroyable de leurs intérêts à Madrid et à Bruxelles, où l'on négligea les affaires de ce pays au dernier point, jusque là qu'il y émana un décret de la reine avec défense que de quatre mois on ne parlât des affaires de Bourgogne, et il fut intimé aux deux agens de Dole et de Besançon; la raison qu'en donna Don Diego de la Torre, secrétaire d'Etat, fut que l'on vouloit voir ce que deviendroit cette province.

Les paroles mêmes sortant de la bouche d'un ministre, et par commission, étonnoient fort le monde : car le marquis de Listenois ayant aussi mandé à messieurs de l'Etat qu'il n'y avoit rien à faire pour les Bourguignons, et que jusques à la fin de la cam

pagne on ne parleroit de rien à Madrid à notre regard. Les uns disoient qu'en cette province il ne servoit à rien de considérer la campagne, et que possible feroiton de ce pays un présent à la France dans quelque détresse où l'Espagne alloit tomber par la conquête de la Hollande, au milieu de laquelle étoient les François, ayant pris en peu de semaines les villes d'Orsoy, Rées, Emmérick, Burick, Wesel, Rhimberg, Arnhem, Utrecht, Zutphen; outre les postes avantageux qu'ils tenoient ailleurs sur la Meuse et sur le Rhin, et les villes de Grolle et de Deventer, prises par l'évêque de Munster (1). Que telles places étant si fortes et si tôt rendues faisoient bien connoître de ce pauvre comté de Bourgogne, perdu véritablement il y a quatre ans en un tour de main, mais abandonné de ses supérieurs, au lieu que ces places de Hollande étoient toutes fortes et bien munies, et avoient des forces par mer et par terre, que sans doute le roi de France, poussant ses conquêtes, tourneroit enfin ses armes devers la Flandre, où les villes feroient l'une après l'autre comme celle d'Utrecht, qui avoit porté les clefs au roi de France, et que désormais il ne seroit plus besoin que ce prince vint en personne dans ce pays, ni qu'il y envoyât un comte de Chamilly ou de Bissy, puisqu'une lettre suffiroit pour nous réduire. Tout cela n'étoit guère agréable aux bons serviteurs du roi, qui regrettoient l'aveuglement du ministère et la foiblesse de l'Espagne qui étoit si grande que la république de Hollande périssoit pour

(1) L'alliance offensive avec l'évêque de Munster avait été conclue le 3 avril 1672.

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