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qu'exécuter les ordres du Gouvernement, comme les employés auxiliaires ne font que les préparer.

La garantie constitutionnelle ne s'applique pas aux officiers de police judiciaire parce qu'ils n'appartiennent pas à l'ordre administratif. Ainsi le maire, comme officier de l'État civil ou officier de police judiciaire, n'est pas couvert par l'art. 75, tandis qu'il peut l'invoquer toutes les fois qu'il est poursuivi pour faits commis dans l'exercice de ses fonctions administratives.

A quel signe reconnaîtra-t-on qu'un fonctionnaire est dépositaire de l'autorité publique ? La jurisprudence reconnaît le caractère d'agents du gouvernement aux préposés qui ont le pouvoir de dresser des procès-verbaux pour contravention aux lois qui régissent le service dont ils sont chargés. Ainsi les agents forestiers de l'État sont couverts par l'art. 75 de la Constitution de l'an VIII. Il en est autrement des gardes champêtres et des gardes particuliers, quoiqu'ils aient le droit de dresser des procès-verbaux. La raison de décider est qu'ils ne sont pas agents du gouvernement mais agents de la commune ou des particuliers'.

L'art. 75 ne couvre que les agents du Gouvernement autres que les ministres. L'exception étant faite en termes absolus, on est en droit d'en conclure doctrinalement que les ministres peuvent être poursuivis, sans autorisation, soit au criminel, soit au civil. Dans la

1 On reconnaît que les vérificateurs des poids et mesures peuvent invoquer l'art. 75 depuis que l'art. 7 de la loi du 4 juillet 1837 leur a donné le droit de dresser des procès-verbaux. V. ord. du 23 juillet 1841.

'Nous avons enseigné (t. III, p. 342) que l'exception faite à l'égard des ministres s'appliquait indistinctement aux affaires civiles et criminelles. Nous devons reconnaître qu'en ce qui concerne les poursuites civiles, la jurisprudence est contraire à notre interprétation.

pratique, au contraire, on juge que l'exception faite à l'égard des ministres ne s'applique qu'aux poursuites criminelles, et qu'elle n'a été exprimée que pour réserver une disposition constitutionnelle importante. En effet, les ministres ne peuvent être mis en accusation que par le Sénat, et comme ils jouissent, en matière criminelle, d'une garantie plus haute que celle du Conseil d'État, il était inutile de leur accorder la protection ordinaire donnée aux autres agents. Or, en matière civile, ils ne sont plus couverts par l'autorisation du Sénat, et c'est pour cela qu'il a été jugé que l'art. 75 de la Constitution de l'an VIII leur était applicable lorsqu'ils étaient poursuivis civilement.

Les membres des conseils de préfecture, des conseils généraux, d'arrondissement, municipaux, et en général de tous les corps délibérants, ne peuvent pas invoquer l'art. 75 de la Constitution de l'an VIII, puisqu'ils n'ont pas l'action administrative, mais seulement la délibération, et ne peuvent pas dès lors être comptés parmi les agents du Gouvernement.

L'art. 75 n'est applicable qu'autant que la poursuite est dirigée contre l'agent, personnellement. Il ne le serait pas s'il s'agissait d'une demande formée contre l'administration représentée par l'agent. En ce cas on appliquerait d'autres règles et, si l'affaire était administrative de sa nature, c'est par le conflit qu'il faudrait la revendiquer. Ainsi une action en revendication formée contre le directeur d'une administration publique ne serait pas soumise au préalable de l'art. 75; car, elle est formée non contre l'agent du gouverne

ment, mais contre le détenteur, quel qu'il soit, de la chose revendiquée '.

2° Il faut que l'acte pour lequel a lieu la poursuite ait été commis par l'agent dans l'exercice de ses attributions, ou au moins, qu'il y ait connexité entre le fait et les fonctions 2. Lorsqu'un fonctionnaire a des attributions administratives et d'autres qui ne le sont pas, il n'est couvert que pour les faits commis dans l'exercice des premières. Ainsi le maire, poursuivi comme officier de l'état civil, ne serait pas protégé par l'art. 75 de la Constitution de l'an VIII; car, en cette qualité, il agit sous le contrôle de la justice, et non sous l'autorité du pouvoir administratif.

3. L'autorisation n'est exigée que pour les poursuites dirigées contre les agents devant les tribunaux ordinaires. Devant les juridictions administratives, l'autorisation préalable du Conseil d'État n'est pas exigée.

Au civil, la demande est adressée directement au Conseil d'État par la partie; elle est examinée successivement par la section de législation et par l'assemblée générale du conseil ; il est statué par décret impérial... Au criminel, la demande est formée par le procureur impérial auquel appartient l'action publique; néanmoins, si le procureur impérial ne voulait pas poursuivre, la partie aurait le droit de s'adresser directement au conseil, mais seulement dans les cas où elle

1 V. contrà un jugement du tribunal de la Seine du 20 mai 1863. Le système de ce jugement a été vivement combattu par M. E. Reverchon, dans la Revue pratique du 1er juillet 1863.

• Cette connexité a été poussée très-loin par la jurisprudence.

peut saisir elle-même, par citation directe, les tribunaux correctionnels.

Pour les agents de quelques administrations, l'autorisation peut être accordée par leurs supérieurs. Deux arrêtés du 9 pluviôse an X autorisent le directeur gé– néral des postes et celui de l'enregistrement et des domaines à traduire leurs agents devant les tribunaux sans autorisation du Conseil d'État. Un autre arrêté du 28 pluviôse an XI a consacré une exception semblable pour les agents forestiers, qui peuvent être poursuivis sur l'autorisation du directeur général des forêts. Un arrêté du 10 floréal an X donne aux préfets le droit d'autoriser les poursuites contre les percepteurs. Cette autorisation ne serait même pas nécessaire en cas de concussion ou de perception illégale; car, en ce cas, l'article final de la loi de finances autorise, chaque année, la poursuite directe contre les receveurs de taxes illégales. Les employés des poudres et salpêtres peuvent être poursuivis en vertu de l'autorisation donnée par les administrateurs supérieurs de ce service (décret du 28 février 1806). Les agents des contributions indirectes peuvent être poursuivis sans aucune autorisation préalable pour crimes et délits (art. 244 de la loi du 28 avril 1816). Or, la dispense d'autorisation pour crimes et délits emporte, à fortiori sensu, la dispense en matière de poursuites civiles.

Si les directeurs ou supérieurs refusaient d'autoriser la poursuite, les parties intéressées ou le ministère public auraient le droit de se pourvoir administrativement au Conseil d'État; celui-ci pourrait même, s'il était directement saisi de la demande en autorisation,

prononcer sans que l'affaire eût préalablement été soumise au supérieur administratif.

L'autorisation ayant été exigée pour protéger le pouvoir administratif dans la personne des agents, l'art. 75 est applicable même après la cessation des fonctions, si la poursuite se rattache à des faits antérieurs au décès, à la démission ou à la destitution de l'agent. Il n'y a d'exception que pour les comptables de deniers publics. Un avis du Conseil d'État, en date du 16 mars 1807, a décidé que les comptables cessaient d'être protégés par l'art. 75 du moment qu'ils n'exerçaient plus leurs fonctions.

13° Séparation des pouvoirs. Tout gouvernement porte en soi, au moins le germe des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, et la différence entre l'absolutisme et la liberté tient à la confusion ou à la division de ces éléments. Réunis en un seul homme, en une seule assemblée, soit aristocratique, soit populaire, ils constituent la monarchie absolue, le despotisme de l'ancienne Venise ou de la Convention. Séparés et contre-balancés les uns par les autres, ils deviennent le gouvernement libre, monarchie représentative comme en Angleterre, en France, en Espagne, en Belgique ou république comme aux États-Unis. « C'est une expérience éternelle, disait Montesquieu, « que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser; il va jusqu'où il trouve des limites! - Pour « qu'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, « par la disposition même des choses, le pouvoir arrête « le pouvoir.

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