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une disposition formelle interdit le pétitionnement auprès du Corps législatif'. Les pétitions adressées à l'Empereur sont examinées par une commission spéciale du Conseil d'État, dont le président doit, toutes les semaines, présenter aux Tuileries le résultat de

ses travaux.

La constitution du 14 janvier 1852, n'ayant fait que changer l'autorité à laquelle il faut adresser les pétitions, l'exercice de ce droit continue à être soumis aux lois qui l'avaient antérieurement réglé. Les pétitions ne peuvent donc pas être faites collectivement, et doivent être signées individuellement3. Cela ne veut pas dire que la pétition ne peut être signée que par un seul individu, mais que les signataires ne doivent pas signer comme membres d'un corps, d'un conseil ou généralement d'une assemblée. Ainsi tous les conseillers généraux d'un département auraient le droit de signer la même pétition; mais ils agiraient illégalement s'ils signaient la pétition comme personnes composant le conseil général.

Quel est l'effet du droit de pétition? Il est borné par la compétence du pouvoir auquel la réclamation est adressée. Le Sénat, par exemple, n'ayant que le droit de s'opposer et d'annuler, ne pourrait pas, sur la demande d'un citoyen, faire un acte positif; aussi se borne-t-il à renvoyer, en les recommandant, au ministre compétent les pétitions où on lui demande autre

1 Art. 45 de la Constitution du 14 janvier 1852.

2 Décret du 18 décembre 1852.- Cette commission est composée d'un conseiller d'État, président, de deux maîtres des requêtes et de six auditeurs. Loi du 25 vendémaire an III.— Art. 364 de la Constitution de l'an III, et art. 83 de la Constitution du 22 frimaire an VIII.

chose que l'annulation d'un acte inconstitutionnel.

Quoique la constitution actuelle permette au Sénat d'annuler les actes inconstitutionnels, la généralité de cette expression' ne doit pas faire considérer son pouvoir comme absolu. Un jugement passé en force de chose jugée ne pourrait pas être attaqué devant le Sénat, alors même qu'il serait contraire à la loi constitutionnelle; car il constitue un droit acquis pour la partie qui l'a obtenu, et l'annuler serait porter atteinte au droit de propriété fondé sur le meilleur des titres. Nous pensons qu'il en serait de même d'un décret rendu au contentieux par le Conseil d'État, puisque, ainsi que nous le verrons plus tard, les principes sur la chose jugée sont applicables à cette espèce de décisions. La solution contraire ferait du Sénat une Cour de justice et créerait un nouveau degré de juridiction; or rien ne prouve qu'une institution de cette nature ait jamais eu place dans la pensée du législateur.

Lorsque la pétition est adressée à l'Empereur, les effets sont limités aux attributions qui appartien

1 Art. 20 de la Constitution du 14 janvier 1852.

2 Le Sénat a nommé une commission pour examiner une pétition qui lui avait déféré un décret rendu au contentieux. Ce vote impliquait que le Sénat serait compétent pour connaître au fond de l'affaire, et statuer sur le maintien ou l'annulation du décret. Cette commission a fait son rapport; mais ses conclusions sont évasives et le Sénat a mieux aimé tourner que trancher la question. En Angleterre, la Chambre haute joint à ses attributions politiques la qualité de Cour suprême de justice; mais rien ne prouve que la Constitution ait voulu donner au Sénat une pareille attribution. De telles innovations ne se présument pas, et on ne peut pas les introduire, dans le silence de la loi, par voie d'interprétation.- Une solution mixte, proposée par M. Laferrière, aurait pour effet de reconnaitre au Sénat, par analogie avec la compétence de la Cour de cassation, le droit de casser un arrêt ou un décret au contentieux en certains cas, dans l'intérêt de la loi constitutionnelle (t. I, p. 121).

nent à l'Empereur comme chef du pouvoir exécutif. La pétition pourrait cependant avoir pour but de provoquer l'initiative législative du Gouvernement; mais, en ce cas, le pétitionnaire donnerait un avis plutôt qu'il ne reclamerait pour son droit ou son intérêt propres. Or cette dernière espèce de réclamation est l'objet ordinaire que se propose le droit de pétition.

10° Gratuité et publicité de la justice. Le principe de la gratuité de la justice n'a pas supprimé les frais de procédure, mais seulement les épices qu'avant 1789 les parties payaient aux magistrats chargés de rapporter leur affaire. Les épices qui étaient, comme leur nom l'indique, primitivement payables en denrées, avaient plus tard été converties en argent. Cette rémunération directe des juges par les plaideurs avait été vivement attaquée au xvir siècle, comme une source d'abus et d'exactions; à ce point de vue, la critique était exagérée et déclamatoire. Les épices, en effet, ne rapportaient aux magistrats qu'un faible revenu, et leur plus grand vice était assurément de nuire à la dignité de la justice'.

La publicité des débats judiciaires est la première garantie des plaideurs; car le juge, sachant que sa décision relève de l'opinion publique, est plus attentif à

1 Les charges de conseiller étaient vénales, et l'entrée au Parlement exigeait l'avance d'un capital assez considérable dont l'intérêt était perdu pendant au moins vingt-cinq ans. Après ce long exercice, on obtenait d'être nommé rapporteur, et les épices ne dépassaient pas 8,000 livres pour les conseillers de la grand'chambre, ou 3,000 pour ceux de la chambre des enquêtes. On entrait dans la magistrature non pour les émoluments mais parce qu'elle ouvrait la carrière des honneurs et conduisait aux premières fonctions.

rendre bonne justice. On ne tient pas assez de compte aujourd'hui des services que ce principe a rendus, parce que nous avons un corps de magistrature qui suit la voie de l'équité sous l'impulsion de la con— science. On oublie trop facilement que la bonté de nos mœurs judiciaires est due, pour la plus grande partie, à la publicité des audiences.

tion

La faculté de prononcer le huis clos est une limitaque réclamait l'intérêt des bonnes mœurs; elle est laissée à la libre appréciation des magistrats qui, par des scrupules respectables pour une règle importante de droit public, n'usent du pouvoir qui leur est accordé que lorsque la décence aurait trop à souffrir des débats publics.

En 1831, par une ordonnance du 2 février, la publicité a été appliquée aux séances du Conseil d'État délibérant au contentieux; en 1862, un décret du 30 décembre a étendu cette amélioration aux conseils de préfecture, qui jusqu'alors avaient jugé en audience secrète. Ainsi a disparu l'anomalie qui maintenait le huis clos pour la première instance lorsque, depuis longtemps, la publicité avait été établie pour la juridiction d'appel. Cette mesure avait, dans le département de l'Isère, été précédée par un usage local dont l'exemple n'avait pas cessé de servir d'argument aux défenseurs de la publicité. Le décret du 30 décembre n'excepte de la publicité que l'examen des comptes présentés au conseil de préfecture par les receveurs des communes et des établissements de bienfaisance.

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La publicité fut établie par M. de Gasparin, préfet de l'Isère. V. rapport de M. de Boulatignier sur le projet de loi des conseils de préfecture.

La règle que nul ne doit être distrait de ses juges naturels était suivie avant la révolution, et jamais elle ne fut méconnue sans que la protestation de la défense se fit entendre'. Malgré la proclamation solennelle de cette maxime dans le nouveau droit public, elle a été violée sous plusieurs des régimes qui se sont succédé, depuis 1789; les partis, après les révolutions, sont entraînés à des injustices réciproques; mais en présence de telles mesures, aussi odieuses que dangereuses, il faut rappeler les paroles de Dumoulin : « Extraordinarias quas vocant commissiones quæ periculosissimæ sunt2. »

11° Vote de l'impôt.- Dans l'ancien droit, c'était une question fort confuse que celle de savoir si le roi avait le droit d'établir des impôts, sans le consentement de la nation. Dans les moments de crise, les souverains appelaient les états généraux à voter des subsides, et, dans ces réunions, on voyait se produire les doctrines les plus hardies sur la souveraineté populaire; des orateurs du tiers état y tinrent plus d'une fois des discours radicaux où l'on est surpris de trouver les théories du Contrat social. Ces hardiesses passaient, à la faveur des difficultés du moment; le danger une fois conjuré, le roi ne réunissait plus les états généraux, et établissait de nouveaux impôts par des édits.

Le parlement fit de l'enregistrement des édits un moyen de contrôle et de contre-poids à la toute-puissance royale; mais les remontrances épuisaient le droit qu'il s'était arrogé, et toute sa résistance tombait de

1 Défense de Fouquet par Pélisson.

2 Stylus Parlamenti, partie III, tit. 1, § 6.

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