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DROIT PUBLIC ET CONSTITUTIONNEL.

CHAPITRE PREMIER.

DROITS GARANTIS AUX CITOYENS.

L'article 1 de la Constitution du 14 janvier 1852 garantit les principes proclamés en 1789; mais ces droits ne sont pas absolus, et la Constitution et les lois organiques y ont apporté deux espèces de restrictions, les unes préventives, les autres répressives. Celles-ci ont à leur tour tantôt un caractère administratif, comme l'avertissement donné aux journaux, tantôt (et c'est le cas le plus ordinaire) un caractère pénal et judiciaire. Nous n'aurons à nous occuper que des mesures préventives et des mesures répressives de l'ordre administratif; quant à la répression pénale et judiciaire, elle appartient au droit criminel plutôt qu'au droit public.

L'énumération des droits garantis aux citoyens n'est écrite nulle part dans la Constitution de 1852, qui s'est bornée à faire un renvoi conçu en termes généraux et vagues. Nous ne pensons pas qu'il y ait une autre manière de combler cette lacune que de recourir à la Constitution du 3 septembre 1791. Or, cette Constitution consacrait comme droits du citoyen l'égalité civile, la liberté individuelle, l'inviolabilité du domi

cile et celle de la propriété, la liberté de conscience et des cultes, - la liberté de la presse, - le droit d'association et de réunion, le droit de pétition,

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la gratuité de la justice, le droit pour tout citoyen de n'être jugé que par ses juges naturels, — le vote de l'impôt, la responsabilité des agents du pouvoir, la souveraineté nationale et la séparation des pouvoirs. Le plus grand nombre de ces droits sont contenus dans l'énumération qui est faite par l'art. 26-1° de la Constitution du 14 janvier 1852, article qui est relatif aux attributions du Sénat. Reprenons les termes de cette énumération'.

1° Égalité civile. - Avant 1789, la noblesse conférait des priviléges de plusieurs sortes. Au point de vue politique, elle donnait droit à être électeur et éligible dans un ordre spécial de représentants aux assemblées des états généraux et provinciaux ; en matière d'impôts, elle exemptait de la taille personnelle; en matière criminelle, elle donnait le droit d'échapper, par la décapitation, au supplice des roturiers qui étaient pendus... Toutes ces prérogatives ont été détruites par l'établissement de l'égalité civile, qu'on pourrait appeler plus justement égalité légale, puis-qu'elle est consacrée en matière politique et criminelle tout aussi bien qu'en matière civile. La noblesse n'a cependant pas été supprimée. Une loi récente (du 28 mai 1858) vient même, en punissant les usurpations de titres, de donner à ceux qui sont légitimement

1 Tome ler du Cours de droit public et administratif de M. Laferrière, pages 42 et suivantes.

portés une valeur que tendait à corrompre l'extension toujours croissante des empiétements nobiliaires. Mais la noblesse est purement honorifique et ne confère aucun privilége; elle n'a d'autre importance que celle qui lui est donnée par nos mœurs et par la préférence de fait qui change suivant les régimes politiques '.

2° Liberté individuelle. La liberté individuelle consiste dans le droit de n'être arrêté et détenu que par ordre de justice; elle est garantie par les articles du Code pénal qui punissent l'arrestation et la détention arbitraires. Avant 1789, la liberté individuelle n'existait pas, puisqu'elle était à la merci d'une lettre de cachet. Il est juste de reconnaître que si l'usage de cette détestable institution fut immodéré sous le règne des maîtresses de Louis XV, il devint très-rare sous son successeur, et qu'après la prise de la Bastille on ne trouva qu'un très-petit nombre de prisonniers. Mais cette diversité des régimes prouve que la sûreté individuelle n'existait pas, puisque le citoyen n'était pas couvert par les lois et devait tout attendre de la mansuétude des hommes.

Les règles suivant lesquelles un individu peut être privé de la liberté rentrent dans l'étude du droit

1 Un décret du gouvernement provisoire, du 29 février 1848, supprima les anciens titres de noblesse; ils furent rétablis par le décret du 24 janvier 1852, abolitif du précédent.— La loi du 28 mai 1858 a remis en vigueur, en le modifiant, l'art. 259 du Code pénal. Enfin un décret du 8 janvier 1859 a institué un Conseil du sceau des titres appelé à donner son avis 1o dans tous les cas sur les demandes de titres nouveaux, et sur les vérifications de titres anciens; 2° sur les changements et additions de noms, lorsque sur la demande en changement ou addition, le renvoi a été ordonné par le Conseil d'État, à cause du caractère héraldique de l'affaire.

criminel. Dans plusieurs circonstances, des lois d'exception ont conféré au gouvernement le pouvoir d'éloigner du territoire, par mesure de sûreté générale, certaines personnes qui n'avaient encouru aucune peine mais dont la présence était un danger pour la paix publique. Ces lois ont sacrifié le principe du droit individuel à la raison d'État'. Des considérations moins graves ont quelquefois fait fléchir le principe de la liberté individuelle. Ainsi, on a interdit le séjour dans le département de la Seine et dans l'agglomération Lyonnaise aux condamnés pour vol, vagabondage et mendicité, et à ceux qui, sans avoir subi de condamnation, ne pourraient pas justifier qu'ils ont des moyens d'existence. Cette interdiction peut être prononcée, pour deux ans, par le préfet de police à Paris, et à Lyon par le préfet du Rhône; elle est renouvelable à l'expiration des deux années. La condamnation, pour cause de mendicité, donne lieu nonseulement à des peines correctionnelles, mais aussi à une mesure de répression administrative qui consiste dans l'envoi du condamné au dépôt de mendicité, où il est soumis à la loi du travail, conformément aux règlements de la maison. Cette mesure de répression, quoique employée à la suite d'une condamnation, n'est

1 Voir décret du 3 mars 1810 sur les prisons d'État;-lois des 12 février 1827 et 26 mars 1829 qui autorisent le Gouvernement à éloigner tous les individus prévenus de complot. Une loi du 27 février 1858, rendue à la suite de l'attentat du 14 janvier 1858, autorise le Gouvernement à éloigner certaines catégories de personnes. Les décrets du 29 décembre 1851, pris en vertu des pouvoirs dictatoriaux du président de la République, s'appliquaient à deux catégories: 1° ceux qui étaient expulsés du territoire de la France, de l'Algéric et des colonies; 2° ceux qui étaient momentanément éloignés du territoire de la France et de l'Algérie.

cependant pas une peine et la jurisprudence lui a toujours attribué un caractère administratif'. La preuve en est que la détention au dépôt peut être levée par le préfet, tandis que la peine ne prend fin, avant le terme fixé pour son expiration légale, que par l'exercice du droit de grâce.

Enfin l'obligation de se munir d'un passe-port, pour voyager à l'intérieur ou à l'étranger, peut être considérée comme une restriction à la liberté individuelle 2. Toute personne voyageant hors de son canton doit se munir d'un passe-port qui est délivré par le maire de la commune pour les voyageurs à l'intérieur et par les sous-préfets pour les voyageurs à l'étranger. A Paris, les passe-ports soit pour l'intérieur, soit pour l'étranger, sont dans les attributions du préfet de police.

II y a des cas où cette restriction se change en une véritable suppression du droit de circuler; les lois et instructions défendent aux maires ou aux sous-préfets de délivrer des passe-ports à certaines personnes. Que faudrait-il décider si le passe-port était refusé en dehors des exceptions prévus par la loi? Les maires et sous

1 La loi qui interdit à certaines catégories de personnes le séjour du département de la Seine et de l'agglomération Lyonnaise, est du 9 juillet 1852. Quant à la mendicité, elle est régie par les art. 269 à 282 du Code pénal, par le décret du 5 juillet 1808 et par celui du 30 mai 1790. Arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 1833.

La formalité des passe-ports à l'intérieur a été abrogée en Espagne à la suite de la révolution de juillet 1855. Un décret récent admet les Anglais à voyager en France sans passe-port. Cette mesure ayant donné lieu, pendant la discussion de l'adresse au Sénat, à une observation assez piquante sur l'immunité dont jouissent les Anglais tandis que les Français sont encore soumis à cette formalité, le Gouvernement a répondu que la question était à l'étude et que probablement de nouveaux décrets étendraient la dispense à d'autres nations. Quant au passe-port à l'intérieur, les commissaires du Gouvernement ont affirmé qu'il avait, pour la répression du vagabondage, une utilité que ne peut pas avoir le passe-port de l'étranger.

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