INTRODUCTION. Il est peu de droits et d'obligations auxquels la prescription ne s'attache pour les confirmer ou pour les anéantir. Elle est en rapport avec toutes les parties de la législation; et quoiqu'elle soit l'objet unique d'un titre particulier du code civil, ce n'est pas là seulement qu'elle doit être observée. Pour bien connaître ses causes et son action, l'étendue et les bornes de son empire, il faut la conférer avec les principes et les règles qui déterminent les droits et les devoirs si variés des individus, dans l'ordre public et dans l'ordre des intérêts privés. Le titre du code civil, qui lui est consacré, est le dernier de cette grande collection de lois, parce qu'étant la sanction et la fin de tous les droits qui peuvent s'acquérir et se perdre, la prescription ne peut être bien comprise que lorsqu'on les a tous étudiés. La loi, en ce lieu, établit les bases de la prescription, indique ses effets d'une manière générale, et trace quelques-unes de ses applications positives; les autres sont marquées dans différens titres du même code; dans les codes de commerce, de procédure civile et criminelle, et par des lois spéciales, qui règlent des points que les codes n'ont pas embrassés. Le même esprit n'a pas présidé à l'œuvre de toutes ces lois; elles ont été faites sous des influences politiques différentes, par des législateurs divers, ou à de trop grands intervalles de temps; elles n'ont pas la liaison et l'accord nécessaires pour former un ensemble, également ordonné dans ses dispositions principales et dans ses parties secondaires. Heureusement l'institution ne pèche pas essentiellement par les bases que présente le code civil. Les défauts qu'on peut remarquer ne tiennent guère qu'à des conséquences mal déduites ou mal indiquées, imperfections que la jurisprudence corrigera facilement, et à des règles particulières ou d'exception, portées par des lois spéciales dont la révision est annoncée. a. Le code civil n'a pas créé les principes de la prescription; il les a choisis dans le droit antérieur, et il les a exposés avec la concision qui convient à une loi fondamentale. Son laconisme doit faire comprendre tout ce qu'il sous-entend, aux hommes instruits qui le méditent; mais aussi ce n'est que par les explications des plus judicieux interprètes, qu'il se développe et se manifeste clairement dans toutes les conséquences qui peuvent en résulter. Un jurisconsulte, homme d'état et orateur très distingué, a dit : « L'office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit, d'établir des principes féconds en conséquences, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. C'est au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l'esprit général des lois, à en diriger l'application. » Disc. prélim. de M. Portalis, sur le projet de code civil. Tel est, en effet, le code, à la préparation duquel M. Portalis a puissamment coopéré; il laisse beaucoup à la doctrine, supplément indispensable de la législation la plus perfectionnée. Avant cette charte civile, la multiplicité et la diversité presque infinies des règles du droit, selon les lois romaines, selon les ordonnances, les coutumes et les usages locaux, les traditions et la jurisprudence, multipliaient les commentaires, et faisaient accorder aux plus dignes une autorité imposante. Ces anciens ouvrages, si précieux autrefois, n'ont plus aujourd'hui le même degré d'utilité pratique. On peut encore y puiser d'importantes instructions; mais on ne saurait les chercher sans danger, que lorsqu'on a acquis assez de connaissances pour être en état de discerner, dans ces livres, ce qui peut s'accommoder à notre droit nouveau, et ce qu'il repousse. Le droit public et le droit privé ont subi parmi nous les effets d'une révolution prodigieuse : tout a été détruit pour être réédifié. La nouvelle constitution de la France, la législation civile et criminelle recréées et disposées dans un ordre régulier, communes à tous les pays du royaume, égales pour tous ses citoyens, ont choqué tant d'habitudes, bouleversé tant de doctrines, dérangé tant de commentaires, que des enseignemens nouveaux sont devenus un besoin universel. Déjá la jurisprudence a éclairci beaucoup de difficultés, et les jurisconsultes ont pu définir les principes et développer l'esprit de la plupart de nos lois nouvelles; mais rien de complet n'a paru sur la prescription. Un traité manquant, je l'ai essayé. Mon travail ne remplira sûrement pas la lacune; mais mes efforts pourront préparer les voies à d'autres : la carrière plus connue, on la suivra avec plus de facilité; et le but mieux marqué, on l'atteindra plus tôt. Le dernier titre du code civil m'a semblé un centre commun, auquel il était bon de ramener cette multitude de règles particulières, disséminées dans un grand nombre de lois spéciales. Jeles ai rapprochées toutes, et rassemblées en un même corps, sous des classifications à peu près conformes à celles de la loi principale. En examinant ces dispositions nouvelles, et les explications qu'elles ont obtenues déjà, je les ai mises en regard et en comparaison avec les lois, les règles, les usages et les interprétations antérieures. J'ai quelquefois discuté et même combattu des propositions recommandées par le nom de leurs auteurs, et par l'autorité des arrêts. En cela je n'ai pas été mu par le vain désir de faire parade d'un esprit d'indépendance; car je n'ai jamais opposé mon sentiment isolé aux décisions dont j'ai fait la critique. En me rappelant cette maxime si bien éprouvée, errare humanum est, si j'ai cru que des hommes supérieurs ont porté des jugemens erronés, j'ai senti que je pouvais encore mieux m'abuser moi-même. Mais j'ai pensé aussi qu'il importe d'appeler l'attention de jurisconsultes sur les points du droit qui ne sont pas fixés positivement, afin d'épuiser les argumentations, et de faire briller la vérité dans son plus grand jour. Tout en faisant la part de ma faiblesse, j'ai pu espérer d'être utile; et c'est dans cet espoir que j'offre mon ouvrage au public. |